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Arrivée du Maroc en 2018, Sarah a travaillé clandestinement à Bruxelles: quels sont les risques pour elle et son employeur?

Travailler clandestinement peut être risqué pour ceux qui s'y prêtent. Employeurs comme travailleurs risquent d'être lourdement sanctionnés. Mais bien souvent, le travail clandestin représente l'unique source de revenu pour des milliers de personnes sans-papiers sur le territoire belge. C'est le cas de Sarah, 42 ans, arrivée en Belgique en 2018.

Nous l'appellerons Sarah. À bientôt 43 ans, cette ressortissante marocaine est arrivée sur le territoire belge en 2018. En manque de ressources financières, elle va accepter de travailler clandestinement en tant que femme d'ouvrage. Même si l'expérience fut de courte durée, elle en garde un goût amer. La faute a un salaire dérisoire, un horaire de nuit et une charge de travail importante. Bienvenue dans le monde du travail clandestin où la main d'œuvre est souvent corvéable à merci.

Direction l'Europe

Sarah est originaire de Mohammedia, ville côtière de l'ouest du Maroc. Avant son arrivée en Europe en 2018, elle a travaillé durant 25 ans dans une usine à textile. L'entreprise gérée par un Français exporte des chemises de luxe vers l'étranger. Elle y commence comme ouvrière-couturière, 12 heures par jour. Son salaire: 3 dirhams de l'heure, soit approximativement 30 centimes d'euros. Au fil des années, l'expérience de son côté, elle finit responsable de section au sein de l'usine. Finis les 30 centimes de l'heure des débuts, son salaire avoisine désormais les 500 euros par mois. Mais à 42 ans et presque 25 ans de labeur, le manque de perspective lui souffle une idée: s'envoler vers l'Europe.

"Mon plan est tombé à l'eau"

Sarah applique pour un visa-touriste d'une durée de deux semaines en direction de la France. Elle présente toutes les garanties et son visa est accepté en 2018. Elle débarque à Paris par avion. Les deux semaines filent et son visa expire. Elle entre dans la clandestinité. Très vite, elle décide de se rendre en Italie. "J'avais une piste pour un travail", explique-t-elle, mais arrivée sur place, elle déchante. "Je me suis rendu compte que c'était une fausse piste. Mon plan est tombé à l'eau." Elle se retrouve sans contact dans un pays qu'elle ne connait pas. Une nouvelle option va s'offrir à elle, rejoindre une vieille connaissance qui vit à Bruxelles.  

Des passeurs "à la rescousse"

La frontière Franco-italienne ne sera pas tout de tout repos pour Sarah. Après une nuit passée à Vintimille (Nord de l'Italie), elle prend un bus direction Nice. Une heure sépare les deux villes. Mais lors du voyage, elle est contrôlée par la douane. Pas de Nice pour aujourd'hui. Elle doit descendre du bus. Elle reçoit un ordre de quitter le territoire (OQT) et l'obligation de se rendre dans un centre fermé de Turin. "Je n'y suis pas allée. J'ai dormi à la gare de Vintimille pour retenter ma chance. Là, des passeurs m'ont proposé de "brûler" la frontière par les montagnes." Le prix: 600 euros. "Beaucoup trop cher". Elle refuse. Elle tente l'option ferroviaire. Pour 8 euros, le train Vintimille-Nice propose plusieurs départs quotidiens. Ticket en poche et peur au ventre, elle y embarque.

©GoogleMaps

Une fois de plus, les douaniers vont contrôler les voyageurs. Mais cette fois-ci, elle passe entre "les mailles du filet". Retour sur le sol français réussi. Quelques trains plus tard, elle se retrouve à Bruxelles. Elle y rejoint une amie avec laquelle elle était au lycée au Maroc, il y a plus de 20 ans. Son amie vit en toute légalité sur le sol belge depuis des années.  Le volet belge de l'histoire de Sarah commence ici.

