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Décryptage - Taxer les riches: au-delà de l'idée, est-ce vraiment réaliste?

Taxer le patrimoine et les grosses fortunes pour "aller chercher l'argent où il se trouve", c'est une idée proposée par les partis de gauche pour, entre autres, réduire le déficit budgétaire de la Belgique. Cette proposition est-elle vraiment réalisable? Quelles pourraient être les conséquences sur l'économie de notre pays si elle était approuvée? Y a-t-il un risque de faire fuir les plus riches vers l'étranger? Décryptage. 

Au lendemain de la fête du 1er mai, les présidents des partis de gauche, dans leurs discours, ont réaffirmé leur volonté de "taxer les riches" pour aller chercher l'argent "là où il se trouve." Paul Magnette, président du Parti socialiste (PS), parle de "rétablir l'équilibre des comptes publics" en taxant "les grandes fortunes et les grands patrimoines."

De son côté, dans son discours du 1er mai, le président du Parti du Travail de Belgique (PTB), Raoul Hedebouw, est revenu sur son projet de "taxe des millionnaires", qui représente l'une des priorités du Parti de gauche pour cette campagne électorale. Il y a quelques mois, le PTB a revu sa copie en matière de taxation: désormais, la taxe des millionnaires s'appliquerait à partir de 5 millions d'euros de patrimoine, et non plus à partir de 1 million comme décidé auparavant. On parle d'un taux de taxation de 2% pour les fortunes nettes allant de 5 à 10 millions d'euros, et d'un taux de 3% pour les fortunes supérieures à 10 millions d'euros. 

Une taxe réalisable?

À quelques mois des élections, nous avons voulu mesurer la faisabilité d'instaurer une telle taxe sur le patrimoine. Pour ce faire, nous avons posé la question à deux économistes. De manière globale, ils sont tous les deux d'accord pour dire que c'est compliqué à mettre en place. "Mesurer le patrimoine de quelqu'un est très difficile", nous dit d'emblée Etienne De Callataÿ. "Combien vaut le garage d'untel, ou le commerce d'untel? Le patrimoine professionnel est exclu, mais pourquoi? Est-ce juste? Si on a un château, ça vaut beaucoup d'argent, mais ça ne veut pas dire qu'on a beaucoup de revenus pour autant. Et on ne peut pas prendre une partie de salle de bain ou de chambre pour pouvoir payer la taxe. Le patrimoine n'est pas toujours sécable", détaille l'économiste. 

Même son de cloche du côté de Bruno Colmant, l'autre économiste que nous avons interviewé. "Une taxe sur le patrimoine est très compliquée à mettre en œuvre, car il faut faire un cadastre des fortunes. Il y a l'immobilier, mais aussi les biens, les bijoux, les tableaux... On peut avoir une personne qui habite dans un château et donc qui a de l'argent. Et quelqu'un qui habite dans un appartement de 30 m2, mais qui achète des tableaux qui ont de la valeur...", explique-t-il. 

De plus, "il y a patrimoine et patrimoine", souligne Etienne De Callataÿ. L'économiste donne en exemple une personne qui économiserait 1 million d'euros pour subvenir aux besoins de son enfant porteur d'un handicap et une personne qui économiserait 1 million d'euros pour s'offrir un vol vers l'Espace avec la fusée de Jeff Bezos. "Ce n'est pas très fin", dit-il. 

Une taxe pour combler les inégalités sociétales?

On observe de plus en plus un creusement des illégalités en Belgique. Et les partis de gauche pensent qu'en taxant les riches, cela permettra de resserrer cet écart. Mais est-ce la bonne manière de demander aux plus riches de contribuer à l'économie belge? Là, encore les deux économistes sont d'accord. Ils répondent "non". Il ne faut pas donner le sentiment de s'en prendre aux personnes les plus aisées. Au contraire, cela doit être présenté de manière positive pour avoir "un consentement." 

"Si on présente l'impôt sur les fortunes comme une vengeance envers les riches, ça ne va pas", insiste Bruno Colmant. Il développe: "Il faut présenter les choses différemment. Cela doit être discuté au Parlement, il faut expliquer l'objectif à atteindre avec cette mesure, mais aussi le message moral que l'on veut faire passer. Il faut dire à quoi va servir cet impôt concrètement. Si je vous demande 100 euros comme ça, vous n'allez pas me les donner. Mais si je vous demande 100 euros parce que je suis responsable d'une fondation pour le cancer ou pour aider dans la recherche d'une maladie, c'est différent."

Il faut trouver de nouvelles sources de revenus, comme par exemple les plus-values

Dans notre interview, l'économiste Etienne De Callataÿ pointe un autre élément: la non-taxation des plus-values. "C'est une chose qui ressort en Belgique", dit-il. Il cite en exemple le cas de l'homme d'affaires Marc Coucke, qui a vendu sa société Omega Pharma avant de racheter Durbuy Adventure. Il a fait une plus-value de 1,45 milliard d'euros sans payer d'impôts. "Si on veut aborder le problème des creusements des illégalités, il faut trouver de nouvelles sources de revenus, comme par exemple les plus-values." 

