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Victime d'un accident, la femme de Jean-François a tenté d'être indemnisée pendant 17 ans avant de décéder: "Cette lenteur judiciaire l'a tuée"

Jean-François, qui nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous, nous fait part de son désarroi. Après avoir perdu sa femme fin 2019, il se bat pour obtenir justice. Il dénonce des lenteurs de la part du système judiciaire belge qui, selon lui, empêchent les victimes de tourner définitivement la page après un accident. 

Le 17 juin 2003, Sylvie est victime d'un grave accident de voiture. Alors qu'elle se trouve sur le siège passager, son véhicule quitte la route et part en tonneaux. L'accident lui laisse de multiples lésions, la jeune femme devient paraplégique. "Elle s’est retrouvée avec de grosses douleurs lombaires qui ont dû être diminuées par une médication assez importante dont de la morphine", se remémore son mari Jean-François. 

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Pendant près de 17 ans, Sylvie se bat pour toucher les indemnisations de son assurance. Jean-François se souvient des rendez-vous et convocations au tribunal, des "dépressions qui s'en suivent". Fin 2020, Sylvie décède des suites d'un cancer de la vessie.
Aujourd'hui, Jean-François se bat pour obtenir justice. "Depuis le départ, ça a été un énorme combat. La lenteur judiciaire est une réalité aujourd’hui", souffle-t-il. 

Dans le cas d’un accident de la route, les justices pénale et civile s’entremêlent. La procédure judiciaire permet aux victimes d’un dommage causé par une infraction de réclamer leur indemnisation devant un juge pénal. L’action civile se greffe alors à l’action pénale.

Je continue le combat, c’est ce qu’elle m’avait demandé de faire.

Après son accident, Sylvie a attaqué son assureur en justice pour obtenir une indemnisation suffisante de son dommage. Vingt ans après son accident, son dossier est encore entre les mains de la justice. Jean-François dénonce un délai interminable. "Cette lenteur l'a détruite. Elle était prête à jeter l'éponge. Elle ne supportait plus ce combat", explique-t-il. Cette bataille est désormais menée par Jean-François qui compte bien obtenir gain de cause. "Tous les intervenants de ce dossier ont laissé ce dossier en léthargie. Je n’ai aucune explication. Je continue le combat, c’est ce qu’elle m’avait demandé de faire", estime-t-il. 

"La longueur est difficile à vivre"
 

S'il nous livre son témoignage aujourd'hui, c'est d'abord pour rendre hommage à sa femme disparue, mais aussi pour représenter toutes ces victimes qui estiment que le traitement de leur dossier judiciaire traîne.
Selon lui, une loi obligeant la justice à rendre son verdict moins de 10 ans après le début de l'instruction pourrait être une solution. "Je prône pour une loi pour que des gens qui se retrouvent devant une situation pareille ne doivent pas attendre autant d’années pour pouvoir profiter et passer à autre chose (...) La longueur de la procédure est douloureuse et difficile à vivre", insiste Jean-François.

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Afin de comprendre pourquoi la clôture de dossiers judiciaires peut prendre du temps, nous nous tournons vers le Conseil supérieur de la Justice. Cet organe est l'une des portes d'entrée (ce n'est pas la seule) pour les plaignants qui estiment que le traitement de leur dossier est trop long. Il est compétent pour les plaintes d'ordre judiciaire et pour le personnel judiciaire. "La justice a besoin de temps pour être rendue. Il est nécessaire qu’elle soit rendue en toute sérénité. La lenteur est donc normale. Mais il peut arriver que certaines situations deviennent anormalement longues ou des dossiers prennent trop de temps. Et là alors, ce n’est plus acceptable", débute sa directrice Valérie Delfosse. 

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Parmi les reproches adressés, on retrouve la lenteur de la procédure, la lenteur du délai de fixation, celle du délibéré ou encore celle de l'expertise. Des lenteurs peuvent alors se trouver à différents niveaux dans une procédure : en amont, en aval et pendant. "Quand on reçoit des griefs, on doit examiner les causes. Il n’est pas rare de voir parmi les causes du dysfonctionnement, le manque de personnel ou de magistrats", explique la directrice. 

Un "gros problème de démocratie et de gestion de justice"

Pour Me Luc Lethé, avocat spécialisé en dommages corporels, le manque de personnel judiciaire est une réelle problématique. En Belgique, selon des chiffres de 2020 communiqués par la Cepej (Commission européenne pour l'efficacité de la justice), on compte 13,2 juges par 100.000 habitants (la moyenne européenne est de 22,2 juges par 100.000 habitants.)

Et selon cet avocat, la conséquence de ce manque d'effectifs est réelle. "Quand il y a des coups et blessures dans un accident, les procureurs de roi poursuivaient d’office pour coups et blessures dans le temps. Maintenant, ils vous envoient une lettre dans laquelle ils vous disent qu’ils n’ont pas le temps de s’en occuper et qu’il vaut mieux vous adresser aux juridictions civiles. Ça pose un gros problème de démocratie et de gestion de justice", assure Me Luc Lethé. 

Sur le plan médical, l’instruction du dossier prend facilement un an.

Mais le manque de personnel ne peut expliquer à lui seul les délais importants que peuvent présenter certains dossiers. Selon Me Luc Lethé, il est important de comprendre que dans le cadre d'un accident, on fait face à une multiplicité d'acteurs. Des longs délais ne sont donc pas toujours évitables. "Les victimes perdent parfois de vue que le dossier doit souvent être étudié d’un point de vue médical d’abord. On ne sait pas indemniser un blessé sans avoir un rapport médical. Faire ce rapport prend du temps, car il y a le médecin de l’assurance, le médecin de la victime, éventuellement le médecin judiciaire. Ils sont surchargés et doivent négocier et discuter et éventuellement envoyer le blessé vers des examens spécialisés. Sur le plan médical, l’instruction du dossier prend facilement un an. Sur les gros dossiers, ça peut prendre 3 ans", détaille l'avocat. 

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Il faut donc parfois attendre plusieurs années avant d'obtenir réparation dans le cadre d'un dossier judiciaire. Pour les victimes, le chemin peut être long et épuisant moralement. Faut-il plaider, comme le souhaite notre témoin Jean-François, pour une loi qui impose un délai maximal ? "C’est une excellente idée. Dans le code civil, on devrait ajouter un chapitre pour tout ce qui touche les réparations du dommage, dont les dommages corporels. Malgré le nombre impressionnant d’accidents et de blessés, les autorités politiques n’ont pas l’air de prendre conscience de l’importance de ce débat. Mettre les machines politiques en route est très compliqué manifestement", conclut Me Luc Lethé.

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Commentaires

2 commentaires

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  • Si un ministre était dans le cas, les lois changeraient beaucoup plus vite.

    Guy Rosoux
     Répondre
  • Si effectivement les magistrats sont surchargés, qu'attend-t-on pour mettre en route un système de médiation? cela existe ailleurs et pour autant qu'il ne s'agit que d'indemnité, les magistrats sont loin d'être indispensable; d'aucun diront qu'ils sont un obstacle! Dans une affaire au civil, le juge d'appel a fixé l'audience à dix ans.... Sur le conseil de mon avocat, j'ai laissé tomber.

    Jean-Pierre Hameleers
     Répondre