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Alan, 18 ans, décédé d'une crise d'épilepsie à Grâce-Hollogne: "Il passait entre 17 et 18h par jour sur les jeux vidéo", accuse sa mère

C'est un drame que Christelle veut faire éviter à tout parent. Originaire d'Herstal, cette mère de famille a perdu son fils, âgé de 18 ans, en janvier dernier. Privé de toute activité compte tenu de l'épidémie de Covid-19, Alan s'était réfugié dans les jeux vidéo, "jusque 18h par jour". Selon sa mère, la crise d'épilepsie qui l'a tué a été causée par son addiction aux écrans. Qu'est-ce qu'une crise d'épilepsie? Peut-elle être causée par les jeux vidéo? Témoignage et explications.

Alan avait 18 ans et toute la vie devant lui. Ce garçon au regard pétillant, originaire d’Herstal, aimait sortir avec ses amis, "faire du vélo et jouer au ballon", se souvient sa maman.

Aujourd’hui, c’est la gorge nouée et le souffle court que Christelle se remémore les instants passés avec son fils. Car le 7 janvier dernier, Alan a perdu la vie. "On l’a retrouvé à 10h du matin dans son lit. Il ne respirait plus", confie Christelle. "Une crise d’épilepsie a conclu le rapport d’autopsie", nous assure cette maman. (lire nos explications: qu'est-ce qu'une crise d'épilepsie, comment réagir ?)

Alan découvre les jeux vidéo vers l’âge de 15 ans. À cette époque, ses parents lui imposent des limites, "deux fois une heure par jour". L’adolescent découvre l’adrénaline et l'excitation du jeu. Pourtant, il n’est pas encore accro. Il continue de sortir, de voir des amis. Alan mène une vie qui ressemble à tout adolescent de son âge, en somme. Trois ans plus tard, le jeune homme fait une première crise d’épilepsie alors qu’il conduit. Il est transporté à l’hôpital. Suite à cela, un traitement lui est donné. "De la dépakine", se remémore sa maman. "Après ça, la vie a repris son cours. Il n’a plus eu de crise", explique-t-elle.

 On n’a pas été vigilants

En 2020, Alan est embauché en tant qu’apprenti dans une enseigne de revêtement. Une nouvelle vie commence. Mais c’était sans compter sur la pandémie de coronavirus, entraînant des confinements successifs et de plus en plus de restrictions. Du jour au lendemain, Alan se retrouve en chômage partiel. Puisqu’une bulle sociale est imposée, ses contacts avec ses amis sont limités. "Il ne sortait plus", déplore sa mère. Le jeune homme trouve refuge dans les jeux vidéo. "C’est la seule activité qui lui restait", confie Christelle.

En décembre dernier, Alan, en quête d’indépendance, s’installe dans son propre appartement à Grâce-Hollogne (province de Liège). "Un logement qui appartient à la famille", explique Christelle. Et là, l’engrenage commence. Pour ses parents, plus aucun moyen de contrôler ses faits et gestes. "Il passait entre 17 et 18 h par jour à jouer. Et nous, on n’a pas été là… On n’a pas été vigilants", regrette Christelle. 

De jour comme de nuit, Alan ne quitte plus sa console. Lorsqu’il rend visite à ses parents, ces derniers n’observent cependant pas de changement d’humeur. "Il était normal. Comme d’habitude", souffle Christelle. Mais lorsqu’il se retrouve seul dans son appartement, le monde d’Alan se résume à un unique écran. Jusqu’à cette nuit du 6 au 7 janvier 2021 où le jeune homme, victime d’une crise d’épilepsie, perd subitement la vie. Ce jour-là, Alan se trouve seul dans son appartement. Quelques heures plus tard, ses parents, alertés de n'avoir aucune nouvelle, se rendent chez lui. Ils découvrent le corps inerte de leur enfant. "Il portait encore ses habits de journée. Ça montre qu’il ne s’est même pas couché. Il a dû jouer toute la nuit”, souffle sa maman.

Il faut prévenir les parents mais aussi les enfants

Si Christelle a aujourd’hui le courage de témoigner du drame qu’elle vient de vivre, c’est "pour que cela n’arrive plus". "Il faut prévenir les parents mais aussi les enfants que les jeux sont dangereux", insiste-t-elle. 

