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Un an et 5 mois pour obtenir la réhabilitation de son casier judiciaire: Julien a failli perdre son emploi

Julien (prénom d’emprunt) avait été condamné en 2014 pour détention de stupéfiants. Une erreur de jeunesse qui n’avait pas porté à conséquence jusqu’ici. Mais début 2019, il trouve un nouveau travail qui nécessite un casier judiciaire vierge. Son employeur lui demande alors d’entamer les démarches nécessaires pour réhabiliter celui-ci.

En effet, en Belgique, il existe ce qu’on appelle la procédure de réhabilitation du casier judiciaire. Elle ne s’applique pas aux peines de police, qui s’effacent automatiquement après 3 ans, mais bien aux autres condamnations.

> Qu'est-ce qui apparait sur le casier judiciaire?

Comment se déroule une procédure de réhabilitation ?

D’abord, il faut remplir 3 conditions préalables :

  1. Vous devez avoir payé votre dette à la société. Donc avoir terminé votre peine et/ou payé votre amende et/ou payé tous les dommages et intérêts

  2. Vous ne pouvez pas avoir déjà obtenu une réhabilitation les 10 dernières années avant votre nouvelle demande

  3. Vous devez attendre un certain temps après avoir purgé votre peine. C’est ce qu’on appelle le délai d’épreuve. Il varie de 3 ans à 10 ans en fonction de la peine reçue et des faits pour lesquels vous avez été condamné. 3 ans d’attente pour les peines de moins de 5 ans, et 5 ans d’attente pour les peines de plus de 5 ans. Ce délai passe respectivement à 6 ans et 10 ans en cas de récidive.

Si vous remplissez ces 3 conditions, vous pouvez introduire votre demande. Pour ce faire, il faut adresser celle-ci par simple courrier au procureur du Roi de votre arrondissement judiciaire (celui où vous résidez). Vous devez bien sûr y mentionner la ou les condamnations pour lesquelles vous demandez une réhabilitation, mais aussi motiver votre demande, donc donner les raisons pour lesquelles vous souhaitez faire cette démarche, et déclarer tous les endroits où vous avez vécu durant votre délai d’épreuve, pour que le parquet puisse enquêter sur votre bon comportement.

Une fois cette enquête réalisée, votre dossier est transmis au procureur général, qui le soumet à la chambre des mises en accusation. C’est elle qui, in fine et presque toujours le jour-même de l’audience, prendra une décision d’octroi ou de refus.

Voilà pour la théorie…

6 mois d’attente pour une première réponse à cause du manque de moyens humains de la Justice

En pratique, ce n’est pas forcément si simple. Revenons à Julien. Il a introduit la procédure auprès du procureur du Roi de Nivelles le 10 janvier 2019. Le temps passe, et il ne reçoit une réponse qu’en juillet, soit 6 mois plus tard. Quand il demande pourquoi la procédure a pris tant de temps, on lui dit que ce service est "déforcé" et qu'il est sur une liste d'attente.

Nadine Meunier est avocate générale au parquet de Bruxelles. Elle gère avec son équipe les dossiers de réhabilitation pour l’arrondissement de Bruxelles depuis un an et pour l’arrondissement du Brabant wallon depuis début novembre. Elle nuance le côté "déforcé" du service du parquet de Nivelles mentionné par Julien : "La charge de travail au sein des parquets est très lourde. Les cadres ne sont pas complets. Par ailleurs, au vu du nombre de dossiers (moins de 100 par an), on ne peut pas parler d’un service qui gérait ce contentieux mais bien d’une tâche assurée par des collaborateurs déjà chargés d’autres contentieux." A Nivelles avant novembre 2019 donc, il n’y avait pas un service spécifique pour gérer les demandes de réhabilitation de casier.

Un petit mois pour transmettre le dossier au parquet général… qui constate des erreurs

La réponse reçue en juillet par Julien lui disait que son dossier n’était pas assez complet et qu’il devait fournir d’autres documents, ce qu’il a fait rapidement. Le parquet de Nivelles a alors clôturé le travail et a transmis son dossier au parquet général fin juillet 2019.

Problème : le parquet général le recontacte car il semblerait que le parquet de Nivelles n’a pas correctement rempli son dossier. Le parquet général relance alors de nouvelles démarches auprès des organismes mandatés… et laisse Julien sans nouvelles jusqu’en octobre 2019.

