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Comme tous les jours vers 15H00, Christiane déplie sa petite table, pose ses thermos de café, la tirelire de la cagnotte collective. Un an après, les "gilets jaunes" du Magny sont toujours là, mais plus au bord de la route.
Ici, le rond-point était plutôt un échangeur, à la sortie de Montceau-les-Mines, ancien bassin industriel sinistré de Saône-et-Loire. Mais à force de se faire déloger par la police, le petit groupe s'est replié en février sur un terrain vague municipal tout proche.
Jojo, un ancien mineur, passe faire son tour quotidien. "En arrivant, on fait la lessive: on discute de toutes les conneries que Macron a dites la veille".
Assis sur des palettes ou des chaises pliantes, ils s'installent chaque après-midi avec comme unique décor un mur de béton sur lequel un gilet jaune est dessiné.
Ce gilet emblématique, la plupart ne le revêtent plus. Les rares à l'arborer encore portent aussi des pins "17 novembre 2018", "je suis gilet jaune du 71, restons unis".
Ici, il y a deux règles à respecter : on ne boit pas d'alcool et chacun garde son opinion politique pour lui.
Une dame arrive, offre des pastilles à tout le monde. Ils s'embrassent, sont désormais amis. Deux d'entre eux sont même tombés amoureux.
Pour beaucoup, ce mouvement est devenu une drogue. Ils y consacrent toujours beaucoup de temps, malgré leurs familles qui les réclament à la maison.
- Dans l'histoire -
"Ca me fait un bien fou de pouvoir m'exprimer", explique Fanny Morlet, une décoratrice de 48 ans qui a enfin le sentiment d'avoir trouvé sa place dans la société.
"Les +gilets jaunes+ m'ont donné la possibilité de m'exprimer et d'extérioriser ma colère qui couvait depuis 40 ans", enchaîne Alain Segaud, retraité de 69 ans.
"L'esprit +gilets jaunes+ est toujours là. On est moins mais, maintenant, on est dans l'histoire", poursuit Gérard.
Même pendant les vacances, ils n'ont pas décroché. Sommet anti-G7 dans le Pays basque pour Fanny, rencontre avec les femmes +gilets jaunes+ de La Ciotat pour Marie-Claire. Gérard est allé voir ceux de Langon en Gironde, qui s'étaient installés dans une gare désaffectée transformée en "maison du peuple". Ca l'a rassuré de constater qu'ailleurs, aussi, les ronds-points laissent place à de nouvelles organisations.
Aujourd'hui, ils sont moins visibles et moins nombreux mais "l'action est plus efficace", assure Alain Segaud.
Outre leurs débats quotidiens, ils tiennent une AG plusieurs fois par mois qui réunit une centaine de personnes. Ils décident des actions à venir, débriefent celles du samedi précédent.
Ramassage d'ordures le long de la RCEA (cette route nationale qui traverse le pays d'Est en Ouest et qui passe en contre-bas), distribution de tracts au marché, signature de la pétition réclamant un référendum d'initiative partagée (RIP) sur la privatisation du groupe Aéroports de Paris (ADP)..., ils multiplient les angles d'attaque.
- "Miettes" -
Les "gilets jaunes" du Magny se retrouvent confrontés au désintérêt d'une partie de la population: "il y a un gros problème d'éducation civique: sur 100 personnes, 90 ne savent pas ce qu'est un référendum", relèvent-ils.
Certains ont envie de baisser les bras, regrettent que ça n'aille pas assez vite. Tous estiment avoir peu obtenu: "des miettes", cette expression qu'on entendait si souvent l'hiver dernier, revient sans cesse.
"Pour moi, c'est trop long. Mais je me sens hyper-responsable du mouvement", raconte Fanny Morlet, un des piliers du Magny.
Souvent, leurs débats butent sur les suites à donner. S'il y a un consensus très fort sur les deux revendications principales - que le pouvoir d'achat augmente et que "le peuple retrouve la parole" - ils sont divisés sur les moyens d'y parvenir.
Liste aux municipales, convergence des luttes avec les militants climat comme ceux d'Extinction Rebellion, convergence avec les syndicats traditionnels pour les retraites, actions musclées, stage de désobéissance civile. Que faire ? Comment le faire ?
Ils se préparent toutefois à fêter leur premier anniversaire le week-end du 16 novembre. Mais après ? Le froid mordant va reprendre ses droits. Et sur ce terrain vague pas d'abri et interdiction de faire du feu. Tiendront-ils un deuxième hiver dehors, à tomber malade régulièrement ?
Pour l'instant, c'est encore l'été indien. Il est 18H00, Marie-Claire repart avec sa chaise pliante sous le bras et lance : "salut tout le monde, à demain!".