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Rouler à l’hydrogène, une fausse bonne idée ? Nous avons testé deux modèles récents et interrogé un prof d'université

Le salon de l’auto – qui n’en était pas vraiment un – vient de fermer ses portes dans les concessions du pays. Sans surprise, ce sont les véhicules équipés de mécaniques électriques ou hybrides qui ont été plébiscités par le public, des motorisations autant plébiscitées que les diesel l’an passé en Belgique derrière l’essence. Ces moyens de propulsion présentés comme moins polluants effacent quasi-complètement d’autres technologies prometteuses, mais qui peinent à se faire une place sur le marché des particuliers. Manque d’ambition ? De pertinence écologique ? Technologie trop onéreuse ? On vous parle aujourd’hui de l’hydrogène qui équipes les Toyota Mirai et Hyundai Nexo, deux modèles unique en leur genre sur le marché des véhicules pour particuliers.

Tentons d’abord d’expliquer comment fonctionne une voiture propulsée par hydrogène. Dans les faits, ce n’est pas cette molécule naturellement présente dans l’atmosphère qui fait directement tourner les roues. L’hydrogène stocké dans le réservoir de la voiture est mélangé à l’air à travers la pile à combustible, il s’en suit une réaction chimique qui génère de l’électricité. Celle-ci est envoyée directement au moteur électrique, qui se charge de faire tourner les roues. Dans l’intervalle, le mélange de l’air (O) et de l’hydrogène (H) a également créé de l’eau (H2O) : c’est tout ce que rejette la voiture ! L’action du filtre à air embarqué élimine les microparticules et rejette l’air non-utilisé encore plus propre que lors de son entrée dans le véhicule. Toyota et Hyundai se sont lancés dans le développement de ces deux véhicules il y a une petite dizaine d’années. La Mirai a connu une première version en 2015, tandis que la Nexo a été précédée par une version modifiée de la ix35 en 2013.

Cette voiture 100% propre à l’utilisation qui a en plus l’avantage d’être aussi rapide à recharger qu’une voiture à combustion classique. Il ne faut en effet que quelques minutes pour remplir les réservoirs à hydrogène de chaque véhicule testé. Ajoutez à cela une batterie embarquée qui est rechargée par l’énergie cinétique générée par les roues lorsque la voiture est en phase de décélération, et vous obtenez une autonomie qui atteint environ 650km en théorie (la pratique nous envoie plutôt aux alentours des 500km). La vocation luxueuse et sportive de la Toyota Mirai tranche avec la forme massive façon SUV de la Hyundai Nexo (un poids de près de deux tonnes pour chaque voiture !) mais dans les deux cas la confort de conduite est bien présent puisque le moteur électrique propose un couple de 300 Newton mètre pour la première citée, et 395 pour la seconde. Le tableau présenté ici est assez positif et semble proposer une alternative pertinente face aux véhicules électriques ou hybrides. Mais qu’est-ce qui cloche alors ?

Puisque l’on parle de mobilité, parlons immédiatement du gros handicap de ces véhicules à hydrogène : les stations de recharge sont quasiment introuvables en Belgique ! Seules trois sont actives. L’une est gérée par Air Liquide à Zaventem près de Bruxelles, une seconde est gérée par CMB.TECH à Anvers et la troisième se situe à Hal, à côté du siège de l’enseigne Colruyt. C’est un détail qui a son importance puisque cette station de recharge DATS 24 est la première d’une série que le géant belge de la distribution compte développer ces prochains mois. Plusieurs installations devraient devenir opérationnelles courant de cette année à Herve, à Haasrode, à Erpe-Mere et à Wilrijk. Hyundai nous signale d’ailleurs que Colruyt propose plusieurs modèles Nexo dans sa flotte de véhicule pour le personnel ayant-droit, une manière d’encourager le développement de cette énergie. Cela reste malgré tout compliqué de « faire le plein » d’hydrogène en Belgique et plus difficile encore dans certains pays limitrophes. L’Allemagne propose 91 stations de recharge, mais la France n’en compte que 4 et l’Espagne 2 ! Point intéressant pour ne pas tomber en rade : le GPS embarqué de la Hyundai Nexo indique le rayon de mobilité qu’il est possible de parcourir avec le plein restant (avec proposition des stations à proximité. A l’inverse, la Toyota ne propose pas ce genre d’option pourtant essentielle vu la pauvreté du réseau. Ce premier frein à l’achat s’accompagne d’un autre, et non des moindres : le prix d’achat et le prix du plein. Comptez 64.470€ pour la Toyota Mirai en finition de base et 73.999€ pour la Hyundai Nexo (une seule finition). Cette technologie est chère et les coûts de développement n’ont pas encore été absorbés par les ventes qui restent très confidentielles, sachant que Hyundai écoule environ 10 voitures par an, tandis que Toyota nous communique simplement avoir rempli ses objectifs.

