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"Je bosse dans un supermarché en attendant": malgré la pénurie, Virginie, jeune prof de maths, ne trouve pas d'emploi dans la région de Liège

A l'heure où tous les acteurs de l'enseignement confirment la pénurie de certains professeurs une jeune enseignante liégeoise exprime son incompréhension. "Je suis prof de maths, un métier en pénurie, et je ne reçois aucune offre d'emploi alors que j'ai suivi toutes les procédures", dit-elle. Comment expliquer cette situation?

Il y a quelques jours, nous vous relayions le désespoir de directeurs d'établissements scolaires (primaires et secondaires) confrontés à une pénurie de professeurs. En voyant le reportage à la télévision, Virginie (prénom d'emprunt, car elle souhaite conserver l'anonymat) a ressenti une grande incompréhension. "Je suis prof de maths dans le secondaire inférieur en région liégeoise, j'ai des évaluations positives et pourtant, je ne trouve pas de boulot, affirme la jeune femme de 25 ans, après nous avoir écrit via le bouton orange Alertez-nous. Pourquoi tout le monde parle sans cesse de pénurie de professeurs, dans ce cas?".



La frustration est d'autant plus grande que Virginie déclare être une vraie passionnée. Les maths ne l'ont jamais effrayée, que du contraire. "J'adore ça, en particulier l'algèbre, ça me fascine", nous explique-t-elle. Aucune équation, aussi complexe soit-elle, ne décourage cette jeune femme qui a naturellement choisi de faire carrière dans l'enseignement. "Je voulais transmettre ma passion afin que les jeunes aient moins peur des maths", dit Virginie, qui dit avoir "adoré" faire son régendat pour devenir prof. Par la suite, le terrain et l'expérience en classe sont venus confirmer son intuition: Virginie était faite pour être professeure.


Elle a refusé une offre à Bruxelles: "Plus de 4h en transports en commun"

Mais depuis le mois de septembre, elle n'a reçu aucune offre d'emploi. "La seule que j'ai reçue concernait un emploi à Bruxelles, détaille-t-elle. J'ai calculé qu'en transports en commun, j'en aurais pour plus de 4h aller-retour. Ce n'est pas tenable. J'ai donc renoncé. Depuis, plus rien". Résultat, la jeune femme travaille dans un supermarché. "Je n'ai pas le choix, dit Virginie. Je ne m'en sortirais pas, sinon. Le chômage n'est pas une solution".

Pourtant, depuis qu'elle est diplômée (en 2016), la jeune femme déclare avoir enchaîné plusieurs remplacements dans des écoles. Pourquoi les offres d'emploi ne lui parviennent-elles plus? La législation a-t-elle changé? Les professeurs de mathématiques en secondaire inférieur ne sont-ils plus en pénurie? RTL INFO tente de répondre à toutes ces questions.


Virginie a-t-elle bonne réputation?

Pour expliquer la situation de Virginie, il y a plusieurs pistes. La première est la moins agréable pour la jeune enseignante: Virginie n'a pas d'emploi parce qu'elle a... mauvaise réputation. En effet, bien que le recrutement des professeurs en Fédération Wallonie-Bruxelles soit organisé de façon objective, en fonction d'un ordre de priorité déterminé (voir plus bas), la renommée joue comme dans n'importe quel secteur. "Vous savez, les directeurs parlent entre eux, nous dit une source bien informée. Donc si un jeune professeur fait un remplacement dans une école et que ça se passe mal, il risque d'avoir plus de difficultés à retrouver un job car entre temps, les autres directeurs du coin auront été avertis qu'il n'était pas exceptionnel". La jeune femme assure avoir obtenu des évaluations positives, y compris de la part d'une inspectrice. "Dans son rapport, elle a écrit que mes cours étaient très bien préparés", se souvient Virginie, qui déclare avoir eu de bons rapports avec les directeurs et directrices d'écoles qu'elle a côtoyés.

Par ailleurs, la jeune femme se réjouit d'avoir obtenu de bons résultats avec ses élèves. "J'ai passé beaucoup de pauses de midi avec des élèves en difficulté, décrit Virginie. Après, certains m'ont dit "On commence à apprécier les maths madame!": pour moi, c'est une victoire!". "Il y a une relation qui se crée avec les élèves et c'est ça qui m'intéresse le plus", dit-elle.


La procédure de recrutement serait-elle en cause?

Tous les jeunes profs le savent: le recrutement dans les écoles est compliqué. Plusieurs paramètres entrent en compte. Il serait trop long de tous les détailler, mais en voici les principaux.

D'abord, il y a les différents réseaux d'enseignement qui chacun, d'une part, ont un projet pédagogique propre, et d'autre part, engagent à leur manière. Les procédures varient donc à chaque fois (formulaires à remplir, démarches administratives, etc.). Ainsi, le jeune prof en recherche de travail est invité à prendre contact avec les différents pouvoirs organisateurs qui gèrent les écoles qu'il vise.

L'enseignant veut travailler dans une école gérée par la Fédération Wallonie-Bruxelles? Il doit alors déposer sa candidature en ligne, en janvier sur le portail prévu à cet effet.

Il veut plutôt intégrer une école gérée par la Province? L'enseignant doit envoyer sa candidature au cabinet du député provincial.

Il veut rejoindre une école gérée par la commune? Il doit frapper à la porte de l'échevin de l'enseignement.

Enfin, s'il veut rejoindre une école de l'enseignement libre confessionnel (catholique, musulman, etc.) ou de l'enseignement libre non confessionnel (pédagogie active, etc.), il doit envoyer sa candidature directement à la direction des écoles concernées.