Mais pour Bruno Colmant, taxer les plus-values est aussi très compliqué à mettre en place. Il ajoute qu'il existe déjà une taxe sur les riches, "c'est la taxe sur les compte-titres."

Quel impact sur l'économie de la Belgique?

Si une taxe des millionnaires est un jour approuvée en Belgique, les conséquences sur l'économie de notre pays seraient "minimes", dit Etienne De Callataÿ. Seules les personnes "très très riches" pourraient être amenées à quitter la Belgique, estime Bruno Colmant. "Un impôt ne touche jamais les très riches, mais les classes moyennes, car ils sont plus nombreux", rajoute-t-il. 

Pour Etienne De Callataÿ, l'effet d'une telle taxe ne serait pas "significatif". "Ça pourrait aider à combler le trou financier public, mais laisser penser qu'il suffit de taxer les riches pour régler le problème de déficit, c'est faux. Le trou à combler, ce n'est pas 10 milliards d'euros mais 30 milliards. Donc il ne faut pas laisser croire qu'en taxant, tous les problèmes seront résolus", insiste l'économiste. 

D'ailleurs, pour la première fois, le bureau fédéral du Plan a fait une estimation de ce que pourrait rapporter une taxe sur le patrimoine. Le calcul a été fait selon deux modèles:

  • Une taxe de 1 % au-delà d'un million d'euros, 2 % au-delà de 2 millions et 3 % au-delà de 3 millions d'euros. Dans cette hypothèse, l'impôt sur la fortune rapporterait 5,4 milliards à l'État.
  • L'autre modèle taxerait le patrimoine à partir de 1,25 million d'euros, avec des taux plus progressifs, et il rapporterait 3,8 milliards.

Ces calculs ne tiennent pas compte des effets d'évitement et d'une éventuelle évasion fiscale. "On estime que le rendement, après une érosion de la base taxable, pourrait rapporter entre 3 et 5 milliards", avait expliqué Baudouin Regout, commissaire au Plan. On est donc loin des 10 milliards avancés par la députée fédérale sortante et 2e sur la liste PTB à Liège, Nadia Moscufo, sur Bel RTL le 13 mars dernier. 

Un point essentiel dans le programme du PTB

À l'approche des élections et donc en pleine campagne électorale, on peut se poser la question de l'intérêt de telles annonces de la part des partis politiques. Peut-on y voir une certaine forme de démagogie? Nous analysons cela avec Pierre Vercauteren, politologue et enseignant à l'UCLouvain. "Du côté du PTB, taxer les millionnaires, c'est un point qu'ils considèrent comme essentiel dans leur programme", indique le spécialiste. 

"Du côté du Parti socialiste, c'est plus variable. Il y a différentes tendances au sein du PS mais on n'a pas vu le PS faire énormément d'efforts à ce sujet dans la législature précédente", souligne-t-il. 

Il faut cependant rappeler que le Parti socialiste, étant dans une coalition avec d'autres partis, a dû faire des compromis durant cette législature. "Mais la taxe sur les millionnaires, c'est un point qui n'a pas beaucoup progressé. Attention, ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas débattu de cela, mais ce point n'est pas aussi important que pour le PTB", analyse Pierre Vercauteren.

"Pour ratisser large"

Le politologue rappelle aussi que cette législature a été "assez atypique." Il pointe notamment le Covid-19 et la guerre en Ukraine. "La taxe sur le patrimoine n'a donc pas été remise à l'avant." 

Par contre, en ce qui concerne la modification de mesure du PTB - à savoir passer d'une taxation sur le patrimoine à partir de 1 million d'euros à une taxation sur le patrimoine à partir de 5 millions d'euros - on peut y voir une forme de démagogie. "Le PTB, dans la période actuelle, et ayant le vent en poupe dans les sondages d'opinion, essaye de renforcer sa crédibilité en renforçant son discours. Il atténue un peu son discours, il essaye de ratisser le plus large possible en évitant de s'aliéner une partie de l'électorat qu'il pourrait arriver à capter", conclut-il. 

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Commentaires

2 commentaires

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  • Ce serait bien de commencer par une plus grande efficacité dans la perception des impôts déjà existants, avec l'engagement de plus de personnel de contrôle, ainsi que l'épuration du code d'impôts sur les revenus d'une série de niches fiscales ...

    Alain T.
     Répondre
  • Malheureusement, les électeurs de la gauche préfèrent croire les Magnette, Edebouw ou Nollet, qui n'y connaissent rien mais qui font de beaux discours que des spécialistes. La gauche ne connait que "dépenser et taxer" !

    Bernard Pirson
     Répondre