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"Choquée !" Une mère de famille outrée nous a écrit via le bouton orange Alertez-nous après que son mari a surpris un homme en train de se masturber dans le tram, "devant femmes et enfants".
Cette Bruxelloise, qui souhaite rester anonyme, nous explique que son mari n’a pas tout de suite compris ce que l’homme était en train de faire. "Puis, en se rapprochant", nous raconte-t-elle, "il a vu qu’il faisait son affaire. Mon mari l’a empoigné, et les gens se demandaient ce qui se passait. L’homme avait placé sa sacoche devant lui pour se cacher : il avait une ouverture sur son pantalon pour pouvoir se toucher."
Le mari de l’alerteuse a confronté l’exhibitionniste, mais celui-ci est parvenu à s’enfuir. Il ne s’attendait pas à le recroiser quelques jours plus tard dans le même tram.
"Il fait ça toute la journée"
"Ce jour-là, mon mari l’a reconnu et l’a suivi", relate la mère de famille. "Il se trouve qu’il fait ça toute la journée : il passe de trams en trams et fait son affaire. Cette fois, mon mari a réussi à l’attraper et il a interpellé une patrouille de police dans les environs."
Il continue certainement de faire ça dans les trams
La police procède alors à un contrôle d’identité : l’homme s’exprimait normalement, "il avait l’air normal", selon notre interlocutrice. Les agents de police décident de le relâcher, mais prennent note des coordonnées du mari de l’alerteuse, au cas où des suites seraient données à ce dossier.
Cette dernière ne comprend pas que l’exhibitionniste n’ait pas été arrêté. "C’est vraiment dégueulasse, il avait des auréoles de sperme sur son pantalon, excusez-moi du terme. Il continue certainement de faire ça dans les trams. Mon mari, lui, est désespéré : il se dit que ça ne sert à rien de signaler, puisqu’il n’y a pas de suite. Ils attendent quoi, la police ? Ils ne l’ont même pas embarqué."
Peu de signalements à la police, et donc peu de dossiers ouverts
La dame et son mari se sentent démotivés, après cette interpellation qui n’a pas aboutie. Pourtant, lorsque nous contactons la police de Schaerbeek, où les faits se sont déroulés, le message est encourageant. "Interpeller la patrouille de police était une très bonne réaction", nous informe-t-on. "Ce n’est pas parce que la personne n’a pas été arrêtée que ce genre de faits n’est pas pris au sérieux : ils sont traités."
En effet, tout dépend des constatations sur le moment-même. Pour priver quelqu’un de sa liberté et le contraindre à aller au poste de police, il faut l’accord d’un magistrat ou d’un officier de la police judiciaire.
Cet accord intervient le plus souvent lorsqu’il y a flagrant délit, c’est-à-dire lorsqu’un policier constate les faits lui-même. L’exhibitionniste aurait alors été emmené au commissariat.
Ici, ce n’est pas le cas. "Ce qui a dû se passer, c’est que des informations ont été prises sur place", nous explique la police schaerbeekoise. "Une enquête pourrait être menée, notamment avec les caméras de surveillance de la STIB. Il peut y avoir une convocation pour une audition de l’auteur présumé, mais seulement avec un dossier concret, et des preuves. Ce sont des étapes qui prennent parfois un peu plus de temps."
Ce n'est pas fréquent, mais ça arrive
Ainsi, le mari de l’alerteuse, par exemple, pourrait être auditionné en tant que témoin. Si l’auteur est auditionné par la suite, seul le parquet pourrait décider de poursuites judiciaires, ou non. Dans tous les cas, le témoin a eu raison de dénoncer les faits. "Ce n’est pas fréquent, mais ça arrive, ce genre de faits", nous renseigne la police. "Souvent, c’est sur base d’informations et de plaintes qu’on peut ouvrir un dossier. Mais cela ne nous parvient pas souvent, et les plaintes sont rares. Il est donc plus difficile de poursuivre."
Comprendre cette déviance sexuelle
Au-delà de l’aspect répréhensible de l’exhibitionnisme et de la masturbation en public, nous nous sommes intéressés aux raisons qui pouvaient pousser une personne à s’adonner à ce type d’activités, jugées socialement immorales. "Pour moi, c’est quelqu’un de sexuellement malade", réagit notre alerteuse. "Il est dérangé, c’est un malade, c’est choquant."
