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Vanessa, éducatrice spécialisée, a travaillé 8 ans dans un centre pour toxicomanes: "Nous côtoyons la misère du monde au quotidien"

Ses "batteries plates", cette femme passionnée par son métier d'éducatrice a quitté l'établissement et pris du repos. Depuis deux ans, elle a commencé une nouvelle fonction, cette fois au sein d'une école pour enfants handicapés. Elle nous raconte la dureté d'une profession qui, selon elle, justifie son caractère pénible dans le cadre de la réforme des pensions.

La reconnaissance des métiers dits "pénibles" est au cœur de l'actualité en ce moment. Une liste de professions a d'ailleurs été dressée et doit encore être validée par le Conseil des Ministres. Vanessa est éducatrice spécialisée. Son activité figure dans la liste proposée des métiers pénibles. Et elle a souhaité montrer que cette présence était logique en racontant son histoire, son métier, sa vocation, elle qui a été confrontée à de nombreuses souffrances durant ses 12 ans de carrière, ainsi qu'à un quotidien très instable.

"Nous côtoyons la misère du monde au quotidien: les enfants maltraités ou abîmés par la vie, les femmes violentées, les personnes toxicomanes, les sans-abris, les personnes handicapées, et bien d'autres encore, nous écrit-elle via le bouton orange Alertez-nous. Au même titre que les instituteurs, nous avons un métier difficile, qui nous demande tous les jours une juste distance, un recul émotionnel, mais aussi une proximité pour que le lien puisse se tisser".

Vanessa (prénom d'emprunt car elle souhaite garder l'anonymat) a débuté sa carrière dans un centre pour toxicomanes situé dans le Hainaut. Depuis 4 ans, elle travaille avec des enfants handicapés en région namuroise, car elle garde des traces de ses 8 premières années de carrière.

À cette période, ses horaires de travail sont très irréguliers. "Ils étaient très souvent modifiés pour les différentes démarches de dernière minute, pour des événements particuliers, sans compter les changements d'horaires, me demandant d'être présente tantôt le matin, tantôt pour l'entre-deux, tantôt les soirs ou les week-ends", explique-t-elle. Difficile pour la jeune femme d'avoir une vie stable : ses horaires variables ont une forte incidence sur sa vie privée.


L'impression de travailler "dans un flou perpétuel"

Et même au centre, l'éducatrice spécialisée a du mal à effectuer son travail comme elle le voudrait, en raison des nombreux imprévus qui jalonnent ses journées.

"Le manque de temps, les changements d'organisations soudains perturbaient trop régulièrement le travail. On fait alors tout dans l'urgence, mettant parfois à mal le travail avec le résident. Il y avait des problèmes de communication, ce qui générait des tensions et des pics de stress. J'avais le sentiment de travailler dans un flou perpétuel", raconte-t-elle.


Des personnes "abîmées dans leurs entrailles"

Dans ce centre pour personnes toxicomanes, Vanessa est également confrontée à une grande détresse humaine. Car même si l'éducateur spécialisé fait toujours en sorte de ne pas trop être impliqué émotionnellement, il ne peut rester insensible au sort des gens en détresse qu'il côtoie.

"Je partageais et j'accompagnais le quotidien de personnes très souvent déstructurées, abîmées dans leurs entrailles. J'étais à l'écoute de leurs peurs, leur détresse, leur souffrance, leur déception, leur colère, leurs conflits…, décrit l'éducatrice. Leur vie était subitement devenue communautaire après avoir connu, pour la plupart, la solitude et la descente aux enfers, la culpabilité, la maladie..."

La jeune femme exerce son rôle d'accompagnante sans porter de jugement envers la personne qu'elle encadre. "Il fallait l'accueillir de façon inconditionnelle telle qu'elle était et là où elle en était, il fallait aménager les conditions favorables. Il fallait construire un lien de confiance assez solide pour faire en sorte que la flamme reprenne. C'est alors qu'il y a une chance pour que son comportement soit porteur de désir de progression et de changement", raconte Vanessa.

C'est difficile, mais ce métier est une "passion" et la jeune femme s'implique. "Je leur renvoie ce que j'observe de positif ou de négatif et je tente de susciter chez eux la réflexion, la remise en question et la responsabilité. Je suis là pour les guider, les encourager et les convaincre que c'est possible, avec comme bagage celle que je suis, ce que la vie m'a appris et ma formation".


