Partager:
Le Conseil d'Etat a rejeté jeudi la requête de "Hijabeuses" qui voulaient jouer au foot voilées, une affaire qui a provoqué une levée de boucliers de la classe politique et d'appels à légiférer sur la question des signes religieux dans le sport.
Dans sa décision, la plus haute juridiction estime que les joueuses sont bien des usagères d'un service public et donc pas soumises au devoir de "neutralité", mais que la Fédération française de football (FFF) peut édicter les règles qu'elle estime nécessaires au "bon déroulement" des matchs.
"Les fédérations sportives, chargées d'assurer le bon fonctionnement du service public dont la gestion leur est confiée, peuvent imposer à leurs joueurs une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions et manifestations sportives afin de garantir le bon déroulement des matchs et prévenir tout affrontement ou confrontation", indique le Conseil d'Etat dans un communiqué.
"Si les licenciés ne sont pas soumis, contrairement aux agents des fédérations et aux joueurs des équipes de France, à l’obligation de neutralité, les règles de participation édictées par ces fédérations peuvent limiter leur liberté d’expression de leurs opinions et convictions pour garantir le bon fonctionnement du service public et la protection des droits et libertés d'autrui", dit aussi le Conseil d'Etat, jugeant l'interdiction édictée par la FFF "adaptée et proportionnée".
"La Fédération Française de Football prend acte de la décision rendue ce jour (jeudi)" par le Conseil d'Etat, indique la FFF dans un communiqué dans lequel elle "réaffirme les valeurs républicaines et citoyennes qui animent le football et son engagement total pour lutter contre toutes les formes de discriminations et promouvoir l'égalité femmes-hommes".
L'avocate du collectif des "Hijabeuses", Me Marion Ogier, s'est dite consternée par cette décision qui "ébranle la laïcité et la liberté d'expression", et "met à mal trente ans de jurisprudence" sur cette question.
- "Très grave" -
"Cette décision va à l'encontre de la cohésion sociale, dans un pays fondé sur la diversité et le pluralisme", a-t-elle aussi déclaré à l'AFP. "Considérer qu'une expression d'une opinion politique, syndicale ou religieuse, est susceptible de créer un risque d'affrontement, est très grave".
Le collectif de femmes musulmanes des "Hijabeuses" contestait devant la justice la légalité de l'article 1 du règlement de la FFF, qui prohibe depuis 2016 "tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale".
Elles s'appuyaient notamment sur les règles de la Fifa qui autorisent depuis 2014 les joueuses à évoluer en compétition internationale avec leur voile.
Au cours de l'audience lundi, le rapporteur public, qui dit le droit et dont l'avis est généralement suivi, avait recommandé de leur donner raison en estimant qu'il n'y avait ni "prosélytisme" ni "provocation" dans le seul port du hijab et aucune "exigence de neutralité".
Le sujet est "important", et la décision du Conseil d'Etat sera suivie de près, avait-il également lancé, mettant en garde contre le "risque" que certains tentent par la suite d'"étendre" l'interdiction du voile à d'autres espaces publics.
La préconisation du rapporteur public avait déclenché une vague de commentaires politiques, à commencer par celui du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin qui a été le premier à dégainer mardi, se disant "très opposé" à ce que le port du hijab soit autorisé pendant les matches de foot. "Le Conseil d'Etat est une instance extrêmement sage. J'espère profondément pour la République qu'ils garderont la neutralité sur les terrains de sport", avait-il dit.
La droite et l'extrême droite ont appelé le gouvernement à légiférer pour interdire les signes religieux dans le sport.
Le gouvernement est "pleinement mobilisé" pour le "respect strict de nos principes républicains dans le sport", avait sobrement déclaré mardi la Première ministre, Elisabeth Borne, à l'Assemblée nationale.
La ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, est allée un peu plus loin. "Nous n'excluons rien", y compris une "évolution du droit", a-t-elle déclaré. "On voit qu'il y a un besoin de clarification".