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Décryptage - Turbulences: les changements climatiques rendent-ils les vols en avion plus dangereux ?

À la suite de graves turbulences survenues lors d'un vol entre Londres et Singapour, qui ont coûté la vie à un passager et blessé plusieurs autres, plusieurs questions se posent. Le changement climatique va-t-il aggraver ces phénomènes, comme le supposait récemment une étude britannique ? 

En 2023, une étude britannique publiée dans la revue Geophysical Research Letters révélait une conséquence supplémentaire du dérèglement climatique: une augmentation significative du nombre et de la durée des turbulences en avion. Une étude qui s'appuie sur quatre décennies de données atmosphériques (1979-2020).

D'après les chercheurs, au cours de cette période, la durée annuelle totale des turbulences fortes au-dessus de l'Atlantique nord a augmenté de 55 %, passant de 17,7 heures en 1979 à 27,4 heures en 2020. Les turbulences modérées ont augmenté de 37 %, de 70 à 96,1 heures, tandis que les turbulences légères ont connu une hausse de 17 %, de 466,5 à 546,8 heures.

D'autres itinéraires de vol très fréquentés au-dessus de l'Europe, du Moyen-Orient ou encore de l'Atlantique Sud ont également connu une hausse significative des turbulences.

Une étude à prendre avec prudence

D'après cette étude, ce phénomène concerne les turbulences "en ciel clair", invisibles, contrairement aux turbulences liées à des orages ou à des nuages, mieux détectées par les radars. Ces turbulences sont causées par des changements de vitesse et/ou de direction des vents. Avec le réchauffement climatique, ce phénomène deviendrait plus fréquent.

L'augmentation des températures globales provoquerait des modifications du "jet stream", ce vent de haute altitude soufflant entre 200 et 300 km/h. La trajectoire des courants deviendrait plus sinueuse et chaotique, entraînant ainsi davantage de turbulences. "Il faut rester prudent sur les conclusions de cette étude" pointe d'emblée David Dehenauw, météorologue à Institut royal météorologique (IRM). "Cette étude affirme que l'augmentation du cisaillement de vent renforce le jet-stream. Or, il y a d'autres études qui disent exactement l'inverse, soit que le jet-stream s'est affaibli à cause du changement climatique. Ce courant provient d'un contraste thermique entre le pôle Nord et l'équateur. Ce n'est donc pas certain qu'il y ait une augmentation des turbulences en air clair. Il faudrait être prudent et attendre les résultats d'autres études à ce sujet, car il n'y a pas encore de consensus" nuance le météorologue.

Mais alors, qu'en est-il du côté des pilotes, étant eux-mêmes les premiers témoins de ces phénomènes ? Là aussi, les avis sont partagés. "Il y a une évolution depuis des années. Les phénomènes sont plus violents, plus répétitifs" affirme Jean-Pierre Ghossez, instructeur de vol, qui fait surtout allusion aux phénomènes brusques et intenses, tels que des orages. "Vous voyez des villes de France qui se retrouve sous 50 centimètres d'eau, alors qu'on n'a jamais vu ça auparavant. Donc forcément, ce que vous ramassez en bas, vous le ramassez en haut. Donc si ça vient d'en haut avec cette violence-là, c'est qu'en haut, c'est plus violent que ça ne l'était avant."

Concernant les turbulences en ciel clair, soit celles concernées par l'étude britannique, l'instructeur se veut plus mesuré, même s'il concède une augmentation de celles-ci."Auparavant, les turbulences en air clair, on en avait une "bonne" en 10 ans, maintenant, on en a à peu près une par an" expose celui qui vole depuis plus de 60 ans. "Mais ça, c'est un phénomène créé en altitude et n'ayant rien à avoir avec la température au sol, et donc a fortiori avec le changement climatique."

Bien qu'elles soient invisibles, les avions ne sont pas pour autant sans ressources pour affronter ces turbulences. "On a des systèmes de détection pour ces vents de cisaillement. Forcément, s'il y a du frottement, ce sera perçu par l'informatique. Il y a donc déjà des moyens d'affronter cela, même si le risque 0 n'existe pas" explique-t-il.

Plus de vols qu'auparavant

"Pour moi, il n'y a aucun lien avec le réchauffement climatique", expose Behrouz Shahabpour, ex-pilote de ligne qui a commencé sa carrière en 1984. "Cela a toujours été un phénomène localisé, dû à des phénomènes météorologiques naturels."

Selon lui, plusieurs facteurs permettent d'expliquer cette augmentation de turbulences : "Il y a énormément plus d'avions qui volent maintenant que lorsque j'ai commencé il y a 40 ans. Sur les 20 dernières années, le trafic aérien a doublé. Le risque de rencontrer des incidents, et donc des turbulence est forcément plus élevé" nuance celui qui a volé autour de l'ensemble du globe durant toute sa carrière.

L'ancien pilote de ligne pointe aujourd'hui aussi l'importance de la "mesure objective" des phénomènes météorologiques ou autres qui peuvent impacter le bon fonctionnement d'un vol. "Il y a 40 ans, on n'avait pas de système informatisé comme aujourd'hui, où systématiquement après chaque vol les pilotes font un rapport qui est transmis à la compagnie aérienne et à l'administration aéronautique et puis diffusé dans les bulletins de sécurité mondiale ou régionale. Cela n'existait pas au début de ma carrière. Là où maintenant, plusieurs rapports sont réalisés pour un phénomène d'intensité moyenne, ce n'était pas le cas dans le passé. On n'avait pas cette obligation de rapporter tout ce que l'on rencontrait sur un vol" explique l'ancien président de l'association des pilotes. "Qu'il y ait beaucoup plus de rapports de turbulence maintenant est donc aussi dû à ce nombre bien plus important de rapports qu'avant."

D'augmentation de turbulences, il n'en est donc pas question selon lui, que du contraire."Par exemple, on peut anticiper beaucoup de choses au niveau météo, grâce à des modèles plus précis qu'il y a 40 ans. Par exemple, sur l'Atlantique, on demande à certains avions de donner des informations météorologiques au passage de chaque 10 degrés de longitude. Grâce à ses informations, les cartes météorologiques sont constamment ajustées pour les autres avions. Et Behrouz Shahabpour de regretter l'impact qu'une interprétation abusive du changement climatique pourrait avoir sur l'opinion publique. "Il ne faut pas non plus faire feu de tout bois sur le changement climatique et lier chaque événement à cela", explique-t-il, faisant référence à l'incident du vol vers Singapour. "Cela fait peur aux gens alors qu'il y a déjà assez d'appréhension de la part du public à prendre l'avion. Il faut éviter de faire peur aux gens pour quelque chose qui n'existe pas."

 

 

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