Un destin, cinq possibilités

Lorsqu'une personne débarque illégalement en Belgique, "cinq options s'offrent à elle". Jan Knockaert est coordinateur au sein de Fairwork Belgium, organisation de défense des travailleurs immigrés clandestins. Il nous en dit plus sur ces 5 voies: "La mendicité, le travail lié à l'industrie du sexe, la criminalité, l'appui de ou d'une connaissance(s)-famille et le travail clandestin. Dans la grande majorité, ils optent pour le dernier choix." Arrivée à Bruxelles et très vite en manque de ressources financières, Sarah s'oriente vers la 5ème option elle aussi. C'est par l'intermédiaire d'un tiers qu'elle va entrer en contact avec le chef d'une petite entreprise familiale. L'homme d'une quarantaine d'années est chargé de livrer des plats et desserts durant la journée. Conçus dans un atelier-cuisine en périphérie bruxelloise, les mets sont destinés à une célèbre chaîne de restauration belge. La nuit venue, le livreur se charge également du nettoyage de l'atelier de cuisine. C'est à ce moment-là qu'intervient Sarah: l'aider à nettoyage les cuisines de l'atelier.

Une charge trop importante

Avril 2019, Sarah débute ses premières heures dans le travail clandestin. Durant une semaine, elle enchaîne les nuits de labeur: de 23h jusque 5h voire 6h du matin. Sa tâche: nettoyer les cuisines, les outils, les toilettes, sols compris. Pour les pauses, on repassera. Se plaindre? "D'autres font la file pour ce job" lui aurait glissé "son patron". Alors après une grosse semaine de travail non-stop et quand les douleurs au dos se réveillent, elle décide de stopper nette l'expérience. "La charge de travail était trop importante. Je n'arrivais pas à suivre le rythme", explique-t-elle. "Il y 'avait beaucoup trop de travail pour une seule et unique personne". Pour ses 34 heures de travail de nuit, elle reçoit 170 euros, soit à peu près 5 euros de l'heure pour un travail de nuit.

Quels risques ?

On estime entre 80.000 et 120.000 personnes sans papiers sur le sol belge. Et comme Sarah, ils sont des milliers à travailler clandestinement. Le  travail "illégal" ou "clandestin" concerne les ressortissants étrangers qui travaillent en Belgique sans en avoir l’autorisation, à savoir sans titre de séjour et sans permis de travail. On le distingue du travail au "noir" qui lui concerne les Belges ou les étrangers, qui ne sont pas déclaré par leur employeur. Travailler clandestinement est totalement interdit en Belgique. Quels sont les risques ? 

  •   Pour l'employeur

L'infraction de l'employeur doit être constatée dans un PV ou un rapport d’un service e d’l'inspection du travail sociale ou de la police. En fonction de la gravité des faits, le PV sera traduit soit par la voie administrative (amendes administratives infligées par la DIRAME), soit par la voie judiciaire (le tribunal correctionnel). Pour l'employeur, les sanctions pénales vont d'un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et/ou une amende pénale allant de 4800 à 48.000 euros (par travailleur) voire d’une peine d'un an à cinq ans au minimum et d'une amende de cinq cents euros à cinquante mille euros par victime s'il s'agit de traite des êtres humains.

  •  Pour le travailleur clandestin

La personne en séjour illégal qui se rend coupable de travail clandestin risque de recevoir un ordre de quitter le territoire (OQT) et d'être expulsé du pays. Sur le plan pénal, il risque une amende pouvant aller de 80 à 800 euros. La sanction est d'application s’il est au courant que son employeur ne le déclare pas, comme dans la majeure partie des cas. Hormis ces aspects, travailler clandestinement comporte de nombreux risques en cas d'accident de travail notamment ou de non-paiement de salaire. Aucune convention ne protège le travailleur.  

Récolter des preuves pour le travailleur clandestin relève de l'exploit

Vous l'ignorez peut-être, mais en Belgique les travailleurs clandestins ont exactement les mêmes droits que les travailleurs Belges. Même s'il risque d'être expulsé de Belgique, le travailleur clandestin peut faire valoir ses droits. Le travailleur clandestin à droit:

> au salaire de son secteur d'activité (9,98 euros/h ou 1593, 81 EUR brut/mois) -au minimum ou plus suivant la convention collective du secteur
> au respect des règles sur les horaires de travail
> aux congés payés
> etc.