Ensuite, le système de priorité des enseignants les uns sur les autres que les écoles doivent respecter (par exemple, pour enseigner les mathématiques, celui qui a un diplôme de professeur de math sera prioritaire sur celui qui a un diplôme d'ingénieur. Il ne suffit donc pas de faire un excellent travail, ni d'être apprécié dans une école pour être engagé).

Sans parler de l'ancienneté: il faut totaliser un peu plus de 300 jours de service dans un réseau d'enseignement pour espérer décrocher un contrat fixe d'un an dans une école. Après plus de 600 jours, l'enseignant peut même être nommé et avoir une place à vie! Mais s'il change de réseau d'enseignement, ses jours d'ancienneté ne le suivront pas: ils ne sont pas cumulables d'un réseau à l'autre (au contraire de l'ancienneté salariale, qui elle, est comptabilisée, ndlr).

Pour cette raison et parce qu'elle adhère au projet pédagogique, Virginie privilégie l'enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a donc entré, comme chaque année, sa candidature. Un désignateur, actif pour toute la région, est chargé de lui faire parvenir les offres d'emploi.

Elle s'est aussi inscrite au Forem. "J'ai évidemment fait le tour des écoles de ma région, mais depuis la réforme des "titres et fonctions", certaines directions d'école refusent d'accepter nos CV et lettres, des écoles nous ferment les portes car ils ne veulent pas interférer avec le rôle du désignateur. Du coup, certains refusent qu'on leur apporte nos CV", regrette-t-elle.


La réforme des titres et fonctions a-t-elle changé la donne?

Depuis 2016, une nouveauté est apparue suite à la réforme des "titres et fonctions": l'application PRIMOWEB. Son rôle: faire se rencontrer l'offre et la demande en termes d'emplois à pourvoir dans l'enseignement (hormis supérieur, notamment), tous réseaux confondus.

Attention, il ne s'agit pas d'une plateforme sur laquelle les enseignants peuvent consulter les offres d'emploi. Mais elle permet aux enseignants temporaires de manifester leur disponibilité sur le marché de l'emploi. Les directeurs d'école ont, quant à eux, l'obligation lorsqu'ils veulent offrir un poste à un enseignant temporaire, de regarder sur cette plateforme si des enseignants ayant le titres requis s'y trouvent.

S'ils ne trouvent personne, alors seulement ils peuvent proposer le poste à une personne n'ayant pas le titre requis. En effet, la règle de priorité que nous vous expliquions plus haut joue. "Cette mesure a pour objectif de protéger les porteurs de meilleur titre et de leur permettre de trouver plus facilement un emploi", explique-t-on au cabinet de la ministre de l'Enseignement Marie-Martine Schyns.


Il y a une pénurie de prof de maths en secondaire inférieur et supérieur

Mais dans le cas de Virginie, cette nouveauté importe peu car elle détient le diplôme requis pour enseigner sa matière fétiche: les maths. Elle sera donc prioritaire sur tous ceux qui voudraient enseigner les maths sans avoir le diplôme requis. D'autant plus qu'il y a une légère pénurie de professeurs en mathématiques dans le secondaire: dans l'inférieur, 84% des équivalents temps plein disposent du titre requis, 4% d’un titre suffisant et 12% d’un titre de pénurie ou non listé. Cela veut dire que dans 16% des cas, il manque un professeur de mathématiques ayant le diplôme requis pour enseigner les maths. (Le problème est encore plus important dans le degré supérieur, où il n'y a que 46% de titres requis, 29% de titres suffisants et 25% de titres de pénurie ou non listés.

Comment expliquer alors que les offres d'emploi ne parviennent plus à Virginie? Y aurait-il un souci dans la désignation d'emplois en sa faveur?


Virginie est-elle oubliée par son désignateur?

Virginie ne comprend pas pourquoi le nombre d'offres d'emploi a chuté drastiquement. "Avant, le désignateur nous trouvait un emploi dans la semaine, mais depuis qu'il ne travaille plus là, tout a changé", accuse-t-elle. La jeune femme évoque des "difficultés à se faire entendre par mail ou téléphone". "On nous laisse sans réponse", regrette Virginie. Il pourrait donc y avoir un problème en interne, au sein de l'administration. Que faire si c'était le cas? "Si cette jeune professeure estime qu'elle est en droit d'obtenir un poste et que la personne qui s'occupe d'elle est injoignable et qu'elle estime être lésée, elle doit écrire un mail à madame la ministre Marie-Martine Schyns, assure Claude Dogot, conseiller de la ministre à la cellule désignation. De notre côté, nous regardons comment nous pourrons l'aider. Nous demanderons à l'administration les raisons de la non-designation. Il y a peut-être eu une erreur. Si elle estime être oubliée, elle ne doit pas hésiter contacter le cabinet".

Un soutien apprécié par la jeune professeure. "Je vais suivre ce conseil", répond Virginie, qui a hâte d'en finir avec cette situation instable qui freine ses projets de vie. En effet, à 25 ans, la jeune femme est encore coincée chez ses parents. "Je rêve d'avoir mon chez moi, de l'aménager comme je l'entends, dit-elle. Mais avec des rentrées financières instables, ce n'est pas encore envisageable". Un statut d'un an, puis une nomination viendront stabiliser cette situation, permettre à Virginie de voler de ses propres ailes et de quitter le supermarché qui l'emploi pour vivre son rêve d'enseignante.

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