Cette mère de 4 enfants nous confie "détester les jeux". "Quand je vois mes neveux jouer, je les préviens. Mais rien y fait. Je ne sais pas comment faire", déplore-t-elle. Avant de conclure: "Peut-être qu’en envoyant cette alerte (Christelle nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous), ça peut peut-être changer".

À plusieurs reprises durant ces derniers mois, nous avons écouté cette mère de famille qui impressionne par son courage, sa détermination et sa vaillance. "Des fois, je craque", nous avoue-t-elle. Selon elle, aucun doute: les jeux vidéo ont tué son fils. 

Face à ce témoignage, de nombreuses questions surviennent. Des jeux vidéo peuvent-ils provoquer une crise d'épilepsie? Une crise peut-elle être mortelle comme celle dont Alan semble avoir été victime? À noter que compte tenu du secret médical, nous n'avons pu accéder à son dossier médical. 

Qu'est-ce qu'une crise d'épilepsie?

Afin de comprendre, nous avons enquêté. Pour répondre à nos questions, nous contactons plusieurs neurologues. Deux d'entre eux acceptent de répondre à nos interrogations: Professeur Michel Baulac, Département de Neurologie à l'Institut du Cerveau Pitié Salpétrière à Paris, Sorbonne Université ; et Professeur Michel Ossemann, Chef de Clinique, service de neurologie, CHU Mont-Godinne chez Université catholique de Louvain et vice-président de la Ligue francophone contre l'épilepsie.

Avant toute chose, il convient de déterminer ce qu'est une crise d'épilepsie. Pour définir cette maladie, nous avons tous (ou presque) l'image d'un individu qui convulse et dont aucun des membres ne semble contrôlable. À vrai dire, une crise d'épilepsie ne se résume pas à cela. Pour bien faire, il faudrait même parler d'épilepsies au pluriel, nous apprend Professeur Michel Ossemann car "elles peuvent arriver sous des formes différentes, à des âges différents et pour des causes différentes".

Une activité anormale des cellules nerveuses

Au sens médical, une crise d'épilepsie désigne "une activité anormale des cellules nerveuses. Elles se déchargent en même temps et se dispersent dans le cerveau. C'est ce qui mène à la crise", précise le neurologue.

Face à la multitude des types d'épilepsies qui existent, nous choisissons de nous concentrer sur celle dite "photosensible". Déclenchée par des stimuli lumineux (télévisions, rayons du soleil, jeux vidéo), c'est d'elle dont on parle lorsque que l'on évoque les écrans.

Cette forme d'épilepsie touche des patients "photosensibles". Elle se produit le plus souvent chez les enfants et adolescents. Concrètement, la photosensibilité désigne le fait que de recevoir des éclairs lumineux va stimuler le cortex occipital (soit la région du cerveau qui reçoit l'information).

Ce cortex occipital a une certaine vulnérabilité à s’emballer. Au lieu de répondre normalement, il va, à chaque éclair lumineux, entraîner une décharge incontrôlée provoquant ensuite une crise d'épilepsie. Ces crises sont très minoritaires, s'accordent à dire Professeurs Michel Baulac et Michel Ossemann. 

Les jeux vidéo peuvent-ils déclencher des crises ? 

Plusieurs situations peuvent entraîner une crise chez les patients photosensibles. On pense notamment aux images de damier noir et blanc, ou encore aux arbres alignés le long d'une route, laissant échapper entre eux un rayon de soleil. 

Les jeux vidéo peuvent-ils, à l'image de ce damier, déclencher une crise d'épilepsie? En 1997 au Japon, un épisode de la saga des Pokémon contenait une séquence particulièrement agressive. Pikachu y produisait une attaque éclair avec des flashs bleus et rouges. L'alternance de ces stimuli a provoqué des crises d'épilepsie chez près de 700 patients. "Dans les deux mois, 1% des personnes ayant visionné cet épisode ont fait une crise", nous renseigne Professeur Michel Ossemann. Avant d'ajouter: "Pour 75%, ce sera leur première crise. Les études ont montré que la majorité de ces personnes n’ont pas refait de crise par la suite". 

