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Victime d'acouphènes, Patricia vit un enfer depuis 5 ans: "Si on m’annonce que j’ai un cancer, ça sera une bonne nouvelle"

Patricia est victime d'acouphènes depuis 2016. Un soir, elle se couche avec un intense mal de tête. Le lendemain, lorsqu'elle se réveille, elle perçoit un sifflement dans son oreille gauche. Progressivement, ce sont trois acouphènes qui se déclarent. Depuis, elle dit vivre un enfer et confie avoir pensé à l'euthanasie. Elle regrette également le manque de reconnaissance dans le secteur des soins de santé.

Patricia n'oubliera jamais le 27 décembre 2016. Une date qui a "pourri" sa vie du jour au lendemain. L'habitante de Tarcienne (Walcourt) raconte s'être réveillée avec une oreille bouchée et un sifflement aigu à l’oreille gauche. Un médecin lui dit alors qu'elle souffre d'une otite. "Mais après une semaine, l’oreille droite s’est bouchée. J’ai vu un autre ORL qui m’a dit que j’avais un mycoplasme dans l’oreille", raconte-t-elle.

Un mois plus tard, les deux oreilles étaient "bouchées et l’acouphène était plus fort. Je suis allée au centre Messidor à Uccle. Ils m’ont dit que j’avais les trompes d’Eustache détachées. J’ai été mise sous cortisone et j’ai récupéré l’ouïe, mais l’acouphène s’était bien installée", poursuit-elle.

La souffrance est tellement forte que Patricia confie en être arrivée à demander l’euthanasie à son médecin traitant. "C'est insupportable, invivable. Vous avez un sifflement aigu dans l’oreille du matin jusqu’au soir. Vous n’avez pas de repos. Vous ne dormez pas la nuit. Ma fille me disait de me reposer, mais c’était impossible. On n’a plus du tout de concentration. J’étais une épave."

Aucun médicament ne peut arrêter ce bruit

"J’ai dû quitter mon précédent domicile car je ne supportais plus aucun bruit. Je ne mangeais plus, je n’avais plus de goût à la vie. C’est peut-être méchant de dire ça, mais j’avais envie de ressembler aux personnes qui ont perdu un bras ou une jambe, et ne plus avoir ce bruit dans l’oreille. Il n’y a rien qui peut soulager ça. Aucun médicament ne peut arrêter ce bruit", confie Patricia.

En 2019, on estimait que 10% de la population souffre d’une quelconque forme d’acouphène (ou "bourdonnement d'oreille"). Il s'agit d'un traumatisme sonore, une exposition soudaine ou prolongée à un bruit excessif. Concrètement, l'organe auditif signale au cerveau qu'il y a un son alors que ce n'est pas le cas.

"Je suis condamnée. J’ai un sifflement à l’oreille gauche, un à l’arrière et des bruits à droite également. J’ai l’impression qu’il y a une guerre dans la tête car l’acouphène part de gauche à droite. C’est ingérable. Il faut aussi savoir que quand vous avez des problèmes d’ouïe, vous avez aussi des vertiges. Il y a même des soucis au niveau de la vue", explique également Patricia.

En 4 ans, elle a perdu 4 emplois

Malgré de nombreux rendez-vous chez des médecins, des ORL, des neurologues, l'origine de ces acouphènes est introuvable. Depuis déjà cinq ans, ce mal l'handicape. Elle qui était analyste fiscaliste s'est retrouvée incapable de travailler. Manque de concentration, irritations à cause du manque de sommeil, etc. En l'espace de 4 ans, elle a subi 4 ruptures de contrat.  

"A chaque fois, on me dit que je fais des erreurs ou que je ne retiens pas ce qu’il faut faire. A la base, quand je postule je n’explique pas que j’ai ce problème-là. Je me bats avec ça. Ce n’est pas reconnu auprès de la médecine. J’ai été 6 mois en maladie. Le médecin conseil m’a dit qu’il fallait retourner travailler, mais c’est impossible. Quand je sors de là, je suis peinée car je me dis qu’elle ne comprend pas et ne s’imagine pas. Elle ne sait pas. Je veux aussi prouver que je ne suis pas quelqu’un qui se lamente facilement, que je suis une battante. Je retrouve à chaque fois un emploi et à chaque fois je le perds."

Dans la vie de tous les jours, ces acouphènes l'obligent à se protéger, même au restaurant. 

"Je dois d’office mettre des bouchons car le fait d’entendre beaucoup de personnes parler me fait très mal. Je suis obligée de me protéger. Quand vous mettez le bouchon, vous n'entendez que l’acouphène. Ce n’est pas un soulagement, mais j’ai peur que ça s’empire. Je considère ça comme un handicap. Je souhaite en parler au nom de tous les acouphéniques. On est beaucoup."

Patricia a par ailleurs créé un groupe "Vivre avec des acouphènes" sur Facebook pour parler avec des victimes qui vivent ces mêmes douleurs. "J’ai l’impression que quand j’en parle, les gens ne comprennent pas. Je voulais en parler avec des gens qui vivent la même chose que moi. Cela ne m’aide pas à surmonter ce que j’ai, mais je suis un peu soulagée de savoir que je ne suis pas seule. Je n’ai plus cette joie de vivre et je compte les jours qu’il me reste à vivre. Autant j’aurais souhaité vivre âgée, qu’aujourd’hui pas. Je me demande quand ça va s’arrêter. Si demain, on m’annonce que j’ai un cancer, ça sera une bonne nouvelle. J’en suis arrivée là. C’est comme ça."

