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Corinne vit un calvaire depuis que son locataire est mort sans héritier: "J'ai perdu 5.000€ dont 10 mois de loyer!"

Le locataire de Corinne est décédé en mars sans faire de testament et sans héritier. Cette situation malheureuse a plongé Corinne dans une situation complexe. Son appartement est resté indisponible pendant 10 mois en tout, la privant de loyers.

Les propriétaires vous le diront presque tous: mettre un bien en location n'est pas de tout repos. Les plus chanceux ont trouvé des locataires très soigneux qui paient leur loyer à temps, les autres, doivent parfois s'engager dans des procédures coûteuses afin de faire valoir leurs droits pour un tas de raisons. Mais, en plus de ces cas classiques, il existe des événements inattendus qui provoquent des situations malheureuses. C'est ce que traverse Corinne, qui nous a joints via notre page Alertez-Nous. Cette employée de banque liégeoise avait un locataire exemplaire dans son petit appartement à Liège: "Tout se passait à merveille", dit-elle. Mais le pauvre homme est décédé sans faire de testament et en l'absence d'héritier. Et ce dernier détail plonge aujourd'hui Corinne dans une situation abracadabrante. Explications.

Sa nièce par alliance n'est pas héritière

Le locataire de Corinne était un vieux monsieur, qui payait ses loyers à temps. "Il se comportait si bien", se souvient-elle. Mais en mars 2014, il est hospitalisé et contracte une pneumonie qui lui est fatale. "Sa nièce par alliance m'a prévenue de son décès. Elle s'occupait un peu de lui: elle allait à la banque, faisait ses courses. Mais elle n'était pas héritière aux yeux de la loi". Et c'est là que les choses se compliquent.

Une seule solution: il faut entamer une longue série de démarches

"Le décès d'un locataire ne met pas fin au bail, explique Bénédicte Delcourt, directrice du syndicat national des propriétaires. Le contrat passe alors sur la tête des héritiers, qui, s'ils acceptent la succession, doivent se comporter comme s'ils étaient les locataires du lieux". Mais, ici, en l'absence d'héritier, le cas de figure est différent. "Dans ce cas-là, le bailleur est démuni, estime Bénédicte Delcourt. La loi n'est pas du tout adaptée à ce genre de cas. Le bailleur a besoin de récupérer ses clés, éventuellement la garantie locative, mais pour cela, il doit entamer toute une série de démarches pour faire nommer un administrateur". Le cauchemar de Corinne allait tout doucement commencer.

Corinne passe par un avocat: "Tout sera réglé en un mois!"

Le premier réflexe de Corinne est, bien entendu, de tenter de récupérer les clés de son appartement. Mais la nièce par alliance du locataire décédé refuse de les lui rendre. "Elle a exigé un ordre écrit d'une personne ayant autorité, d'un avocat", affirme la propriétaire.

Corinne n'en connaît pas. Mais elle voit une plaque professionnelle d'avocats près de son appartement, et, en avril, soit un mois après le décès de son locataire, elle pousse la porte du cabinet. "Sur place, l'avocat me dit "Pas de problème, on va régler ça en un mois". Mais le temps passe et les 30 jours promis par l'avocat se transforment en une interminable attente.

Première étape: faire nommer un administrateur provisoire

Avril, mai, juin, ... les mois défilent et Corinne n'a toujours pas récupéré ses clés. Cela fait maintenant trois mois que son locataire est décédé. "Pendant ce temps-là, je dois payer les provisions de charge, et surtout, je ne perçois aucun loyer!", s'insurge la propriétaire.

En réalité, son avocat est en train de finaliser les démarches pour faire nommer un administrateur provisoire par le tribunal de première instance. En clair, désigner un avocat qui va gérer les biens du locataire décédé, vider l'appartement et rendre les clés à Corinne. Et il y a une procédure à respecter. "Il faut déposer une requête et le magistrat va désigner la personne qui aura pour mission de prendre les mesures conservatoires", explique Yves Demanet, avocat ayant déjà été administrateur plusieurs fois. L'administrateur doit par exemple s'occuper de l'animal domestique, couper le gaz, mettre de l'eau aux plantes, clore un contrat d'électricité... Première bonne nouvelle pour Corinne: un administrateur de biens est nommé pour son dossier. Nous sommes au mois de juin, son locataire est décédé depuis trois mois.

