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Ne plus subir la loi des spéculateurs: en France, des boulangers, meuniers et fermiers s'entendent sur le prix du blé entre eux

Sur la vitrine de cette boulangerie de Bourg-en-Bresse, les journaux font leurs titres sur les manifestations d'agriculteurs organisées le même jour à quelques kilomètres, pour crier leur détresse et réclamer des prix plus élevés pour leurs productions.

A l'intérieur, des baguettes dorées sortent du four, fabriquées grâce à un blé "éthique": agriculteur, meunier et boulanger se sont mis d'accord sur son prix, avec comme objectif d'assurer un revenu décent au producteur.

"Aujourd'hui, les agriculteurs subissent la volatilité des cours mondiaux du blé, c'est infernal", explique le boulanger Christophe Félix, qui a tout de suite accepté d'entrer dans la démarche Agri-Ethique lorsque son meunier le lui a proposé en septembre.

"Cela correspond à notre politique actuelle: faire du local, du circuit court et préserver le revenu des agriculteurs", assure-t-il.

L'initiative a été lancée en 2013 par une coopérative vendéenne, la Cavac, sur le modèle du commerce équitable. Une "démarche solidaire" visant à se "déconnecter complètement des marchés financiers", explique Ludovic Brindejonc, le directeur général du programme.

Le prix du blé acheté aux agriculteurs est fixé en fonction du coût de production dans une région donnée. Meuniers et boulangers s'engagent à acheter la céréale à ce prix pendant trois ans.

Redonner du sens

A une heure de route en Bourgogne, Emmanuel Buisset cultive le blé qui fournira la farine pour le boulanger de Bourg-en-Bresse.

"Au-delà du prix", qui peut être supérieur ou inférieur au cours mondial en fonction des périodes, "c'est la visibilité sur trois ans qui est intéressante. On peut calculer nos coûts de production et savoir quelle marge on pourra avoir", sourit-il en examinant les jeunes pousses vertes de blé dans son champ.

Un exercice "assez compliqué" en temps normal, dans un métier soumis aux caprices de la météo.

Surtout, Agri-Ethique permet "le partage de la juste valeur des productions, entre l'agriculteur, le minotier et le boulanger", et redonne du sens au métier, en permettant aux uns et aux autres de se rencontrer, souligne M. Buisset.

Pour la meunerie Nicot, près de Beaune, qui rachète le blé d'Emmanuel Buisset et le transforme en farine pour Christophe Félix, "il s'agit de créer un cercle vertueux plutôt que de chercher le prix le plus bas (...) Quel est l'intérêt d'acheter très bas si les gens qui vous fournissent sont étranglés?", résume Jean-Philippe Nicot, le directeur général.

D'autant qu'avec les fluctuations mondiales, "acheter du blé, c'est toujours des regrets. On a toujours acheté trop cher, on a jamais acheté assez bas", rappelle-t-il.

Libérés de l'inquiétude sur les prix, chacun peut se concentrer sur la qualité de sa production, blé, farine ou pain.

Agri-Ethique "nous permet de nous différencier par rapport à la concurrence" des autres boulangeries, car "les consommateurs sont très réceptifs" à ce type de démarche, souligne Christophe Félix.

Le boulanger vend toujours sa baguette au même prix (0,85 centimes). Le prix d'achat de la farine stipulé par le contrat est un peu plus élevé qu'auparavant, mais l'impact sur son coût de production est faible car le blé ne représente que 15% du prix de la baguette.

La démarche Agri-Ethique a fait boule de neige en trois ans, principalement sur le littoral Ouest, près de Toulouse et en Rhône-Alpes: huit coopératives, 14 moulins et 600 agriculteurs et presque autant de boulangers y ont souscrit.

Mais les volumes de blé concernés restent infimes: 30.000 tonnes sur les 41 millions produits l'an dernier en France. Et ceux qui s'engagent ne le font pas sur la totalité de leur récolte ou de leur production de farine, seulement sur une fraction.

"C'est une niche. Mais comme on n'a pas de prise sur les prix, on est à l'affût de ce genre de démarche", souligne Michel Duvernois, directeur de la coopérative Bourgogne du Sud. La généralisation "dépendra du consommateur et de son intérêt".

Un contrat Agri-Ethique a déjà été lancé dans le domaine du vin. D'autres pourraient voir le jour bientôt pour le lait et le porc, deux secteurs gravement touchés par la chute des prix.

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