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La synagogue de la Victoire, étendard du judaïsme français, célèbre ses 150 ans

Le capitaine Dreyfus s'y est marié, comme Léon Blum, et le lieu "a épousé tous les drames" du pays, ses joies aussi: la synagogue de la Victoire à Paris célèbre les 150 ans d'une "histoire d'amour" contrastée entre les juifs et la France.

L'anniversaire prend la forme d'un livre, présenté dimanche. Si la célébration est discrète, l'ouvrage paru aux éditions Porte-Plume est imposant, à la mesure d'une des plus grandes synagogues européennes, qui peut recevoir près de 2.000 fidèles.

Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, y voit "l'incarnation du franco-judaïsme", synthèse mêlant foi et citoyenneté. "Le symbole", dit-il à l'AFP, d'une "insertion pleine et entière dans la société française" de la première communauté juive d'Europe, évaluée à un demi-million de membres.

C'est en 1867 que les travaux commencent, dans le quartier d'affaires en développement de la Chaussée d'Antin (IXe arrondissement). La synagogue Nazareth, inaugurée quinze ans plus tôt dans un environnement moins prestigieux, était jugée trop exiguë par le Consistoire, l'instance représentative du judaïsme.

Rue de la Victoire, qui donne son nom à cette nouvelle "grande synagogue de Paris", le projet signale une "volonté d'affirmer l'égalité complète du judaïsme français avec les autres cultes", explique l'historien Claude Nataf. "C'est une cathédrale", abonde son président Jacques Canet, rappelant que le bâtiment est le siège des grands rabbins de France et de Paris, et qu'il abrite dans ses dépendances les services centraux et parisiens du Consistoire.

Sur un terrain offert par la famille impériale à la ville, un vaste édifice de style roman, néo-byzantin et Second empire s'élève, orné d'un escalier d'honneur, de fenêtres et rosaces en vitrail, de candélabres en bronze doré... Le chandelier en argent massif est un don des Rothschild, principaux mécènes du monument - les descendants ont toujours leurs noms gravés sur un banc.

La synagogue de la Victoire ne sera ouverte au public qu'en 1875, retardée dans son chantier par la guerre de 1870 et la Commune. Meurtrie avec ses fidèles "morts pour la France" en 14-18, elle est la cible d'un attentat à la bombe en 1941, et sa majestueuse arche sainte (contenant les rouleaux de la Torah) est profanée l'année suivante par des miliciens. Miraculeusement, les rafles n'ont pas atteint ce "centre de résistance spirituelle au nazisme", selon les mots de Jacques Canet.

Mai-1968 est passé par la Victoire, mais à front renversé: des étudiants occupent des locaux attenants à la "syna" pour obtenir - avec succès - que l'orgue (classé) se taise lors du shabbat et que les choeurs ne soient plus mixtes mais masculins, en vertu d'une stricte lecture de la loi juive. Plus tard, le recours au micro sera supprimé lors des offices de fin de semaine.

- Orthodoxe moderne -

Les responsables communautaires maintiennent une forme de séparation entre hommes, assis dans la nef, et femmes, accueillies dans les tribunes latérales. Mais pour orthodoxe qu'il soit, le judaïsme du Consistoire, a fortiori celui de la Victoire, se veut moderne, laïque, ouvert. Cette synagogue "a toujours été à l'avant-garde du dialogue interreligieux", fait valoir le grand rabbin Korsia.

Le lieu se veut accueillant à "toutes les sensibilités de la communauté". Fondé par des ashkénazes et attaché au rite alsacien-rhénan, il abrite deux oratoires égyptien et tunisien.

Vaisseau amiral du judaïsme français plutôt que synagogue de quartier, moins religieuse que d'autres, la Victoire demeure avant tout le cadre des grandes cérémonies officielles.

"C'est le lieu où des présidents, des Premiers ministres viennent dans la douleur prendre dans leurs bras la communauté juive nationale, et parfois dans l'allégresse fêter de beaux moments", résume Haïm Korsia. C'est ici que la journée du 11 janvier 2015 s'est achevée, après la marche historique organisée à la suite des attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher.

Tout en disant leur attachement à Israël, la Victoire, et les synagogues consistoriales avec elle, continuent d'élever chaque semaine une "prière pour la République française". "Elle devrait être dite dans les églises, temples et mosquées", relève Jacques Canet.

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