L'administrateur peut devoir chercher des héritiers éventuels

Mais l'administrateur a surtout une mission d'investigation: "Il doit rechercher le testament et tous les indices qui lui permettent de déterminer l'actif (donc les comptes en banque, le contenu des coffres-forts, etc.) et le passif, c'est-à-dire toutes les créances, poursuit Maître Demanet. Il doit essayer de tout établir. Ça peut être très compliqué car il peut y avoir la mission de la recherche des héritiers".

Et il semble que le locataire de Corinne puisse avoir de la famille quelque part. "Il se pourrait qu'il ait un frère dont personne n'a les coordonnées, pense Corinne. Il vivrait en Thaïlande". Voilà qui peut compliquer le dossier. "Il y a des généalogistes auxquels on fait appel sous l'accord du juge de paix, raconte Yves Demanet. Ou bien, ces recherches sont dans sa mission et alors, l'administrateur va parfois très loin. J'ai récemment travaillé sur une succession pour laquelle il y avait 49 héritiers dont deux sont en Australie et en Argentine."

"Cinq mois pour vider un appartement? Ça dépasse les bornes"

Pour vider l'appartement, l'administrateur de biens peut aussi vendre les meubles: "Après avoir fait l'inventaire des meubles, il tentera de prendre des dispositions pour vider les lieux le plus vite possible, explique Yves Demanet. Il va faire appel à un expert gardien ou un vide-grenier. Pour vider les meubles, pour les liquider et placer l'argent sur un compte". Problème? L'administrateur ne doit respecter aucune date butoir. "Il n'existe pas de délai, confirme Françoise Mourue, notaire à Merbes-le-Château. Ce n'est pas prévu par la loi. Aucun article ne le mentionne". "Le délai, c'est "Au plus vite", rétorque Maître Yves Demanet. Tout cela se fait sous le contrôle du magistrat. Et les juges demandent à être strictement informés sur ce qui se fait. Dans le mois, ils veulent avoir un rapport situationnel".

L'administrateur mandaté pour le dossier de Corinne termine sa mission en novembre, soit cinq mois après sa nomination. Est-ce rapide, dans la norme ou trop long? Pour l'association de défense des propriétaires, il faut trouver le moyen d'alléger les démarches administratives et d'aller plus vite. "C'est une situation qu'on dénonce, affirme Bénédicte Delcourt, directrice du syndicat national des propriétaires. Ça met les bailleurs en détresse, ça bloque leur bien pendant un nombre de mois incalculables et imprévisibles. Nous souhaitons que la procédure soit plus rapide et facile. Immédiatement après le décès, s'il n'y a pas d'héritier, nous voulons qu'il y ait automatiquement désignation d'un administrateur provisoire, car ici c'est le propriétaire qui doit faire ça. Cela simplifierait les choses qu'il statue tout de suite sur l'avenir du bien, la garantie locative, etc. C'est un préalable évident et indispensable".

Les administrateurs provisoires vont-ils suffisamment vite?

Corinne, elle, est dépitée. Elle récupère donc les clés de son appartement huit mois après le décès de son locataire. "Cette lenteur, ça dépasse les bornes", dit-elle. D'autant qu'il lui faudra deux mois pour le restaurer et le remettre en location. Cela fait donc dix mois de loyers perdus.

Mais comment travaillent les administrateurs de biens? Si la loi ne prévoit aucun délai, font-ils réellement tout pour régler la situation au plus vite, ou bien sont-ils tentés de faire traîner les choses en donnant priorité à leur profession d'avocat? Maître Demanet l'assure: l'administrateur est surveillé. "Il y a un triple contrôle: celui du magistrat qui l'a désigné, celui du bâtonnier et celui du procureur du roi, qui peut vérifier les comptes. Ainsi, toute indélicatesse qui constitue une infraction aux règles de déontologie vaut une sanction. Un avocat qui touche à un compte de ce genre, c'est une faute déontologique majeure, cela vaut une indignité de la toge immédiatement. C'est une procédure disciplinaire majeure qui aboutit à une radiation."

Toujours selon Yves Demanet, l'administrateur connaît parfois des situations complexes, qui expliquent les délais supplémentaires. C'est le cas de vieilles personnes qui, parfois, décèdent dans l'indifférence. "J'ai eu un cas où on a mis trois mois à se rendre compte du décès d'une personne isolée. Personne ne s'était inquiété du silence de cette personne âgée. Entre ce moment du décès et mon intervention, trois mois se sont écoulés".

