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Dix ans après le viol collectif et le meurtre de "Nirbhaya", la peur reste du côté des Indiennes

Il y a dix ans, le meurtre de Jyoti Singh, victime d'un viol collectif d'une brutalité inouïe dans un bus de Delhi, horrifiait le monde et illustrait la violence sexuelle subie par des dizaines de milliers de femmes chaque année en Inde.

L'étudiante en kinésithérapie et son ami Awindra Pratap Pandey rentraient du cinéma dans la soirée du 16 décembre 2012, quand ils sont montés dans un bus croyant qu'il les conduirait à bon port.

Mais le chauffeur du bus et ses cinq complices, dont un adolescent de 17 ans, les embarquaient pour l'horreur. Awindra a été sauvagement battu, et Jyoti violée par les six assaillants et torturée avec une extrême cruauté.

Puis les agresseurs se sont débarrassés des deux victimes ensanglantées, jetées depuis le bus sur le bas-côté de la route, dans la capitale de 20 millions d'habitants.

Jyoti, surnommée "Nirbhaya" ("sans peur") par la presse indienne, a succombé à des blessures internes causées par une barre de fer, après 13 jours de calvaire, dans un hôpital de Singapour où elle venait d'être transférée. Elle avait 23 ans.

Il a fallu six jours à la police pour retrouver et arrêter les auteurs du crime et près de huit ans à la justice pour les juger et les condamner à mort.

En 2020, quatre des six agresseurs finissaient pendus. Le cinquième était mort en prison un mois après l'agression, et le dernier était mineur.

L'AFP s'est entretenue avec la mère de Jyoti, la commissaire de police chargée à l'époque de l'enquête et une militante féministe.

- La mère -

"D'évidence, la douleur ne disparaît pas", déclare Asha Devi, mère de Jyoti qui, avec son époux, a créé un fonds pour les victimes de viol.

"Elle a tellement souffert pendant les 12-13 derniers jours de sa vie (...). La souffrance de ma fille m'a donné la force de mener ce combat", ajoute la femme de 57 ans, devenue militante pour la sécurité des femmes.

L'affaire dite "Nirbahya" a eu un impact sur la législation, qui a été durcie pour les violeurs. La protection des femmes améliorée, avec davantage de vidéosurveillance, d'éclairage public et la présence de "marshalls" dans les bus. Mais selon Mme Devi, les agressions sexuelles restent beaucoup trop fréquentes.

Surtout, "rien n'a changé" quand une femme est en quête de justice, estime-t-elle.

"Si un incident se produit, on accuse soit les parents, soit la fille. Personne n'interroge le garçon ou n'évoque ses torts. On veut savoir ce que la fille faisait dehors de nuit", s'insurge Mme Devi. "Le changement doit d'abord venir de la société et des familles", profondément patriarcales en Inde, plaide-t-elle.

"Il y a encore tant d'affaires (de viol), des cas tellement ignobles (...) Je pense que la loi ne fait peur à personne", regrette-t-elle.

Les derniers chiffres officiels lui donnent raison. En 2021, 31.677 viols ont été rapportés en Inde, une hausse de 13% par rapport à l'année précédente.

- La commissaire de police -

La commissaire de police qui a mené l'enquête, Chhaya Sharma, se souvient de Jyoti Singh comme d'"une jeune femme brillante et très courageuse".

"Elle savait qu'elle était grièvement blessée, que ses jours étaient peut-être comptés", explique Mme Sharma.

La policière de 50 ans reste marquée par "la façon très décidée dont elle communiquait (...), malgré la douleur et le traumatisme" et par "sa détermination à faire arrêter ses agresseurs".

Elle garde en mémoire d'avoir promis à Jyoti, en souffrance sur son lit d'hôpital, ainsi qu'à sa mère, "de lui rendre justice". Pourtant, "l'affaire était ardue".

"Habituellement, le violeur et la victime se connaissent (...) mais dans cette affaire, (la quête des agresseurs) revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin", raconte Mme Sharma, rappelant que les victimes ne connaissaient pas leurs assaillants.

"Il y a 370 bus en circulation la nuit à Delhi", souligne-t-elle.

Par conséquent, "le plus crucial était de retrouver le bus, la scène du crime, car les agresseurs étaient liés au bus", poursuit-elle. "Heureusement, nous l'avons retrouvé exactement 18 heures après l'incident".

Awindra, victime et "témoin oculaire", a fourni de précieux détails permettant aux policiers, d'"identifier le bus", et plus tard, il a pu reconnaître les agresseurs.

La police les a retrouvés et arrêtés "tous les six dans les cinq jours qui ont suivi" l'agression.

Quant aux assaillants, "nous avons eu du mal à les faire craquer au départ", ajoute-t-elle, "je les ai trouvés extrêmement froids", les plus âgés "ne trouvaient rien de répréhensible" à leurs actes.

Une décennie plus tard, nombreuses sont les femmes à redouter de se déplacer de nuit dans Delhi.

La commissaire admet que garantir la sécurité des femmes demeure "un sujet majeur" à Delhi, surnommée "capitale du viol" (mais "injustement", selon elle).

- Une militante -

Selon Yogita Bhayana, militante féministe de l'organisation People Against Rape in India (PARI), après le tollé national suscité par l'affaire, les espoirs de voir la sécurité des femmes désormais garantie étaient immenses.

"Malheureusement, cela ne s'est pas produit", regrette-t-elle, "chaque jour, notre ligne d'assistance reçoit cinq ou six cas semblables, voire plus brutaux, alors je ne peux vraiment pas dire que les choses se soient améliorées."

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