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En deux jours, Michel doit composer le même numéro près de 1000 fois pour inscrire sa fille à l’école: "C’est scandaleux !"

Inscrire son enfant en maternelle est loin d‘être une partie de plaisir. Malgré les mesures gouvernementales, le manque de places dans les écoles francophones reste réel. La Ville de Bruxelles est particulièrement touchée. Deux pères dénoncent une technique « stressante » et « coûteuse » pour pouvoir y scolariser son enfant.

"Je trouve cela scandaleux que l’on n’ait pas encore trouvé un système plus approprié", déplore Michel, qui habite dans le centre de Bruxelles et nous a alertés via la page Alertez-nous. Comme de nombreux parents résidant dans la capitale, ce chauffeur de bus a dû appeler un "call center" pour pouvoir inscrire sa fille en première maternelle dans une école communale de la Ville de Bruxelles.

Les inscriptions pour les élèves de maternelle et primaire considérés comme "non-prioritaires", c’est-à-dire ceux qui n’ont pas de frère ou de sœur dans l’école communale visée ou qui ne fréquentent pas déjà la même entité scolaire, ont en effet commencé le lundi 5 janvier. Concrètement, les parents ont jusqu’à la fin du mois pour joindre ce centre d’appel téléphonique, accessible entre 8h30 et 13h, en composant le 078/ 155.885.

"On a presque des envies de meurtre, tellement c’est stressant"

Les deux premiers jours sont toutefois les plus intenses. Les appels explosent littéralement. Vu le manque criant de places dans les établissements scolaires, surtout en région bruxelloise, les parents veulent en effet être les premiers à pouvoir inscrire leur enfant. "Le premier jour, j’ai appelé 500 fois le numéro pendant plusieurs heures. La ligne était saturée. Je suis à chaque fois tombé sur un répondeur automatique, me priant de rappeler plus tard. Le lendemain, j’ai été plus assidu. Après 450 appels en deux heures, j’ai enfin obtenu quelqu’un au bout du fil. C’est vraiment une catastrophe. Parfois, on a presque des envies de meurtre, tellement c’est stressant. Et heureusement que j’étais en congé maladie. Sinon, je ne vois pas comment j’aurais pu le faire", souligne Michel, visiblement excédé.

Et il n’est évidemment pas le seul parent à décrire ce genre de problème."Tout le monde essaye d’appeler au même moment. Le premier jour des inscriptions, j’ai téléphoné 250 fois. Sur le coup, je râlais. Nous étions dix de la famille à composer le numéro pour augmenter les chances d’inscrire mon petit garçon en maternelle. Et finalement, c’est ma belle-mère qui a réussi à joindre le centre", assure Paul, un autre père qui nous aussi contactés via notre page Alertez-nous.

"Les premiers jours sont chauds"

Selon l’inspection de l’enseignement fondamental de la Ville de Bruxelles, une dizaine de personnes sont présentes chaque jour au call center pour recevoir les appels des parents. Le 5 janvier, ces réceptionnistes ont répondu à 618 appels. Un chiffre record. "Ce système a été mis en place il y a six ans pour lutter contre le problème des files devant les écoles", indique Patrick van der Hoeven, inspecteur. "Mais c’est vrai que les premiers jours sont chauds. Nous recevons beaucoup de demandes. Le 5 janvier, nous avons inscrit plus de 700 enfants", ajoute-il.

"Chaque appel peut vous coûter de l’argent"

Pour permettre à leur enfant d’être scolarisé dans une école communale de la Ville, les parents n’ont donc pas le choix. Ils doivent faire preuve de patience et de persévérance. Mais les deux pères de famille dénoncent également le coût d’une telle opération. "Si vous n’avez pas un forfait illimité, chaque appel peut vous coûter de l’argent", souligne Michel. "Seuls les parents fortunés ont le moyen de téléphoner sans cesse à un numéro surtaxé. C’est quand même un peu fort. La Ville se fait de l’argent sur le dos des gens", déplore Paul. Malgré ce que pensent certains parents, il ne s’agit toutefois pas d’un numéro surtaxé. Le prix d’un appel est le même que celui d’une communication nationale. "Il y a des fantasmes à ce sujet", regrette Patrick van der Hoeven.