Lors de notre essai, le kilo d’hydrogène s’échangeait contre 9,9€. A raison d’un réservoir d’une capacité de 5,6kg pour la Toyota Mirai et de 6,33kg pour la Nexo, un plein total revient à une soixantaine d’euros environ. Cela paraît raisonnable de prime abord, mais vu que l’autonomie se limite à 500km en conditions réelles, cela fait cher le plein d’hydrogène. En comparaison, un véhicule diesel disposant d’un réservoir de 45 litres et consommant 4,5 litres/100 demande 74€ pour un plein complet, sur base d’un coût de 1,65€ le litre de diesel au moment de la rédaction de cet article, et permet d’atteindre une autonomie de 1000km environ.

Au-delà de ces considérations pratiques et financières s’ajoute la composante écologique d’une voiture à hydrogène. S’il n’y a rien à redire d’un point de vue pratique – le véhicule rejetant exclusivement de l’air et de l’eau – il y a par contre de légitimes réserves à exprimer sur la propreté du processus de fabrication de l’hydrogène, ainsi que son acheminement. Comme nous l’explique le professeur en génie des matériaux et procédés à l’UC Louvain Joris Proost l’hydrogène fabriqué aujourd’hui est très majoritairement « gris », en ce sens que le procédé est très polluant. Pour produire de l’hydrogène, il faut « casser » la molécule qui compose le méthane, gaz d’où il est issu. On utilise le procédé de vapo-réformage pour y parvenir, qui consiste à chauffer le gaz en question. Résultat : il aura fallu émettre huit tonnes de CO2 pour produire une seule tonne d’hydrogène ! Et dire qu’il faut ensuite acheminer l’hydrogène produit jusqu’à l’une des rares pompes disponibles… Les industries qui produisent de l’amoniac ou du méthanol en Belgique utilisent de l’hydrogène à grande échelle, de l’hydrogène « gris » pour l’essentiel.

Rouler en voiture propulsé par hydrogène « gris » est donc polluant. Avec de l’hydrogène « bleu » également, lequel repose sur le même principe que le « gris », avec en plus un système de captation du CO2 émis pour le stocker ou le transformer. Vient alors une troisième couleur, le « vert ». Si les choses se sont grandement accéléré pour les voitures électriques ces dernières années (recyclage des batteries, réduction de l’utilisation de terres rares pour leur fabrication), cela pourrait également changer rapidement en ce qui concerne l’hydrogène. Des solutions se concrétisent pour produire cet hydrogène écolo, à commencer par l’électrolyse de l’eau. Cette technologie vieille de plusieurs décennies et déjà utilisée dans plusieurs pays scandinaves. Elle consiste à faire passer de l’eau purifiée dans un électrolyseur où elle va être stimulée par deux pôles électriques, ce qui crée de l’hydrogène que l’on peut récupérer sous forme de gaz. Cette technologie utilise de l’énergie « verte » générée notamment à base d’hydro-électricité que l’on sait abondante dans les pays scandinaves (40% de la production énergétique en Suède, 95% en Norvège). Le procédé est pertinent, écologique et peu couteux. Cette situation est difficilement transposable chez nous, notre source de production essentielle d’électricité verte provient de l’éolien et est redistribuée vers les ménages ou les industries. Pas d’électricité verte disponible pour créer de l’hydrogène ! Une solution pourrait être la création de petites centrales de production à des endroits stratégiques, sur base d’un électrolyseur relié à une éolienne, afin de produire directement de l’hydrogène à l’endroit voulu. Plus de souci de pollution ou de transport ! Un pas a été réalisé récemment en ce sens, avec l’octroi d’un permis d’environnement pour une usine de production d’hydrogène vert à quelques kilomètres de la frontière belge, aux Pays-Bas. Si cette solution représenter un coup d’accélérateur pour la production, il faut aussi que le marché particulier suive. A quoi bon produire plus d’hydrogène si les besoins n’augmentent pas ?

La voiture à hydrogène a-t-elle un avenir au regard de ces arguments ? Oui sans aucun doute, mais l’industrie et la technologie doivent évoluer car en l’état, difficile de conseiller l’achat de l’une des deux uniques voitures du marché roulant à l’aide de cette énergie polluante à fabriquer. Ces laboratoires sur roues, comme Toyota aime le dire, préfigurent néanmoins un avenir intéressant qui pourrait s’avérer pertinent en complément des véhicules électriques. En effet, alors que la demande en électricité augmente de plus en plus pour recharger les véhicules électriques, et que le temps de recharge reste assez élevé pour une autonomie relativement basse (sauf quelques exceptions haut de gamme), les voitures à hydrogène démontrent leur pertinence dans une utilisation quotidienne, grâce à une autonomie moyenne utile récupérée en peu de temps grâce à un plein rapide.

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