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Avant les exécutions à Singapour, les dernières photos d'un condamné

Dans son habit à motifs, Nazeri Lajim offre un grand sourire à la caméra, lève ses doigts pour former un "V" à la mode hippie. Rien ne laisse penser qu'il s'apprête à emprunter la ligne verte vers l'échafaud.

Nazira conserve précieusement le fichier dans la mémoire de son téléphone, et la sienne. L'une des dernières photos de son frère, exécuté à 64 ans à la prison de Changi, à Singapour.

"Quand je vois sa photo, je vois un homme en bonne santé, il est vraiment bel homme (...) son visage est éclatant", dit Nazira Lajim Hertslet à l'AFP. "J'ai été vraiment bouleversée (...) par le fait qu'il soit emporté comme ça".

Dans la cité-Etat asiatique, on risque la peine de mort pour une flopée de crimes, du meurtre à certains cas de kidnapping, en passant par le trafic de drogues. Un peu plus d'un demi-kilo de cannabis peut suffire.

Après deux ans, le gouvernement a repris les exécutions au printemps 2022. Treize personnes ont été pendues depuis.

A Singapour, il est de coutume de prendre en photo une dernière fois les pensionnaires du couloir de la mort. Ces "shootings" funestes, auxquels les gardiens peuvent apporter quelques menus décors, ont vu le jour dans les années 90. Un ultime regard sur les mis à mort.

Le plus souvent, on les fait poser sur un fond fleuri vert pâle, qui détonne avec la gravité du moment.

- "Cruel" -

Le Service des prisons de Singapour explique qu'il s'agit d'un programme basé sur le volontariat, dont l'objectif est "de permettre aux familles d'avoir des photos récentes de leur proche".

Les familles en question sont mitigées.

"En fait, je pense que c'est assez cruel de faire une chose pareille", estime Nazira Lajim Hertslet. "Mais au moins, nous avons sa dernière photo en souvenir".

Nazeri a été pendu l'an dernier pour trafic d'héroïne, 33 grammes.

Sur la photo favorite de Nazira, il porte un qamis, une robe de prière musulmane, ses deux mains croisées devant lui, regard droit vers la caméra.

Peu d'informations sur les condamnés à mort à Singapour sont accessibles au public, même dans les documents officiels.

Le Collectif pour une justice transformative estime à environ 53 le nombre de détenus qui attendent leur exécution dans la cité-Etat, la plupart pour des crimes liées à la drogue.

En général, les autorités les préviennent -- et leurs familles -- de la date une semaine avant.

Pendant ce laps de temps, les détenus peuvent recevoir des visites quotidiennes mais seulement derrière une vitre, car les contacts physiques sont interdits, selon le CJT.

Ils peuvent aussi faire appel à des "conseillers spirituels".

Selon Kokila Annamalai, une membre du CJT, les séances photo sont une tentative d'appliquer un "vernis de prévenance" aux exécutions.

Les condamnés ont droit à toutes les poses et peuvent porter un habit qui compte pour un proche, détaille-t-elle.

"Donc, je pense que les photos sont un peu comme des lettres d'amour pour eux".

- Dissuasion -

Des groupes de défense des droits humains comme Amnesty International exhortent Singapour à abolir la peine de mort depuis longtemps, mais le gouvernement insiste sur son aspect dissuasif.

En avril, Tangaraju Suppiah, un citoyen de 46 ans, a ainsi été pendu pour avoir tenté de faire commerce d'un kilo de cannabis. En France, la peine prévue pour cette quantité est de trois ans de prison maximum.

"Toutes les nuit, je pleure en pensant à lui", témoigne auprès de l'AFP sa soeur Leelavathy.

Son frère avait d'abord refusé la séance photo, mais a changé d'avis pour sa famille.

Leelavathy a encadré un cliché de Tangaraju: il sourit, formant un coeur avec ses doigts.

"Je suis très heureuse quand je vois les photos. Au moins, il est là sur les clichés", dit-elle.

"C'est la photo que tous les membres de la famille aime, parce qu'il sourit".

Elle se demande quelles pensées traversaient l'esprit de son frère alors qu'il voyait sa sentence approcher.

"Ils savent qu'ils vont mourir. C'est cruel, vous savez ?"

- Dernière course -

Pour ses dernières photos, la famille de Kalwant Singh lui avait apporté une paire de baskets blanches. Il les a portées avec un t-shirt, un jogging, et un large sourire.

Avant cela, il a couru autant que possible avec ses nouvelles chaussures aux pieds. Trente minutes pour profiter de son dernier cadeau, dans l'enceinte de la prison, raconte sa soeur, Sonia Tarlochan Kaur.

Kalwant Singh a été exécuté en 2022, à 31 ans, pour trafic d'héroïne.

Sonia n'arrive pas à regarder les ultimes photos de lui.

"Ils auraient pu me donner juste trente minute pour que je puisse le serrer fort".

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