Peut-on dire que cet épisode est la cause de ces centaines de crises d'épilepsie? Dans un certain nombre de cas, des stimulations visuelles peuvent provoquer des crises. Dans ce cas-là, la crise survient pendant que la personne est exposée à cette stimulation. Si elle survient après avoir visionné un écran, c'est que la cause est ailleurs. 

La privation de sommeil prolongée peut entraîner une crise

Les deux neurologues que nous avons joints nous rapportent que les crises d'épilepsie photosensibles sont très minoritaires. Et ce n'est pas parce que des adolescents vont passer des dizaines d'heures devant ces jeux vidéo qu'ils vont forcément être victimes de crise. Il est important de nuancer les choses. "Il y a des enfants chez qui on ne sait pas qu’ils ont une épilepsie ou une prédisposition à l’épilepsie. Et l’événement photo-déclenchant est interprété comme causal alors qu’il ne fait juste que révéler une prédisposition", nous explique Professeur Michel Baulac. Avant de poursuivre: "Chaque fois que des parents accusent les jeux vidéo, je réponds que ce qui m’inquiète personnellement, c’est la nuit passée à jouer et le manque de sommeil plus qu’une crise qui surviendrait sous l’effet direct des effets lumineux". 


Il est important de préciser qu'avoir une unique crise ne signifie pas que l'on est épileptique. On le devient uniquement si les crises se répètent. 

Professeurs Ossemann et Baulac nous indiquent que c'est souvent le mode de vie qui accompagne les jeux vidéo qui est responsable de crises d'épilepsie. "On a un seuil d’excitabilité du cerveau variable d’une personne à l’autre. La privation de sommeil prolongée peut entraîner une crise", nous éclaire Pr. Ossemann. 

Les constructeurs de jeux vidéo se disent précautionneux. Après l'épisode Pokémon, une adaptation des règles a été effectuée afin d'éviter d’avoir des séquences trop contrastées. L'abandon de la TV cathodique par les écrans LCD a également permis l'affichage d'images à une fréquence plus élevée, réduisant le risque de crise. 

Ubisoft, l'un des principaux constructeurs de jeux vidéo nous répond

De son côté, Ubisoft, l'un des principaux constructeurs de jeux vidéo français, nous assure que la santé et le bien-être de ses joueurs est une "priorité". "Dès le début de leur conception, nos jeux sont pensés afin d’éviter les stimulations lumineuses fortes. Par la suite, tous nos jeux sont testés à chacune des étapes de leur production suivant un protocole très strict pour s’assurer qu’ils ne présentent pas de risques pour les personnes souffrant d’épilepsie. Le passage de ce test est obligatoire pour pouvoir passer à l’étape suivante de production puis à la distribution du jeu auprès du grand public", nous détaille son porte-parole Emmanuel Carré. De plus, un message d'avertissement prévenant des risques pour les personnes épileptiques est affiché au lancement de chacun des jeux de la firme. 

Avec l'évolution de nos modes de vie mêlant, de plus en plus, sédentarité et addiction aux écrans, assiste-t-on à une augmentation des crises d'épilepsie photosensibles? Aucune étude ne le prouve selon nos deux spécialistes. De plus, ces dernières semblent désormais mieux encadrées. "On a de plus en plus d’écrans et de plus en plus d’enfants qui regardent leur écran la nuit. En revanche, les parents sont plus au courant donc ils limitent plus. On traite également mieux les épilepsies qu’on ne les traitait il y a 20 ou 30 ans", argumente Pr. Michel Baulac. 

Comment définir une addiction aux jeux? 

Alors à partir de quand faut-il s'inquiéter? Quand peut-on parler d'addiction aux écrans et comment prévenir les risques? Nous contactons la Clinique du Jeu & Autres Addictions Comportementales basée à Bruxelles. Mélanie Saeremans, psychologue et psychothérapeute au sein de ce centre, répond favorablement à notre demande d'interview.