Il pousse alors un coup de gueule via notre bouton orange Alertez-nous : "Moi, bon petit citoyen, qui a fait amendement et tout payé, n'étant plus connu des services de justices depuis cette bêtise même pour un simple excès de vitesse me retrouve dans une situation ou si je n’ai pas ce certificat, je vais être licencié et perdre tous mes avantages. Résumé de la situation : la justice à qui je ne dois plus rien depuis 2014, incompétente et lente me contraint de retourner au chômage. Je trouve vraiment ceci une honte!"

Il reçoit une attestation pour son employeur 10 mois après l’introduction de la demande

Après avoir longuement insisté, il reçoit finalement en octobre "une attestation du parquet pour mon employeur dans le but que je ne perde pas mon travail début novembre". Vu l’urgence, "ils ont fait passer mon dossier devant tout le monde en me garantissant une décision finale dans le premier trimestre 2020". "Mon employeur a été compréhensif et heureusement. Je suis toujours salarié mais quel stress quotidien de travailler avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête."

Verdict un an et deux mois après la demande : réhabilitation accordée

Finalement, le 3 mars 2020, le dossier de Julien est passé devant la chambre des mises en accusation "et la décision a été positive. La justice accorde la réhabilitation", se réjouit-il.

Encore 3 mois pour pouvoir aller chercher le document à la commune

Mais un nouveau délai qu’il n’avait pas anticipé s’ajoute : "La lenteur administrative a encore prolongé l’attente de 3 mois, le temps que le parquet communique avec l’État belge dans le but d’effacer mon casier administrativement. J’ai pu me rendre à la commune en juin 2020 pour enfin obtenir le sésame."

Au final, la procédure, qui est financièrement à charge du demandeur, aura coûté environ 105€ à Julien en différents frais pour obtenir des documents officiels.

Une durée de procédure moyenne de plus d’un an

Pourquoi la procédure de Julien a-t-elle pris autant de temps ? "On ne peut pas parler de délai moyen", estime Mme Meunier. "Le délai va dépendre de plusieurs facteurs qui sont essentiellement : le nombre de condamnations figurant au casier judiciaire, la présence ou non de parties civiles, le temps de réponse des receveurs des amendes pénales, le temps mis par les polices locales pour effectuer les enquêtes. En outre, pour l’instant nous disposons (pour le parquet de Bruxelles uniquement, ndlr) de 10 audiences par an devant la chambre des mises en accusation (7 francophones et 3 néerlandophones). La capacité d’absorption de cette juridiction est également un facteur à prendre en compte dans la durée de la procédure". Voilà pourquoi "on peut néanmoins constater qu’un délai d’un an n’est pas anormal".

Un délai confirmé à plusieurs sources. Cédric Lefèbvre, avocat au cabinet L.in.K à Bruxelles, écrivait déjà en 2011 sur les sites questions-justice.be et justice-en-ligne.be que le délai de la procédure était d’environ un an. L’asbl Objectif, qui œuvre pour aider les étrangers qui demandent la nationalité belge à (entre autres) obtenir cette réhabilitation, estime également que "la procédure dure à peu près un an et demi".

Combien de demandes de réhabilitation chaque année en Belgique ? Et combien aboutissent ?

Les dernières statistiques disponibles concernant spécifiquement les demandes de réhabilitation datent déjà de 2016. Elles ont été compilées par le Service d’appui du Collège des cours et tribunaux.

Cette année-là, 1105 nouvelles demandes de réhabilitation ont été transmises par les parquets généraux aux chambres des mises en accusation, qui avaient encore 643 demandes des années antérieures à traiter. Soit 1748 demandes en cours cette année-là.

Sur ces 1748 demandes, 847 ont été clôturées, soit 48,5%. Le reste a donc été reporté à l’année 2017.

Sur ces 847 demandes clôturées, 771 réhabilitations ont été accordées, soit 91% des demandes. 63 ont été refusées, soit 7,5%. Les 13 demandes restantes concernent, elles, des exceptions, comme un désistement, une irrecevabilité ou encore une action devenue sans objet.

En 2019, le parquet de Bruxelles a reçu 426 demandes de réhabilitation pour 91 au parquet de Nivelles. 

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