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Anne, violée en 1974: "Tout au long de ma vie, je n’ai pas pu maîtriser ces tristesses soudaines"

24h01 est un magazine belge de reportages grand format. Avec ses 200 pages, il prend la place nécessaire pour immerger le lecteur dans une situation, une problématique et aller au fond des choses. RTLinfo.be vous propose le début d'un reportage, extrait du troisième numéro de 24h01, consacré aux conséquences du viol à travers le témoignage de plusieurs femmes

En 1978, deux jeunes Belges, agressées quatre ans plus tôt, remportaient aux assises d’Aix un procès qui allait changer la loi sur le viol. En 2011, une jeune fille de 18 ans pousse la porte d’un commissariat bruxellois pour dénoncer l’agression sexuelle qu’elle vient de subir. La police ne la croit pas. Mais quatre décennies au cours desquelles des milliers de personnes ont dû lutter pour être reconnues, après avoir été dépossédées de leur corps.

Dans leur récit, les mêmes maux. L’acte, la chute, une petite mort. Une chronologie qui, malgré les situations différentes, se répète avec un systématisme interpellant où s’entremêlent blessure ouverte, traumatisme et honte. Le viol bouscule l’identité et vient s’immiscer dans tous les recoins du corps et de la tête. L’oubli, si l’on y parvient, n’est qu’un sursis.

Dans leur récit, les mêmes mots aussi. Ces commentaires, insinuations, jugements, qu’on leur a balancés en sous-entendant qu’elles l’ont un peu cherché. Cette façon de minimiser leur souffrance et l’impact du viol. Cette "pudeur paternaliste" omniprésente qui fait qu’elles ont honte. Au regard dur qu’elles portent sur elles-mêmes s’ajoute le regard empli de préjugés que
la société pose sur leur cas. Les mots sont révélateurs. N’utilise-t-on pas la tournure active "se faire violer" à la place d’être violé ? Oserait-on demander à une victime de braquage, comme on le fait à celle d’un viol, de prouver qu’elle n’était pas consentante ? Quarante ans ont passé, et pourtant des milliers de personnes continuent à être victimes à la fois de viol et d’un système de pensée qui veut qu’elles soient coupables. La justice est rarement là pour remettre les choses à leur place. Seulement 4 % des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation. Face à cela, les personnes agressées font bien souvent le choix du silence, renforçant le tabou dont elles sont prisonnières.

Des maux aux mots retrace le parcours de 8 femmes qui ont choisi de surmonter leur douleur et de parler. 8 témoignages, comme les 8 viols déclarés chaque jour à la police en Belgique. Elles racontent, dénoncent, revendiquent, pour que le silence soit brisé et que la honte change de camp. Elles évoquent aussi l’espoir. Mais surtout, elles nous interrogent. Ne contribuons-nous pas, par notre regard, nos mots ou nos a priori, à faire du viol un tabou dont les victimes sont aussi les coupables ?

ANNE, 65 ans
Année du viol: 1974

J’avais 24 ans, ma compagne 19. Alors que nous faisions du camping près de Marseille, nous avons été réveillées en pleine nuit par trois hommes qui nous ont violées et frappées pendant plusieurs heures. Nous avons immédiatement porté plainte. Nous pensions que la juge d’instruction, une femme, nous soutiendrait. Ça a été l’inverse. Elle a voulu nous faire dire qu’on était consentantes parce qu’on avait fini par arrêter de se défendre. Pour nous, le fait d’être lesbiennes était une preuve de non-consentement. Pour elle, cela signifiait que nous étions des " femmes demoeurs légères ", comme elle disait.

Après bien des péripéties, le procès a finalement eu lieu en 1978 devant une cour d’assises, une première dans l’histoire. Les violeurs ont été condamnés à des peines de prison. Suite au procès, la loi française a été changée. Nous avions gagné, mais nous avons vécu ces années comme des mortes vivantes. Le principal mur à abattre a été le silence autour du viol. Un silence impuissant, celui de nos familles et nos amis, choqués, mais aussi très souvent un silence réprobateur.

Les articles de presse sur le procès étaient gratinés. Ma compagne, qui était tombée enceinte suite au viol, a été poursuivie pour avoir avorté. Moi, j’ai failli être radiée de l’enseignement parce que j’avais osé parler, ce qui portait soi-disant préjudice à l’institution. Des collègues s’amusaient à raconter aux nouveaux élèves ce qui m’était arrivé. Tout au long de ma vie, je n’ai pas pu maîtriser ces tristesses soudaines, mes colères, mon stress, et même mes envies de mourir. Je croyais que c’était moi, que j’étais bizarre. J’ai compris seulement cette année que ces réactions étaient des conséquences du viol, en entendant la psychiatre Muriel Salmona expliquer que le viol est une bombe à retardement. Elle disait aussi qu’il y a moyen de désamorcer cette bombe. J’ai fait de ma vie une lutte pour le droit des femmes. C’est vital, je ne pourrais pas donner une autre forme de sens à mon existence.

Valérie Gillioz

> Les témoignages de 7 autres femmes victimes de viols à lire dans le magazine 24h01

Le magazine 24h01 est disponible dans certaines librairies (voir la liste des points de vente) et peut aussi être commandé en ligne: RDV sur 24h01.be.

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