"Le trouble du jeu vidéo se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables", nous détaille-t-elle, en se basant sur le projet de 11e révision de la Classification internationale des maladies. Avant d'ajouter: "Pour que ce trouble soit diagnostiqué en tant que tel, le comportement doit être d’une sévérité suffisante pour entraîner une altération non négligeable des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles ou d’autres domaines importants du fonctionnement, et en principe, se manifester clairement sur une période d’au moins 12 mois". 

Mélanie Saeremans nous rapporte que le nombre d’heures passées devant les écrans n’est pas un critère fiable pour déterminer si il y a effectivement usage excessif ou non. "Il est nécessaire de prendre en considération un ensemble d’éléments tels que la perte de contrôle et les conséquences négatives", éclaire la psychologue. 

Plusieurs signes peuvent alors alerter les parents d'une éventuelle addiction : 

- Conséquences émotionnelles : nécessité de passer davantage de temps sur le net, sentiment de vide lors de la déconnexion, troubles anxieux et dépressifs, irritabilité lors des tentatives d’arrêt

- Conséquences physiques : trouble du sommeil, de l’appétit, maux de tête, fatigue visuelle, vertiges, etc.

- Conséquences relationnelles : isolement, conflit avec l’entourage, les proches, mensonges au sujet de la pratique, abandon d’autres activités, mise en danger de relations significatives etc.

- Conséquences professionnelles/ scolaires : décrochage, absentéisme, perte d’emploi, diminution productivité etc.

Quand on parle de cyberdépendance, il n'y a pas de profil type. Néanmoins, certaines données statistiques démontrent que les hommes sembleraient davantage touchés et que les adolescents seraient plus à risque, nous précise la professionnelle. 

Plusieurs facteurs à risque ont été identifiés et peuvent expliquer une cyberdépendance. Parmi eux, le manque de confiance en soi, le jeu pour échapper à des situations problématiques, fragilité psychologique, ne pas savoir gérer ses émotions, présenter des difficultés scolaires, un manque de gratification dans le monde réel, etc. 

Concrètement, ce sont des psychologues et psychothérapeutes qui accompagnent les patients au sein de la Clinique. Au besoin, un avis pédopsychiatrique peut être également demandé. "Il est important que le thérapeute soit familier avec l’univers des jeux vidéo afin de créer une bonne alliance avec le jeune", nous explique Mélanie Saeremans. Les professionnels tentent alors de comprendre les motivations d'une pratique excessive. Durant les dernières années, le nombre de demandes a augmenté car la problématique a gagné en visibilité. "Cela ne signifie pas que les cas problématiques ont augmenté. En effet, beaucoup de parents et de jeunes se questionnent également et viennent faire le point pour se rassurer et pour prévenir les problèmes", explique la psychologue. Aucune statistique précise n'est cependant disponible. 

Vers une hausse des consultations avec le déconfinement? 

À l'inverse, durant la période de pandémie, le nombre de demandes liées aux pratiques numériques a diminué. "Les personnes étaient en premier lieu très préoccupées par la crise sanitaire. Le fait que les activités scolaires se fassent en visio et le manque d'activités alternatives ont fait relativiser le temps d'écran par les parents. Chez les adultes, le repli a pu sembler s'être normalisé. Nous n'avons pas encore assez de recul afin d'évaluer l'impact réel du confinement sur les problèmes liés aux pratiques numériques. Il est fort probable qu'une hausse des consultations se profile une fois le déconfinement opéré avec le retour à la 'normale'. C'est à ce moment que les difficultés seront visibles", nous détaille Mélanie Saeremans.

S'ils sont bien encadrés, les jeux vidéo peuvent présenter des aspects positifs, assure la psychologue. Le fait de jouer à des scénarios peut notamment aider les joueurs à se concentrer, innover, prendre des décisions. Ils peuvent également développer l'esprit de groupe dans le cas où il s'agit de jeux en réseau. "(Sauf pratique excessive) Le jeu n'est pas synonyme de repli sur soi, bien au contraire", affirme Mélanie Saeremans.

Afin d'éviter toute dérive, la psychologue et psychothérapeute recommande aux parents d'être attentifs aux normes de classification d'âge. Il est également conseillé aborder avec les enfants les points positifs des jeux vidéo. "Attention à la diabolisation des jeux, cela n’aura pour seule conséquence d’augmenter la pratique", affirme-t-elle. 

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