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Avant la centième de Didier Deschamps comme sélectionneur des Bleus, dimanche en Albanie, son fidèle adjoint Guy Stéphan décrit dans un entretien à l'AFP les coulisses de leur complicité, forgée dans le succès et les épreuves: "lanceur d'alerte", il refuse de dire "oui à tout".
"Cela n'aurait pas pu continuer entre nous s'il n'avait pas tenu compte de ce que j'ai pu dire par moments", explique le Breton (125 matches comme adjoint en équipe de France), "homme de l'ombre" auprès de Deschamps depuis 2009.
Q: Vous souvenez-vous de votre découverte de Didier Deschamps?
R: "C'était dans la préparation de l'Euro-2000. Je rejoins le staff de Roger Lemerre, on a nos premiers échanges à ce moment-là. J'avoue que je ne pouvais penser que j'allais, neuf ans plus tard, devenir son adjoint pour au moins dix ans. On a eu des bons échanges à ce moment-là, mais rien ne laissait imaginer la suite. C'était un joueur qui avait beaucoup d'impact dans le groupe. J'étais à peu près sûr qu'il allait devenir entraîneur, il avait toutes les qualités pour, il savait diriger, commander, il était féru de tactique déjà. C'était le lien avec le sélectionneur de l'époque et les joueurs."
Q: Comment s'articule concrètement votre binôme ?
R: "Notre complicité dure depuis plus de dix ans. Elle s'est affinée au fil des temps, au fil des épreuves aussi, parce qu'il y en a eu. Ça n'a pas toujours été facile. On se rappelle du mois de novembre 2013, des quatre jours entre le match aller (défaite 2-0, ndlr) et le retour (victoire 3-0) des barrages du Mondial contre l'Ukraine, il faut refaire le retard et marquer trois buts. Là, il a fallu aller chercher au plus profond de nous-mêmes pour trouver les ressorts nécessaires pour que les joueurs soient au top au match retour. Il y a une complicité, des échanges permanents, en rassemblement et hors rassemblement. Je lui donne mon avis sur ce que je vois, l'observation des matches, le fonctionnement du staff. +In fine+, c'est lui qui prend la décision. Mais ce que j'apprécie c'est qu'il écoute mes arguments et qu'il les prend en compte."
Q: Par rapport à lui, êtes-vous plutôt un conseiller spécial, un copilote ?
R: "Je suis un adjoint. Un adjoint, c'est un homme de l'ombre, c'est aussi un lanceur d'alerte. L'adjoint doit dire ce qu'il voit, il doit échanger avec son N.1, argumenter avec lui. Cela ne doit pas être quelqu'un qui dit oui à tout. D'ailleurs, ça n'aurait pas pu continuer entre nous s'il n'avait pas tenu compte de ce que j'ai pu dire par moments. Il prend la décision finale mais il tient compte de ce que je peux argumenter, que ce soit dans le fonctionnement du staff, l'observation d'un joueur, la construction d'une séance d'entraînement, le choix d'un camp de base."
Q: Avez-vous déjà eu des profonds désaccords avec lui, voire des disputes ?
R: "Des engueulades, non. Mais il y a des moments où on n'est pas forcément d'accord. Il y a une argumentation des deux côtés. Il y a surtout des échanges, c'est ça qui nous fait grandir."
Q: Vous avez été N.1, pourriez-vous le redevenir?
R: "J'arrive à un âge (63 ans, NDLR) où je ne m'imagine pas dans cinq ans, dans deux ans. Je vis très fort ce que je vis au quotidien et je suis content de le vivre. J'aurais aimé que le temps s'arrête un peu le 15 juillet 2018 (en finale du Mondial russe, NDLR), mais ce n'est pas possible, on n'a pas trouvé la machine. Ca reste des souvenirs, et quand il y a des souvenirs il faut aussi penser aux objectifs. Et le prochain, ce sera de penser à l'Euro et d'aller le plus loin possible."
Q: Comment expliquez-vous la longévité de Deschamps qui va diriger les Bleus pour la 100e fois dimanche ?
R: "Déjà, il a 103 sélections en tant que joueur. Cela montre des qualités, une hygiène de vie, une régularité dans la performance, en plus en étant capitaine, en remportant des titres. Et 100 sélections comme entraîneur, ça montre un sélectionneur qui dure. Pas qui est dur (sourire), qui dure dans la durée. Il peut aussi être dur, il peut aussi être exigeant, mais il a su par son management, par ses échanges, faire durer le plaisir. C'est unique en France. La grande difficulté du haut niveau, c'est de rester tout en haut, et lui il reste tout en haut. Pourquoi? Parce qu'il est exigeant avec les joueurs, avec lui-même, avec son staff, et parce qu'il gagne".
Propos recueillis par Antoine MAIGNAN et Jérémy TALBOT.