Éducateur et éducateur spécialisé

Vanessa a suivi une formation spécifique pour être éducatrice spécialisée. L'éducateur "A1" se forme pendant 3 ans dans une Haute École (baccalauréat). Toute personne qui a réussi des études d'humanités secondaires supérieures est éducateur "A2", et lorsqu'on a terminé ses études secondaires inférieures, on est automatiquement "A3". Généralement, les éducateurs A2 et A3 sont recrutés dans les écoles par exemple, tandis que les éducateurs spécialisés (A1) exercent  dans des établissements spécifiques, des foyers d'accueil, etc.

Nathalie Casillas Gonzales, directrice de l'EPE (École des parents et éducateurs) connait bien le métier, pour avoir été sur le terrain pendant de nombreuses années, avant de se lancer dans la formation des employés du secteur non-marchand dans cette association d'éducation permanente. L'EPE enseigne notamment aux éducateurs et assistants sociaux l'analyse transactionnelle, la communication non-violente, la posture pour être à la bonne place, …


S'impliquer, mais pas trop

Face au témoignage de Vanessa, elle nous fait part de son expérience en centres spécialisés en tant qu'assistante sociale: "Sur le terrain, j'ai vu des personnes très impliquées émotionnellement. Si la personne est orientée 'tâches', cela ne va pas fonctionner car elle n'est pas assez impliquée émotionnellement. Et si, au contraire, la personne est trop impliquée personnellement, ça ne marche pas non plus. Il faut trouver le juste milieu entre ces deux extrêmes. Et là, c'est l'expérience qui joue".

Dans les formations qu'elle prodigue, cette spécialiste insiste sur l'importance de la posture à adopter : "Souvent, les éducateurs veulent se positionner en tant que sauveurs, mais ils ne peuvent pas, ce n'est pas leur rôle. Ça part d'un bon sentiment mais cela peut faire aussi des dégâts", explique-t-elle.


L'éducateur n'est pas un sauveur

Elle donne l'exemple de la femme battue qui va retourner auprès de son compagnon : "L'éducateur ou l'assistant social peut ressentir de la colère de voir cette femme revenir auprès de son mari après tous les efforts et le travail effectué. Une triangulation persécuteur-victime-sauveur s'installe et ce n'est pas bon."

Nathalie Casillas Gonzales a souvent constaté que chez les éducateurs travaillant avec les personnes toxicomanes, il y a de nombreux burn-out car "il y a beaucoup de rechutes, et l'éducateur vit souvent cela comme un échec."

"Il faut pouvoir faire la part des choses", conclut-elle, tout à fait consciente que cela représente l'une des plus grosses difficultés du métier.


Un tournant dans la carrière d'éducatrice de Vanessa

Au bout de 8 ans auprès de toxicomanes, avec les difficultés inhérentes au métier et son impact émotionnel fort, Vanessa cède. "Mes batteries étaient plates. J'ai dû rendre les armes. Je ne pouvais pas reprendre mon travail sans une coupure bénéfique. Soutenue et encouragée par ma famille, j'ai pu me mettre au repos et reprendre des forces afin de retrouver l'envie", raconte Vanessa.

Mais elle n'a pas pu reprendre dans cette institution : elle a payé le prix fort de la faiblesse qu'elle a eue après 8 années dans ce centre. "Je suis repartie le jour où je suis rentrée. Comme si je n'avais jamais été là… Par la grande porte avec tous les regrets et les compliments de la maison : ma conscience professionnelle, ma rigueur et ma loyauté et les tralalas qui vont avec", explique l'éducatrice.


"J'aime mon métier"

C'est donc dans une autre institution qu'elle décide de reprendre le métier qu'elle aime tant. Depuis 2 ans, elle encadre des enfants handicapés et se "porte très bien". Devenue chef d'équipe, elle peut exercer son métier d'éducatrice spécialisée beaucoup plus sereinement que par le passé.

Pour la jeune femme, ce travail est une vocation : "J'aime mon métier. Il demande un engagement, une forme de don de soi qui correspond à ma philosophie de vie. Travailler pour l'autre, qui plus est en souffrance, est selon moi une bonne raison d'occuper cet emploi."

Au quotidien, une petite phrase de l'auteur américain Anthony Robbins la guide dans son travail : "Il y a une force intérieure dans chaque être humain, qui une fois libérée, permet de transformer chaque rêve, vision et désir en réalité".

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