Et maintenant: le curateur!

Mais Corinne n'en est pas au bout de ses peines. Car après l'intervention de l'administrateur, qui lui a permis de récupérer ses clés, commence celle du curateur. C'est cette personne qui la dédommagera s'il reste de l'argent. "Quand j'ai accompli mes devoirs, je saisis le tribunal et je fais désigner un curateur à succession vacante", poursuit Yves Demanet. Et là, commence un nouveau délai, qui peut, lui aussi, être très long. "Premièrement, ce confrère va vérifier tout ce que j'ai fait. Le curateur va prendre des dispositions vis à vis de l'état pour clôturer la succession. Le propriétaire peut d'ailleurs réintroduire sa créance à ce moment-là".

Le curateur, lui, va liquider. "Sur rapport de l'administrateur, il va se rendre sur place, découvrir le terrain, le vendre avec un notaire et une autorisation spécifique du tribunal, éclaire l'avocat. Il va faire un rapport de toutes ses activités. Il va vendre en vente publique, pour être certain qu'il n'y ait pas de collusion ou d'intérêts particuliers. Il doit établir tous les comptes, obtenir l'autorisation des magistrats au plus vite. (...) Le curateur a intérêt à ce que cela aille vite car il n'est pas payé tant que sa mission n'est pas finie".

Que peut faire Corinne?

A l'heure où nous écrivons ces lignes, Corinne n'a toujours pas touché d'indemnisation. Ses huit mois de loyer impayés semblent bien difficiles à récupérer. Et pas un cent de la garantie locative ne lui est revenu jusqu'à présent. "En tout, si je compte ce que m'ont coûté toutes les démarches que j'ai entreprises, j'en ai pour 5.000€ de dette, déplore-t-elle. Et l'avocat ne m'a pas encore transmis ses honoraires". "Les délais sont catastrophiques, estime la directrice du syndicat national des propriétaires. On a déjà connu des bailleurs qui devaient attendre un an et demi de procédure en ayant perdu les loyers". 
 

"Rien n'empêche le propriétaire de demander des comptes au magistrat"

Alors que faire? Selon Yves Demanet, si un propriétaire est insatisfait ou se pose des questions sur le travail de l'administrateur, il a au moins trois possibilités. "Il peut, dans l'ordre, aller voir le magistrat qui a désigné l'administrateur, se plaindre au procureur du roi, ou au bâtonnier, via une simple lettre, rappelle-t-il. "Il peut aussi faire intervenir un avocat, saisir ces autorités et réclamer tous ses loyers. Il peut dire par exemple "Pendant 5 mois, vous avez occupé mon immeuble sans faire diligence, c'est-à-dire sans avoir fait tout ce qu'il fallait quand il le fallait. Je considère que vous êtes responsable". Ce sont quelques possibilités de recours", conseille Maître Demanet, qui précise cependant qu'il ne connaît pas les détails du dossier de Corinne.

L'administrateur et le curateur se paient sur l'actif du défunt

S'il reste de l'argent dans la succession, Corinne a-t-elle un espoir d'être payée? Difficile à dire: le propriétaire n'est pas prioritaire. L'Etat doit d'abord récupérer son dû. Puis les banques, si elles ont un privilège (une hypothèque sur une maison, par exemple). Sans compter l'administrateur et le curateur eux-mêmes. "L'administrateur se paie sur l'actif de l'administration donc l'argent du défunt, après que le juge ait dit oui, dit Yves Demanet. Je suis donc payé par une requête déposée devant le magistrat en justifiant l'ensemble de mes prestations. Il y a une possibilité d'appel. (...) Le curateur est taxé par le tribunal au regard des prestations qu'il a accomplies".

Il n'y a donc pas de "tarif". "C'est soumis à l'appréciation du magistrat, reconnait Yves Demanet. Disons qu'il y a un barème officieux qui est prévu. On ne peut pas facturer à l'heure".

Et s'il ne reste pas d'argent? "Alors, l'administrateur peut financer lui-même son travail car il considère que la mission qui lui est donnée par le juge est un honneur. Cela arrive".

Dans ce cas, pas un euro dans sa poche donc, ni dans celle de Corinne, qui, si la succession se révèle déficitaire, ne sera jamais dédommagée de ses loyers perdus.

@Justine_Sow

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