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Décryptage - Les salles de consommation pour drogués sont-elles des solutions "miracles"?

Depuis cinq ans, les Salles de Consommation à Moindres Risques ont fait leur apparition en Belgique. D'abord à Liège en 2018, c’est ensuite Bruxelles qui accueille ce genre de dispositif en son centre en 2022. Ces endroits, uniques en leur genre, reçoivent les drogués afin qu’ils puissent consommer en toute sécurité. Une équipe pluridisciplinaire surveille leur santé physique et psychologique, un accompagnement social peut également être mis en place. Exposées comme étant la réponse aux problèmes d’insécurité et de santé publique, ces salles sont-elles pour autant la solution "miracle" ?

Se piquer dans un endroit sécurisé plutôt qu’en pleine rue : voici l’un des objectifs des SCMR, autrement dit des Salles de Consommation à Moindres Risques. Il en existe deux en Belgique : Saf’Ti à Liège et plus récemment Gate, à Bruxelles. Depuis 2018, notre pays a rejoint la liste des pays accueillant des SCMR (cent, pour être précis). Le premier dispositif de ce genre a été inauguré en Suisse, en 1988, afin de répondre au problème d’insécurité et de santé publique. L’Allemagne et les Pays-Bas lui emboîtent le pas dans les années nonante, les autres pays volontaires suivent la cadence quelques années plus tard.

Ces espaces sont "des dispositifs de soins intégrés" qui permettent d’"offrir une alternative à la rue pour consommer", explique Bruno Valkeneers, porte-parole de l'ASBL Transit, active dans la réinsertion des personnes dépendantes aux drogues.

La consommation de stupéfiants est intimement liée à la précarité. Actuellement, davantage de personnes se retrouvent sans domicile et n’ont d’autres choix que de consommer à la vue de tous, au risque de se blesser, de contracter des maladies ou de mettre en danger leur vie et celle d’autrui. "Personne n’a envie de ça. On ne connaît aucun usager qui n’est ni fier ni content de consommer dans l’espace public", ajoute ce dernier.

Une nécessité

Les conséquences de la drogue touchent non seulement ceux qui la consomment, mais également tout autre citoyen puisqu’elles sont intimement liées aux problèmes de sécurité et de santé publique. Rien qu'entre mai 2022 et septembre 2023, 13 000 personnes se sont rendues au Gate, à Bruxelles. Ce sont donc 13 000 personnes qui ne se sont pas droguées en rue. Cela signifie moins de risque de tomber sur une seringue usagée ou d’être témoin de ce spectacle incommodant. "Personne n’a envie d’enjamber les personnes qui consomment du crack dans le métro", souligne Bruno Valkeneers.

Par leurs passages au sein des SCMR, les consommateurs limitent la propagation des maladies infectieuses, telles que le VIH ou encore l’hépatite B. Dans le meilleur des cas, la personne accepte un suivi médical plus approfondi et sur du long terme afin de se reconstruire progressivement. Par ailleurs, le nombre de surdoses mortelles au sein des salles est nul en raison de l’encadrement médical.

Selon l'ASBL Transit, les consommateurs réguliers affirment même diminuer leurs doses lorsqu’ils sont en salle de consommation : "Ils ont plus de temps pour préparer le produit, alors qu’en rue, c’est rapide pour ne pas être vu… La temporalité est différente. La rue est un contexte qui maximalise les risques liés à la consommation".

La drogue ne mène pas à la rue, c'est l'inverse

Ces salles, si peu nombreuses soient-elles, sont donc indispensables pour cette frange de la population en situation de grande précarité et de dépendance.

Outre le maintien de l’ordre public, elles permettent avant tout une réappropriation de l’estime de soi et un brin de dignité humaine, des étapes essentielles pour entamer une réinsertion sociale : "Le plus souvent, la drogue ne mène pas à la rue, c’est l’inverse. Le contexte de vie favorise les comportements toxicomaniaques. Ce sont des destins de vie compliqués, des personnes qui n’ont pas eu la même chance que nous".

Ces salles incitent-elles à la consommation de drogue ?

C’est l’une des craintes régulièrement évoquées par les citoyens et les politiques. Pourtant, Bruno Valkeneers est catégorique : cela n’a aucun impact. "On travaille avec un public très précis, très difficile à atteindre par sa précarité", insiste-t-il. Le patient doit tout d’abord s’inscrire. Pour que son dossier soit validé, il doit ensuite s’entretenir avec un spécialiste pour "voir si sa consommation est problématique et régulière".

"On n’acceptera jamais un consommateur récréatif", ajoute-t-il. "Ce n’est pas du tout l’objectif. La plupart des usagers sont les personnes de la rue. Le dispositif est adapté à celles-ci spécifiquement (…). Si vous avez un chez vous ou accès à du matériel médical, vous n’avez aucune raison de venir ici".

"Les riverains soutiennent le dispositif"

Récemment, une étude publiée par le Département de Criminologie de l’Université de Liège met en évidence l’impact des SCMR dans l’espace public. Sophie André, directrice de l’étude, est formelle : "Majoritairement, les riverains soutiennent les dispositifs et partagent des croyances positives". Ces derniers restent cependant préoccupés par l’usage des drogues dans l’espace public de manière générale. Selon eux, le problème ne vient pas de la salle en elle-même, mais "des problèmes qui sont là (la circulation de la drogue, NDLR) et qui ne sont toujours pas résolus".

"Très concrètement, ça permet d’éviter des actes de consommation dans l’espace public. Il y a une vraie réduction des désordres visibles", assure-t-elle. "Néanmoins, il reste toute une série de désordres quand la salle est fermée, par exemple, ou par les personnes qui n’adhèrent pas à ce genre de dispositif".

Qu’en est-il de l’insécurité ?

Ce dernier point, et non des moindres, n’est pas encore objectivé. L’équipe de chercheurs a été confrontée à un biais lors de l'analyse des données : la Police a renforcé ses contrôles et sa présence dès qu’elle a eu vent de l’ouverture de la salle… Les chiffres reflètent l’action policière. "Ce n’est pas du tout interprétable comme cause à effet. On ne peut pas en déduire que l’augmentation du phénomène soit liée à la salle de consommation", estime Sophie André. Pour pleinement analyser les effets de ces SCMR, il faudra trouver des indicateurs plus adéquats afin d'obtenir une analyse plus fine.

Il faut une réponse globale

Les Salles de Consommation à Moindres Risques représentent bel et bien une solution pour enrayer les problématiques liées à la consommation de drogue. Elles ne peuvent cependant à elles seules porter toute la charge de travail. Face à cette situation, Sophie André est claire : "On ne peut pas s’arrêter là, dire qu’on a une solution et "Basta !"".

"Il faut éviter de vendre de l’illusion ou du rêve", renchéri Bruno Valkeneers, "ça doit s’inscrire dans un maillage plus large. Il faut une réponse globale. C’est une question fondamentale de société".

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