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Transferts: échanges et plus-values, l'astuce comptable

Un mercato des plus-values et des livres de comptes. Avec les transferts simultanés de Miralem Pjanic et d'Arthur, la Juventus et Barcelone ont mis en lumière une pratique très courante en Italie, celle des faux échanges, très utile en période d'incertitude économique.

. Le mécanisme

Pourquoi parler de "faux échange" ? Parce que si Arthur et Pjanic vont se croiser entre Barcelone et Turin, il s'agit bien de deux transferts séparés. Et même d'énormes transferts, le Bosnien ayant signé pour environ 60 millions d'euros et le Brésilien s'étant engagé dans le Piémont pour 72M.

Les montants sont très importants, mais peu d'argent rentre ou sort réellement des caisses. L'effet sur les comptes est en revanche spectaculaire, grâce à la notion de plus-value.

Car lors d'un transfert, le coût d'achat du joueur est étalé sous forme d'amortissement sur toute la durée de son contrat. Arthur, en signant pour cinq ans, revient ainsi d'un point de vue comptable à moins de 15M sur la saison.

En revanche, la plus-value à la vente (le prix de vente moins la valeur résiduelle du contrat du joueur) est immédiatement inscrite dans les comptes. Et avec Pjanic, la Juventus a fait une plus-value de 42M, la deuxième plus grosse de son histoire après celle enregistrée au départ de Paul Pogba.

"Nous avons pris un joueur que nous suivions depuis des années et qui est plus jeune que Miralem. Et puis, nous avons réussi une superbe opération financière", a résumé Fabio Paratici, directeur sportif du club turinois.

. Spécialité turinoise

Selon le site spécialisé Calcio e Finanza, la Juventus a inscrit dans ses comptes un demi-milliard d'euros de plus-values sur les cinq dernières saisons, dont plus de 150M pour 2019-2020. Des opérations très utiles pour rester dans les clous du fair-play financier alors que le recrutement de Cristiano Ronaldo pèse lourd dans la colonne "dépenses".

Il ne s'agit pas toujours d'échanges, mais le club turinois s'est fait une spécialité de ces mouvements à double sens. Il en avait organisé deux l'été dernier: à droite de sa défense avec le départ de Cancelo à Manchester City et l'arrivée de Danilo, puis à gauche, avec le transfert à l'AS Rome de Spinazzola et l'arrivée de Pellegrini, depuis prêté à Cagliari.

De façon plus discrète, le club turinois enregistre aussi de jolies plus-values avec des opérations similaires sur le marché des jeunes, comme récemment avec Manchester City, qui a transféré à Turin Felix Correia et accueilli Pablo Moreno. A la clé, une opération comptable positive d'environ 10M pour chacun des clubs, pour des joueurs encore loin de l'équipe première.

. Où est le problème ?

Arthur, remplaçant au Barça, vaut-il vraiment 72M deux ans après avoir été payé 31M ? Comment Pjanic peut-il être valorisé 60M alors qu'il a 30 ans et traverse une saison moyenne ?

Aucun instrument ne permet d'établir de façon objective la valeur d'un joueur et rien n'empêche un club de payer "trop cher". Mais pour certains observateurs, le système se prête à des abus.

"Cette créativité de la finance footballistique n'atteint-elle pas un point de rupture ?", s'interrogeait ainsi la semaine dernière le Corriere dello Sport, évoquant une "bulle qui tôt ou tard va exploser".

"On peut élaborer les plus belles opérations de trading sans liquidités dans les caisses. Mais à la fin de l'histoire, les salaires se paient en argent, pas en ajustements comptables", ajoutait le quotidien sportif.

"Le mécanisme peut entraîner des abus quand la cession d'un joueur se fait sans circulation de véritable argent ou via des échanges basés sur des évaluations irréalistes ou fictives, gonflées à la seule fin d'inscrire dans les comptes un revenu important, avec la complaisance du club acquéreur, auquel, peut-être, on rendra la faveur tôt ou tard", explique de son côté le journaliste Marco Bellinazzo, spécialiste de l'économie du football, dans le quotidien Il Sole 24 Ore.

. Quelle solutions ?

"Là où émerge un système visant à embellir ou corriger les bilans avec des ventes gonflées ou fictives, les instances devraient trouver le courage d'établir de nouvelles règles d'évaluation les plus précises possibles pour combattre ce dopage administratif", estime encore Marco Bellinazzo.

En 2018, le Chievo Vérone avait ainsi été sanctionné d'une amende et d'un retrait de points après une multitude d'opérations jugées fictives avec Cesena, qui lui avaient permis d'équilibrer ses comptes et de pouvoir s'inscrire au championnat.

Et au mois de février, la Gazzetta dello Sport assurait que l'UEFA avait un oeil sur la question.

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