Nous avons contacté Cécile Beudot, sexologue et chargée de cours, pour tenter de comprendre cette déviance sexuelle en 3 questions :
- D’où ça vient ?
Autrefois, on parlait de perversion, pour qualifier ce type de déviance sexuelle. Aujourd’hui, on parle de paraphilie. "Il y a deux choses", nous informe-t-elle. "D’abord, des obsessions, des pensées sexuelles inappropriées et persistantes. Elles sont ressenties comme intrusives, et vont entraîner une anxiété importante. Ensuite, il y a des compulsions, des élans irrésistibles à commettre quelque chose d’inapproprié."
En général, les personnes atteintes de paraphilie ont plus de 40 ans. Elles sont soit inadaptées socialement, et souffrent d’autres troubles psychiques qui les marginalisent. Soit il s’agit de personnes tout à fait insérées socialement, qui ont un travail, une famille, mais dont la sexualité est dite "pauvre", c’est-à-dire insatisfaisante. Dans les deux cas, la déviance est la seule manière dont ces personnes parviennent à trouver du plaisir sexuel.
- Comment le détecter ?
Il existe 4 critères de diagnostic, comme nous l'explique Cécile Beudot.
L'exclusivité : il n'y a que ça qui excite la personne, il n'y a pas d'autres pratiques sexuelles.
L'obsession : il y pense et le fait souvent.
L'inadaptation sociale : la pratique déviante rend la personne inadaptée.
La souffrance : celle des autres, ou celle de la personne elle-même, qui souffre d'être déviante.
- Existe-t-il un traitement ?
Il existe deux types de traitements. "L'un est médicamenteux : souvent, c'est un psychiatre qui propose des anti-dépresseurs qui agissent sur l'anxiété, ainsi que des anti-androgènes, qui diminuent la libido", explique la sexologue. "Ensuite, il y a une prise en charge par la thérapie cognitivo-comportementale, qui va permettre de travailler sur le passage à l'acte et sur l'état anxieux de la personne."
Toutefois, la sexologue précise qu'il ne s'agit pas d'une pathologie dont on peut facilement guérir. "C'est soignable, mais je ne m'avancerais pas en disant qu'on peut tout à fait en guérir. Tout épisode anxieux peut réactiver le passage à l'acte. Il faut que la personne s'investisse énormément au niveau de la prise en charge."
L'origine de la paraphilie n'est pas clairement définissable. "Ça ne veut pas dire qu'il y a une origine liée à l'enfance, il peut y avoir beaucoup de facteurs, comme les expériences sexuelles, les relations passées, la manière dont une personne est considérée dans sa famille, etc."
Un témoin d'exhibitionnisme devient victime de l'auteur
Si l'alerteuse nous a contactés, c'est aussi parce qu'elle s'inquiète du fait que l'exhibitionniste n'ait pas été arrêté. Elle-même mère de famille, elle se sent très concernée. "J’ai peur, pour les gamines de 12-13 ans, qui doivent prendre les transports toutes seules, et voir ça. Ça me rend dingue, ça fait peur. On ne sait pas ce qu’il va faire, après, un viol ?"
Nous avons soumis cette remarque à Cécile Beudot, la sexologue. Pour elle, être atteint de paraphilie n'induit pas forcément un passage à l'acte qui implique une agression physique. "Sans vouloir m’avancer, ça dépend. En général, l’exhibitionnisme est particulier, et ça englobe des personnes qui veulent uniquement se montrer, et pas toucher l’autre physiquement. Ça reste violent, car on s’introduit dans l’intimité de l’autre, mais ils ne touchent pas l'autre."
Être témoin d'exhibitionnisme n'en reste pas moins traumatique. Selon la sexologue, c'est une intrusion dans l'intimité. Une personne qui assiste à un acte d'exhibition devient la victime de l'auteur, qui l'utilise sans son consentement pour assouvir ses besoins. Ainsi, une victime peut décider de porter plainte, et des peines existent pour punir les auteurs. Le code pénal prévoit une peine de 8 jours à 1 an d'emprisonnement, ainsi qu'une amende de 26 à 500€. Si les témoins, et donc victimes, ont moins de 16 ans, la peine est alourdie : jusqu'à 3 ans de prison et 1000 euros d'amende.
Un suivi thérapeutique peut être imposé à l'auteur par un juge, ce qui, selon Cécile Beudot, semble plus approprié pour réduire les risques de récidives.