Pour elle, cette situation est un véritable parcours du combattant car elle ne sait pas à quel médecin s'adresser pour soulager sa souffrance. Elle regrette le manque de considération et de recherche de solutions. 

Mais que peuvent faire les médecins? Comment le diagnostic est-il posé? 

Une personne souffrant d'acouphènes n'est actuellement pas considérée comme travailleur handicapé. Cet handicap invisible est très peu reconnu.

Patrick Levie, ORL au Chirec, explique qu'il est difficile de percevoir les acouphènes. "Un acouphène est un bruit qui est subjectif ou objectif. Objectif, signifie qu’une autre personne peut l’entendre en se rapprochant de l’oreille, mais c’est beaucoup plus rare. La plupart des acouphènes sont subjectifs et dans ces cas-là, seul le patient l’entend."

Comment les dépister?"Il faut que le patient dise "là, j’ai un acouphène qui ressemble à tel bruit, mais il n’y a pas de machine qui permet d’enregistrer ça. On va faire un test auditif et on va voir s’il y a une perte concomitante. Souvent l’acouphène est concentré sur la perte auditive, sinon c’est de bonne foi qu’on doit croire le patient. On ne peut pas l’objectiver, mais les gens ne viennent pas pour s’amuser. S’ils viennent en se plaignant d’acouphènes, ils sont bien là."

Comment apparaissent-elles? Patrick Levie indique qu'il existe deux types d’acouphènes. "Ceux dus à une cause, par exemple une otite, un rhume, un problème de trompes d’eustache. Et il y a aussi les acouphènes idiopathiques, c’est-à-dire sans cause. Il y a des cas où des personnes se réveillent le matin avec un acouphène."

Comment les soulager?

"Chez certaines personnes, cela peut être très handicapant", souligne l'ORL. "C’est permanant, cela empêche de dormir et cela entraîne un phénomène dépressif. Est-ce que c’est l’acouphène qui entraîne la dépression ou le contraire ? Ces personnes-là ont beaucoup de mal à s’en sortir. Il faut prendre en charge tous les côtés, voir s’il n’y a pas moyen de donner des médicaments pour améliorer la fonction de l’oreille: des corticoïdes, des vasculotropes, des médicaments qui apportent un peu d’oxygène à l’oreille.

Patrick Levie conseille par ailleurs de donner des antidépresseurs ou des médicaments contre l’épilepsie. "Il faut également les accompagner avec de l’hypnose. Le sport d’endurance qui développe des endorphines est extrêmement profitable pour les acouphènes. Et les vacances. Les gens qui partent souvent oublient leurs acouphènes. Je dis souvent ironiquement que si l’Inami pouvait payer des vacances aux gens, on soignerait beaucoup de patients. Le problème, c’est qu’il y aurait beaucoup de patients qui viendraient chez moi pour les acouphènes."

Peuvent-elles disparaître ?

"Heureusement, ils disparaissent presque toujours. Parfois ça diminue, mais ça ne disparaît pas, et ils deviennent tolérables et ne gênent pas la personne. C’est surtout au niveau du sommeil qu’il faut prendre ça en compte. Si la personne ne peut pas se reposer, l’acouphène s’auto-entretient. Il faut absolument donner des antidépresseurs à une personne qui a du mal à s’endormir. Ou des moyens comme l’hypnose. Un patient fatigué a plus d’acouphènes. C’est pour ça qu’on a plus d’acouphènes le soir que le matin quand on se réveille. Le cerveau a une espèce de filtre à l’entrée qui permet de couper l’acouphène. Lorsque ce filtre ne fonctionne pas bien, l’acouphène augmente."

Un soutien insuffisant dans le secteur des soins de santé?

L’acouphène "isolé" (qu'un médecin ne peut pas entendre) est très difficile à "objectiver" et le dédommagement est très peu important. "C’est un sentiment de solitude. Après, je comprends aussi que comme il n’y a pas moyen de mettre en évidence de manière objective, c’est la porte ouverte à tous les abus. Des dizaines de personnes pourraient débarquer auprès de l’Inami pour des remboursements." 

"Par contre, si la personne a la chance d’avoir une perte auditive concomitante, on l’objective par un test auditif. On octroie alors un pourcentage et on peut greffer quelques % en plus pour l’acouphène", indique le médecin.

Patrick Levie adresse par ailleurs un message de prévention pour protéger vos oreilles.

"En sortant d’une boîte de nuit, qui n’a pas un peu d’acouphène ? Cela veut dire que c’est un signal d’alarme. Si vous l’avez une heure ou deux, ce n’est pas grave. Mais après si c’est un jour ou deux, ça veut dire que vous dépassez à chaque fois le seuil de tolérance de vos oreilles. Il faut donc sortir plus souvent et laisser l’oreille se reposer ne serait-ce qu’un quart d’heure, puis on rentre de nouveau dans la soirée. Si l’acouphène persiste après une semaine, il faut consulter. Cette personne aura besoin d’aide au niveau médicamenteux." 

Et de conclure: "Quelqu’un qui a un acouphène après une soirée par exemple attend 2-3 jours pour voir s'il passe. Si ça ne passe pas, il faut consulter dans les 15 jours. On aura une chance de l’aider. Car si l’acouphène reste, cela devient beaucoup plus difficile à traiter. C’est vraiment très pénible à vivre. Cela peut entraîner une dépression, qui va alors entretenir l’acouphène et on est parti pour l’effet boule de neige."

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