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RL10, le logiciel des années 1970 qui complique le paiement des enseignants: "Il nous rend fou, il y a des collègues qui pleurent!"

Il y a quelques mois, le service chargé de payer les enseignants en Fédération Wallonie Bruxelles s'est mis en grève. Il dénonçait un manque de personnel, mais également la vétusté des infrastructures informatiques, qui compliquent sa tâche au lieu de la simplifier. Julie, qui y travaille, nous explique pourquoi.

En juin dernier, au pic de la période de protestations sociales, le service de paiement des enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles partait en grève pour une dizaine de jours.

Le mouvement visait à dénoncer les conditions de travail des agents en charge de ces paiements. Cela concernait, et concerne encore d'ailleurs, des problèmes liés au manque de personnel (un départ sur cinq est remplacé, selon le syndicat socialiste CGSP), et aux outils administratifs.

Et en particulier, un fameux logiciel qui daterait des années 1970. Il sert de base à l'encodage des paiements de plus de 140.000 membres du personnel enseignant, administratif et ouvrier des écoles. Nous avons essayé d'en savoir plus sur ce fameux logiciel. Julie, qui travaille tous les jours sur cet outil vétuste, nous le fait découvrir.

RL10

Le logiciel très vétuste a été développé au 20e siècle. "Il date des années 1970, c'est quelqu'un du ministère qui l'aurait créé", nous a expliqué cette employée de 40 ans, qui travaille dans aux bureaux de la 'Direction déconcentrée du Hainaut' de l'enseignement.

Ce logiciel répond au doux nom de RL10, qui sent bon les débuts de l'informatique.

"On pensait qu'il ne passerait pas les années 2000, mais il a été rafistolé à l'époque". Il fonctionne actuellement sur de nouveaux ordinateurs, mais le programme reste identique à celui de l'époque, et a donc bien du mal à suivre les changements actuels dans le secteur.

Une 'simplification administrative' qui complexifie les choses...

Contrairement à ce que son nom pourrait suggérer, la simplification administrative, un long processus visant à réduire la complexité de notre administration au sens large, ne facilite pas la tâche de Julie et de ses collègues. "Depuis la simplification administrative, tout est relié, les logiciels doivent communiquer entre eux".

Les responsables du paiement des enseignements doivent donc "employer de plus en plus de codes" qui servent à payer les gens, et notamment à communiquer des informations avec le service des pensions.

"Cela gonfle le programme informatique, on doit insérer tous ces codes, mais on ne sait pas ce qui se passe. Il y a souvent des bugs, des lignes qui s'effacent".

Un triple encodage kafkaïen: des employés en "pleurent"

A l'heure de la digitalisation, on imagine des logiciels efficaces et simples qui font gagner du temps. Mais RL10 et ses quelques rafistolages ont rendu les choses kafkaïennes.

"Depuis 2005, on nous a promis un nouveau programme, utilisant une nouvelle base de données. Le nouveau programme n'est toujours pas là, on nous a juste mis une nouvelle interface. Mais depuis 5 ans environ, on doit déjà remplir la base de données qui servira au nouveau programme. On a donc aujourd'hui un triple encodage: sur papier, sur le programme actuel et dans la base de données qui servira au futur programme".

Julie avoue que "ça les rend parfois fou": "On crie depuis des années que ça ne va pas, on nous avait dit que ce double encodage (informatique, NDLR) ne durerait qu'un an ou deux, mais là ça fait 5 ans".

Elle voit "parfois des collègues qui pleurent devant leur écran".

Quelles sont les conséquences ?

Les principales conséquences de ce système informatique archaïque, c'est une énorme perte de temps et d'énergie pour les employés chargés des paiements. Ceux-ci sont déjà en sous-effectif, car seulement un départ sur 5 est comblé par un engagement.

Ce manque d'efficacité de l'outil et du système en général provoque également des retards dans le paiement de certains enseignants, comme on l'a vu dernièrement (même si le problème concernait principalement la réforme des titres et fonctions).

"Nous, on nous dit que le principal, c'est que les enseignants soient payés. Mais il y a tout de même de grosses pressions".

Le nouveau logiciel "en cours d'implémentation"

Du côté des autorités compétentes, on confirme qu'un nouveau logiciel est en cours de développement. "Il y a une réécriture complète du système de paie, et il est en train d'être implémenté", nous a expliqué Eric Etienne, le porte-parole de la Ministre de l'Education, Marie-Martine Schyns, Ministre de l’Education et des Bâtiments scolaires depuis le mois d'avril 2016.

Mais cette implémentation prend du temps, raison pour laquelle les employés comme Caroline doivent prendre leur mal en patience. "C'est une obligation, car il faut continuer à payer les enseignants".

L'autre raison est la complexité des logiciels concernés, qui englobent désormais beaucoup de fonctions. Parmi ces logiciels, il y a DESI, qui "rassemblera la gestion de tous les paramètres (liés au paiement du personnel): désignation, affectation, statut, congé, absence, ancienneté, etc...".

Concernant le triple encodage actuel, le porte-parole de la Ministre nous a confirmé qu'en effet, "après la paie, les données sont versées dans d'autres systèmes, pour des contrôles, par exemple".

A quand une véritable simplification du travail de Julie et de ses nombreux collègues du service de paiement du monde enseignant ? "A la rentrée 2017, il y aura une phase de déploiement pilote, car si on va trop vite et qu'il y a un problème, c'est plus de 100.000 personnes qui sont concernées. Le déploiement total est prévu pour 2019".

Cinq 'bureaux déconcentrés' par secteur: pourquoi ?

Parallèlement à la vétusté des infrastructures informatiques, le service de gestion du personnel de l'enseignement doit faire face à une certaine décentralisation. Celle-ci ne pose pas spécialement de problème, mais elle ajoute une couche à la complexité du service de paiement en général.

Ce service est en réalité divisé en "cinq bureaux déconcentrés par secteur (enseignement subventionné et enseignement organisé)". Julie travaille dans celui de Charleroi, qui gère les paies pour le Hainaut. "On travaille donc par région. On est 30 à Charleroi mais à Nivelles, par exemple, ils ne sont que six".

Il y a donc 10 bureaux en Fédération Wallonie-Bruxelles (cinq par secteur). D'où vient cette organisation si dispersée ?

"Il y a des raisons historiques. Avant, il y avait beaucoup plus de papiers qui circulaient pour la paie. Il fallait donc une certaine proximité avec les écoles", selon Eric Etienne, porte-parole de la Ministre de l'Education.

A priori, cette organisation ne va pas être bouleversée dans les années à venir. "Il n'y a pas de volonté de revoir cela, mais quand tout sera optimisé, on se posera des questions". On peut également penser en sens inverse: "il peut être intéressant de garder des bureaux décentralisés pour le personnel en région, pour des questions de mobilité".

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