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Kevin Mention, avocat des coursiers et pourfendeur acharné de l'ubérisation

Deliveroo, Uber, Frichti, Stuart...: les grandes plateformes technologiques ont appris à ferrailler avec l'avocat Kevin Mention qui en quelques années s'est engagé à bras le corps dans la défense des droits sociaux des livreurs.

A 35 ans, cet expert de la requalification de contrat totalise plus de 500 dossiers d'indépendants, dont une soixantaine se sont portés parties civiles lors du procès Deliveroo qui s'ouvre mardi.

L'unique condamnation à ce jour du spécialiste britannique de la livraison de repas, en première instance aux prud'hommes en 2020, figure d'ailleurs à son tableau de chasse.

"S'il sent une injustice, c'est un bouledogue", raconte son cousin Romain Latournerie qui attribue cette hargne à ses démêlés avec France Télécom (devenu Orange, ndlr), groupe pour lequel il a travaillé comme vendeur pendant cinq ans.

"C'est fondateur de sa personnalité", témoigne Augustin Mercier, un ami étudiant. "Il a connu lui-même les abus et maintenant il combat l'injustice".

Celui que ses copains d'école dans sa région niçoise appelaient déjà "Maître" pour sa faconde et ses plaidoiries de conseils de classe, a découvert la face sombre du monde professionnel lors de ses jobs étudiant.

D'abord chez McDonald's, où il fut confronté à un "management tyrannique" selon ses termes, puis surtout lors des dérives de l'opérateur télécoms.

"L'année de la vague de suicides, on commence à subir une pression énorme, se souvient-il. Tout se dégrade", si bien qu'il se sent volé.

Un an avant d'obtenir son diplôme, l'apprenti-avocat attaque France Télécom devant les Prud'hommes en quittant le groupe en 2010.

Après presque 12 ans de procédure et un passage par la Cour de cassation, l'épilogue est attendu en juin.

"Ce sentiment d'injustice m'a donné envie de faire du droit du travail". Alors qu'il se destinait à devenir fiscaliste, la fibre sociale l'a attrapé.

"Un salarié a failli faire couler la boîte de mon père", se souvient encore son cousin. "Pendant trois ans, il a tout géré. On a été intégralement remboursés. C'est une force de caractère".

"Pour lui, la vie est un combat", appuie son ami étudiant. "Peut-être parce qu'il vient d'un milieu ouvrier".

- "Il a la rage" -

Père serveur, bagagiste puis taxi, mère secrétaire et aide-soignante, ce fils unique, bon élève, a grandi dans un milieu modeste.

"Mes deux parents n'ont pas fait d'études mais ils m'ont poussé, laissé libre et m'ont intéressé à lecture", explique celui qui a aussi suivi des enseignements à HEC, prestigieuse école de commerce.

"A la fin de la carrière de mon père, j'ai vu arriver l'ubérisation quand il était taxi. J'ai réalisé comment fonctionnait cet univers, je lui ai conseillé de prendre sa retraite le plus tôt possible", poursuit Me Mention.

La chute de la plateforme Take Eat Easy et l'arrivée des premiers livreurs dans son cabinet provoque un déclic en 2016.

"La veille de l'annonce de la faillite, les dirigeants faisaient la fête et se faisaient livrer des repas commandés sur la plateforme en sachant que ni les coursiers ni les restaurants ne seraient payés", s'étrangle-t-il encore.

"Un jour, à HEC, un professeur a été absent. Kevin voulait poursuivre l'école car il avait payé 17.000 euros et le nombre d'heures d'enseignement au contrat n'était pas respecté", rigole encore M. Mercier.

"Kevin a la rage, la hargne. Il clive: soit on l'adore, soit on le déteste. Mais on m'a souvent dit qu'il fallait mieux l'avoir dans son camp que l'inverse", poursuit-il.

Ses adversaires des plateformes évitent de l'attaquer de front. Le pot de fer numérique veille à marginaliser ce pot de terre à la verve acide et les critiques se concentrent sur sa tendance à enjoliver ses succès, occulter ses échecs ou encore un supposé "racolage" de clients via les réseaux sociaux.

"Il y a des coups bas", estime Kevin Mention. "Ces plateformes n'ont aucune envie de négocier, d'écouter, d'infléchir leur politique. Mais j'en veux surtout aux politiques qui cassent le marché du travail".

"Il est brut de décoffrage", reconnaît son ami Augustin Mercier. "Il dit les choses. Si ça fait mal, il s'en moque un peu, il trace sa route".

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