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Mondial: le débat sur le brassard, "fondamental pour le sport", dit Antoine Duval (institut Asser)

S'il paraît limité au football, le débat sur le brassard anti-homophobie "One Love" au Mondial-2022 est "fondamental" pour la liberté d'expression des sportifs et les relations entre sport et politique, explique Antoine Duval, spécialiste en droit du sport à l'institut Asser de La Haye.

Q: La Fédération allemande de football (DFB) veut contester l'impossibilité d'arborer le brassard "One Love". Or la Fifa n'a jamais communiqué de décision claire: elle a laissé planer la menace de sanctions sportives qui ont suffi à dissuader les sept sélections concernées. Un recours judiciaire est-il possible ?

R: "Le plus simple serait que la Fifa accepte d'aller devant le Tribunal arbitral du sport (TAS). C'est ce qu'il s'était passé dans le cas (de la coureuse sud-africaine de demi-fond) Caster Semenya: il y avait eu un accord entre elle et la Fédération internationale d'athlétisme pour soumettre au TAS la réglementation sur les athlètes intersexes. Si la Fifa est sûre de son fait, quel est le problème ?

"S'il n'y pas d'accord, il faut trouver une décision à attaquer: à mon sens, la DFB peut invoquer le refus de la Fifa de se prononcer sur sa demande (de porter le brassard One Love, NDLR), d'autant qu'il a eu des conséquences économiques: la chaîne allemande de supermarchés REWE a renoncé à son partenariat avec la fédération."

Q: Le règlement de la Fifa impose aux capitaines de porter les brassards officiels en Coupe du monde, et uniquement ceux-là. Sur le fond, que peut répondre la DFB ?

R: "Elle peut placer le débat sur le terrain de la liberté d'expression, en disant qu'il faut créer un espace pour que cette liberté se traduise dans les équipements des joueurs: la zone du brassard, par exemple, ne paraît pas disproportionnée au niveau visuel. L'idée serait d'ouvrir une petite fenêtre d'expression qui soit moins contrôlée par la Fifa.

"L'autre argument, c'est qu'interdire le message +One Love+ semble contraire à l'article 3 des statuts de la Fifa, qui lui impose de +promouvoir+ les droits humains internationalement reconnus. Quand ce texte a été introduit en 2016, au moment où Gianni Infantino a été élu (à la tête de l'instance), c'était une manière de tuer dans l'oeuf un certain nombre de critiques, notamment sur le Mondial qatari. La Fifa n'avait pas forcément anticipé que cet article 3 ouvrirait un potentiel de contestation permanente, au regard des droits humains, de toutes ses décisions."

Q: Quels sont les enjeux pour le monde sportif ?

R: "La question est presque philosophique: où commence et s'arrête la politique ? Avec la lutte anti-homophobie, est-on dans le domaine du politique ou des droits fondamentaux dépolitisés ?

"Il y a une hypocrisie: la Fifa et l'UEFA tiennent en Europe un discours d'inclusion, qui se veut très proche d'un soutien à la communauté LGBT, mais dans le conteste qatari, ce message est mis sous le tapis. Or si le message antidiscriminations correspond aux valeurs apolitiques de la Fifa, pourquoi interdire ce brassard ? Et si c'est politique, ne devrait-on pas permettre aux joueurs et équipes d'exprimer leurs vues de manière restreinte ? C'est une question fondamentale pour le sport et ses organisations."

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