Pour les autorités communales, ce système présente plutôt des avantages. Elles soulignent notamment le fait que les parents reçoivent une réponse immédiate à leur demande. Ils savent tout de suite s’ils obtiennent une place dans une école ou s’ils sont placés sur une liste d’attente. "Je trouve que c’est assez efficace", estime l’inspecteur.

Un système avantageux, selon les autorités

Depuis cette année, ce système de call center en vigueur à la Ville de Bruxelles a d’ailleurs été mis en place dans cinq autres communes bruxelloises (Anderlecht, Saint-Gilles, Evere, Forest et Saint-Josse). Cette harmonisation de la procédure d’inscriptions permettrait plus de clarté et de transparence aussi bien pour les parents que pour les écoles, confrontées au problème récurrent des inscriptions multiples. De nombreux parents, inquiets et désemparés face à la pénurie de places, préfèrent en effet inscrire leur enfant dans plusieurs établissements scolaires. En partageant leurs données, ces six communes participantes pourront donc détecter les doublons et demander aux parents d’exprimer un choix. Ce qui doit permettre de libérer des places et d’obtenir un chiffre plus précis du nombre d’élèves réellement sur une liste d’attente.

Pour ce qui est des autres communes de la capitale, chacune a mis en place son propre règlement en la matière. Les procédures peuvent donc y être différentes. Certaines privilégient par exemple les habitants de la commune.

Et dans l’enseignement libre, la règle dépend du pouvoir organisateur. En général, c’est également la fratrie qui prime. Ensuite, c’est souvent le principe du "premier arrivé-premier servi".

Un plan d’urgence pour créer de nouvelles places

Toutes ces mesures ont en tout cas été prises pour tenter de résoudre un souci commun à tous les établissements scolaires: le manque de places disponibles. "Quatre jours après le début des inscriptions, nous avons eu des problèmes pour inscrire des enfants en maternelle dans les écoles du nord de la Ville, qui sont saturées. La semaine suivante, plus de 730 élèves figuraient sur une liste d’attente. Mais certains d’entre eux sont inscrits dans plusieurs écoles", indique Patrick van der Hoeven.

Face au problème réel de boom démographique, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a élaboré en novembre 2013 un plan d’urgence. Son objectif est de créer d’ici 2017 plus de 15.200 places supplémentaires dans le fondamental, et ce pour tous les réseaux. Articulé en trois phases, ce projet est financé à 100% par le public. 60% des places créées le seront en région bruxelloise, où les besoins sont clairement les plus pressants.

Concrètement, après l’implantation de pavillons mobiles et fixes dans les écoles, des locaux existants qui ne sont pas utilisés comme classes de cours seront rénovés dans les deux années à venir. Ce plan d’urgence s’ajoute à une décision gouvernementale prise en 2010, dont l’objectif est de créer d’ici deux ans 23.500 places supplémentaires "en dur" dans les écoles francophones.

"Il y a toujours une course-poursuite"

Pour les acteurs de terrain, la situation actuelle n’est en tout cas pas optimale. Ils attendent donc avec impatience la concrétisation finale de ce projet pour faire baisser la tension sur les inscriptions scolaires. Et freiner la psychose des parents. "Il y a une amélioration. Mais cela ne compense pas encore l’arrivée de tous les nouveaux dans les écoles. Il y a toujours une course-poursuite. Ces mesures gouvernementales permettent donc de suivre l’évolution, mais avec un retard", révèle l’inspecteur.

Plus d’autre choix pour Michel

A Bruxelles, ceux qui ont eu la chance d’obtenir une place via le call center recevront une confirmation dans le courant du mois de février. Ils devront alors se rendre dans l’école sélectionnée pour conclure l’inscription définitive de leur enfant.

Michel est lui toujours dans l’attente. Après avoir donné des centaines de coups de fil, il a découvert que sa fille, à un jour près, n’a pas l’âge requis pour pouvoir s’inscrire dans une école communale. "L’enfant doit être né entre le 1er janvier et le 30 juin 2013 pour avoir 2 ans et demi à la rentrée prochaine", confirme l’inspecteur. Or, la fille du conducteur de bus va fêter ses deux ans le 1er juillet prochain. "On va donc devoir se tourner vers le privé. On n’a pas le choix", regrette le quinquagénaire.

Julie Duynstee

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