Partager:
"Il n'y a pas de plus beau musée au monde", confie jeudi à l'AFP Emmanuel Kasarhérou, tout nouveau président d'origine kanak du Musée du Quai Branly Jacques Chirac, lieu unique de "dialogue des cultures", dont il veut préserver l'originalité tout en élargissant son public.
"C'est un grand honneur" pour "un parcours atypique comme le mien", dit-il simplement, interrogé dans les jardins du musée fermé depuis plus de deux mois, alors qu'il est la première personnalité de Nouvelle-Calédonie à se retrouver à la tête d'un grand musée parisien.
Un geste de reconnaissance pour sa culture kanak? "Cela vient dénoter que, quand on est une infime partie de l'humanité, on a aussi des choses à dire qui peuvent nourrir le reste de l'humanité!".
Emmanuel Kasarhérou, 60 ans, qui a encore sa mère, son frère, sa famille paternelle là-bas, reçoit un flot de mails "de gens que je n'ai pas vus depuis très longtemps. A travers moi, c'est aussi eux qui sont reconnus".
Une de ses priorités, assure-t-il, sera d'"inventer les médiations nécessaires" et de "baliser le chemin" pour que les publics "s'élargissent, car ce musée réfracte des patrimoines de toute la planète. Notre population dans le grand bassin parisien réfracte aussi des cultures qui viennent de tous les endroits du monde".
- Plaidoyer pour la "co-construction" -
Sur la question délicate des restitutions d'objets collectionnés pendant la colonisation -alors que le Quai Branly rassemble en France la majeure partie des objets d'"arts premiers" provenant d'Afrique, d'Asie et d'Océanie- le nouveau patron du musée affiche son approche "pragmatique", car "il n'y a pas une seule typologie: chaque objet est singulier, chaque histoire singulière".
Ayant dirigé le Centre culturel Tjibaou à Nouméa, sa ville natale, il comprend de l'intérieur cette question sensible: "J'ai eu à (la) connaître comme directeur d'un musée du sud s'adressant aux grands musées du nord".
En cas d'"objets pour lesquels la possession dans un musée national peut poser question, il nous appartient nous conservateurs d'instruire leur situation", admet-il.
Et puis, ajoute-t-il, "il appartiendra à la nation de savoir si elle souhaite faire retour aux populations" les objets qui leur avaient été "pris dans des situations de contrainte". Ou encore "parce que ces objets auraient une signification particulière pour certains peuples".
Mais, M. Kasarhérou, qui travaille depuis neuf ans au Quai Branly, juge qu'il "ne faut pas considérer que les musées sont des endroits de recel. S'il y a eu des situations de ce genre, elles restent malgré tout minoritaires. Il faut les traiter. Et faire en sorte que le reste de la collection puisse voyager, être partagée" avec les musées du sud.
"Je crois beaucoup à la co-construction", souligne le nouveau président du Quai Branly: l'analyse "sur les collections, leur légitimité, on ne peut pas la faire de manière unilatérale, mais en dialogue avec les musées des pays d'où proviennent les objets".
Un musée, analyse-t-il, "c'est un endroit où est préservé une parcelle du patrimoine de l'humanité, et cette parcelle appartient à tous, même s'il y a une nation qui en assure la conservation par les frais qu'elle engage".
Ce grand expert des arts premiers considère comme un plus qu'un objet utilitaire ou cultuel prenne une autre signification dans un musée, devenant oeuvre d'art: "une sculpture de Nouvelle-Calédonie dans un musée, ce n'est plus la sculpture qui était dans tel bois sacré! Le musée permet d'avoir une sorte de distance avec sa propre culture. Et un regard plus large qui permet une sorte de passage de culture à culture, d'objet à objet".
Pour Emmanuel Kasarhérou, l'histoire de ce musée "est fondée sur la curiosité". Et il ne voudrait surtout pas que son originalité "s'affadisse en rentrant dans une forme de routine".
"Son ADN, c'est la variété". "variété d'histoire, variété de collection, de conceptions d'être au monde, de voir le monde. C'est ce qu'il faut qu'on arrive à préserver et à partager", plaide-t-il avec passion.