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Stève Stievenart, "le Phoque" qui dompte les mers du monde

Spécialiste de la traversée de la Manche à la nage, Stève Stievenart, surnommé "le Phoque" pour son apparence ronde et son régime alimentaire semblables au mammifère, parcourt le globe à la recherche de défis extrêmes, "un voyage intérieur" animé par la volonté de "se reconnecter avec la nature".

La grande plage de sable fin qui borde Wimereux (Pas-de-Calais) est déserte en ce samedi ensoleillé de janvier. Personne n'ose affronter les vagues et le froid de la mer. Personne sauf un homme vêtu d'un simple slip de bain, bonnet et lunettes de natation, qui enlève sa parka et ses tongs avant d'entrer progressivement dans l'eau, son élément.

Deux fois par jour, et quatre fois en nocturne chaque semaine, Stève Stievenart nage inlassablement près de la côte d'Opale et qu'importe si, comme ce jour-là, l'eau est à sept degrés.

Déjà extrême, cette routine permet à l'homme de 46 ans, né dans la Somme mais Wimereusien d'adoption, d'affronter de bien pire supplices.

Comme la traversée de la Manche, considérée comme l'Everest de l'endurance en eau libre, qu'il a réussie une première fois en septembre 2018 en 20 heures et 55 minutes, ou encore trois traversées entre l'Île de Catalina et Los Angeles en 51 heures et 18 minutes.

En tout, Stève Stievenart a traversé le "Channel" cinq fois, dont un aller-retour en 2020 (34h45), ce qu'aucun Français n'avait réussi avant lui, et une fois en établissant le record de la traversée la plus tardive dans l'année, le 11 novembre 2021 (16h47).

- SDF pendant un an -

Son prochain défi est glacial: nager dans le détroit de Beagle, à l'extrême sud du continent américain, puis dans l'Antarctique, où l'eau devrait osciller entre -1 et 0 degré, début février.

Mais lutter contre le froid, "le Phoque" en a l'habitude. C'est "l'ennemi N.1", glisse-t-il de sa voix presque enfantine.

Il mène sa "quête permanente de résistance au froid" au quotidien: pas de chauffage à la maison, seul un poêle à bois dans le salon pour ses invités et pour se réchauffer après l'entraînement, la fenêtre de la chambre ouverte la nuit, la douche dans le jardin, et un short et un t-shirt pour seuls vêtements.

"Nos ancêtres ont passé des périodes glaciaires, c'est dans nos gênes!", assure-t-il.

À condition tout de même de se construire une armure. Ce qu'a fait le natif d'Abbeville en 2017, quand il pesait 63 kilos. Débute une prise de poids volontaire, jusqu'à en peser 110 quatre ans plus tard.

A cette époque, Stève Stievenart sort tout juste d'une rupture amoureuse qui l'a fait sombrer sentimentalement et financièrement. "Tout s'est écroulé jusqu'à un point où j'ai dormi un an dans un hangar, raconte-t-il. Donc il fallait que je m'accroche à quelque chose. Je me suis dit: +C'est quoi ton rêve?+ Cela a toujours été de traverser la Manche, cela allait être le défi de ma vie."

Alors il s'arme d'une épaisse couche autour des organes vitaux en mangeant jusqu'à cinq repas par jour, essentiellement constitués de poissons gras... le régime alimentaire d'un phoque.

S'il en est ensuite arrivé à se faire un nom, et un surnom, c'est aussi grâce à une équipe de 17 personnes qui l'accompagnent dans ses traversées, sur un bateau et des kayaks, dont son entraîneur britannique Kevin Murphy, surnommé le "Roi de la Manche" pour l'avoir lui-même traversée 34 fois.

- Nature et méditation -

Aujourd'hui, à peine Stève "le Phoque" sort-il de l'eau que des promeneurs se dépêchent pour prendre une photo avec la star locale, qui s'exécute dans un grand sourire.

Un paradoxe pour un homme spirituel qui ne court pas après les distinctions, mais bien la symbiose avec la nature. "Je ne parle pas de compétition, de traversée, je parle de voyage intérieur", affirme-t-il.

Plus que les performances, c'est sa rencontre avec des dauphins qu'il met en avant: "Quand vous êtes en train de nager, et qu'une maman dauphin vient avec son petit à deux mètres de vous, et qu'ils échangent un regard, ce regard change une vie. Ils arrivent à un moment de la traversée où je suis en difficulté, j'ai demandé de l'aide à la nature."

Cette connexion avec le vivant, Stève "le Phoque" la cultive aussi à travers la méditation, qui lui permet de "canaliser sa peur" dans un sport où le nageur est une proie de la faune marine et des aléas (morceaux de bois, plastique ou filets de pêche...).

Après l'entraînement, il parcourt la plage jusqu'au point où le sable devient de la boue, à la recherche d'argile dont il s'enduit avant de s'installer en tailleur sur un rocher, tel un yogi.

Aussi cocasse soit-elle, la scène ne fait pas honte à ce marginal, sans diplôme, "pas formaté à un système de pensée". Ainsi est "le Phoque".

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