Charles-Eric Clesse est professeur de droit et auditeur du travail pour le Hainaut. Il développe: "Pour faire valoir ses droits, le travailleur clandestin peut signaler sa situation auprès de n'importe quelle inspection sociale. Pas besoin d'une plainte, un signalement suffit. Il faut que la Justice soit informée par n'importe quel canal."

Si une enquête confirme que l'employeur à fait travailler une personne illégalement, l'étranger peut alors faire valoir ses journées de travail pour bénéficier de la Sécurité sociale belge ainsi qu'à ses indemnités de rupture du contrat de travail. "Le travailleur clandestin a également droit à minimum trois mois de salaire", précise Erica van Dijk. S'il y a un contrôle et qu'une personne travaille clandestinement, il y a une présomption qu'elle travaille depuis minimum trois mois.

Ca c'est pour la théorie. En pratique, la réalité est bien différente. Le travailleur clandestin obtient très difficilement ses indemnités de rupture de contrat de travail. Faire valoir ses droits est tout aussi complexe. "Tout le nœud du problème, ce sont les preuves", explique Erica van Dijk. Jan Knockaert coordinateur chez Fairwork, abonde dans ce sens: "Comment pouvez-vous prouver que vous avez travaillé pour un patron s'il n'y a ni  fiche de paie, ni contrat de travail, aucune trace ?" Droits Quotidien conseille d'ailleurs aux travailleurs clandestins de "conserver toutes les preuves possibles (témoins, coordonnées de votre employeur, documents écrits, photos, badges, etc.). S'il y a une enquête, c'est le seul moyen de retenir des éléments pour condamner l'employeur."

"Ils préfèrent rester ici en travaillant clandestinement"

A la problématique de la preuve s'ajoute celle de la peur. La peur ressentie par le travailleur clandestin d'apparaître dans le radar des autorités belges. Si un travailleur clandestin est trouvé sur son lieu de travail lors d'une inspection de routine, il risque de recevoir un OQT avec effet immédiat et d'être emmené dans la foulée vers un centre fermé. La hantise des personnes sans-papiers. En revanche, si le travailleur clandestin est à l'origine de la dénonciation de son "employeur" (en contactant lui-même les autorités judiciaires ou via Fairwork) et qu'il accepte d'être pris en flagrant délit, le travailleur reçoit un délai de trente jours pour quitter le territoire. Mais malgré ce délai supplémentaire, nombre de travailleurs clandestins préfèrent ne pas dénoncer leur "employeur" afin d'éviter tout problème. "Beaucoup de gens ne choisissent pas de se défendre. Ils préfèrent rester ici en travaillant clandestinement que de se retrouver dans leur pays d'origine, avec ces potentielles indemnités", fait savoir Erica Van Dijk.

En 2018, Fairwork Belgium a enregistré 452 demandes d'aides, soit le nombre le plus élevée depuis la création de l'organisation (+37% par rapport à 2017). Des travailleurs issus de 77 pays ont contactés la structure d'aide aux personnes immigrées et clandestines. Les principaux groupes sont les Brésiliens (66) et les Marocains (57), suivis des Philippins (30), des Colombiens (25) et des Égyptiens (17).*

Le secteur d'activités où la demande d'aides des travailleurs clandestins est le plus important est le travail domestique de jeunes au pair. 

Aujourd'hui, Sarah est toujours à Bruxelles et loge dans un squat dans le centre de Bruxelles. Elle ne compte pas faire valoir ses droits pour les mêmes raisons invoquées plus haut: peur, manque de preuves, aucune garantie que cela aboutisse. Homosexuelle, elle a fait appel à un avocat pour faire valoir son droit à l'asile sur base de son orientation sexuelle. 

*Source: Rapport d'activités 2018 deFairwork. 

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