Les Anglais votent ce jeudi, pour ce qui est considéré outre-Manche comme "les plus grandes élections d'une génération", comme le titre le quotidien très populaire The Sun en début de soirée.
Il y a effectivement des files au coin de nombreuses rues du pays, où les bureaux de vote (des écoles, des églises ou des salles de fêtes) sont pris d'assaut comme rarement auparavant. Les bureaux ont ouvert à 7h jeudi matin et fermeront à 22h.
D'après la presse anglaise, il n'y avait pas eu autant de votants dans la capitale, Londres, depuis des dizaines d'années, laissant présager un très grand taux de participation. Or on le sait, c'est dans les grandes villes qui se trouvent la plupart des Britanniques qui ne veulent pas du Brexit.
Cependant, d'après Tim Bale, professeur d'université cité par The Sun, l'engouement ne fait pas forcément pencher les élections en faveur de tel ou tel parti. "Ça dépend qui se trouvent dans les files", ironise-t-il. Il admet tout de même que "s'il y a beaucoup de gens motivés pour voter, qui ne voteraient pas en temps normal, ça pourrait être un bon signe pour le Leave, comme lors du referendum pour le Brexit". Le "Leave", c'est le fait de "quitter" l'Europe, donc ce sont les pro-Brexit.
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Brexit avec Boris, Referendum avec Jeremy
Le pays embourbé dans le Brexit depuis son vote à 52% lors du référendum de 2016. C'est justement pour sortir de l'impasse que le Premier ministre conservateur Boris Johnson a voulu ces législatives, les troisièmes en quatre ans. Il espère obtenir la majorité absolue qui lui faisait défaut pour tourner la page de cette saga profondément clivante au Royaume-Uni.
Mais si les tories ont toujours dominé leurs rivaux travaillistes dans les sondages, le scrutin s'annonce serré au vu des dernières enquêtes d'opinion.
"Réalisons le Brexit!" : Boris Johnson, 55 ans, l'a répété comme un mantra tout au long d'une campagne sans relief. "Donnez-moi une majorité et je finirai ce que nous avons commencé - ce que vous nous avez ordonné de faire - il y a trois ans et demi", a promis l'ex-maire de Londres qui, malgré ses gaffes à répétition, a réalisé l'ambition d'une vie en prenant la tête de l'exécutif en juillet. "Imaginez comme il sera merveilleux de s'attabler autour de la dinde de Noël, le Brexit réglé", a-t-il poursuivi dans un clin d'oeil aux électeurs favorables au "leave". Outre l'unification du pays, il s'agit d'enfin pouvoir s'atteler aux "priorités" des gens, comme la santé et la sécurité, a affirmé le dirigeant, accusé de récupération politique après l'attentat meurtrier de London Bridge fin novembre. En cas de victoire, Boris Johnson veut soumettre l'accord de divorce qu'il a négocié avec Bruxelles au Parlement avant Noël avec l'objectif de pouvoir mettre le Brexit en oeuvre le 31 janvier, date à laquelle il est désormais prévu après trois reports. "L'accord est prêt. Mettez-le juste dans le four", a-t-il régulièrement plaisanté, n'hésitant pas à pulvériser au bulldozer un faux mur symbolisant "l'impasse" du Brexit. Mais au dernier jour de la campagne, l'opposition a une fois de plus dénoncé ses mensonges, son affirmation de pouvoir boucler un accord commercial post-Brexit en moins d'un an avec l'UE étant jugée irréaliste à Bruxelles, selon la presse.
Plus sobre, Jeremy Corbyn, vétéran de l'aile gauche du Parti travailliste, n'en a pas moins promis un "vrai changement" après presque une décennie de pouvoir conservateur, lors d'un dernier meeting mercredi soir à Londres. Nationalisations et investissements massifs dominent son programme, surtout dans le service public de santé (NHS), affaibli par des années d'austérité. Misant à bloc sur cet autre grand sujet de préoccupation des électeurs, le chef du Labour n'a eu de cesse d'accuser les conservateurs de vouloir brader aux Américains, après le Brexit, cette institution gratuite et chérie des Britanniques. "Le choix auquel vous êtes confrontés, vous le peuple de ce pays, est véritablement historique", a-t-il lancé, clôturant une campagne où il a traîné comme un boulet des accusations d'inaction face à l'antisémitisme au sein de sa formation. Sur le Brexit, le septuagénaire a en revanche choisi d'entretenir l'ambiguïté. Il promet, s'il accède au pouvoir, de négocier un nouvel accord de divorce plus favorable aux droits des travailleurs, qu'il soumettrait à un référendum avec comme alternative le maintien dans l'UE. Lui-même resterait "neutre".
Que dit le dernier sondage ?
Le dernier sondage publié mardi par YouGov donne les conservateurs en tête des intentions de vote avec une majorité absolue de 339 sièges. Mais la marge d'erreur, l'impact d'un éventuel vote utile et la récente remontée du Labour peuvent encore conduire à un Parlement sans majorité, comme en 2017. "L'électorat est (...) plus volatil que jamais", constate Chris Curtis, directeur de la recherche politique de YouGov, interrogé par l'AFP. Le score des tories dépendra notamment, selon lui, de leur capacité à séduire les électeurs des circonscriptions traditionnellement travaillistes dans le centre et le nord de l'Angleterre, mais très favorables au "leave". Sur les flancs des conservateurs et des travaillistes, les plus petits partis comme les libéraux-démocrates ou les nationalistes écossais du SNP pourraient grappiller quelques sièges, insuffisant pour faire dérailler les poids lourds.