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Le CBD, îlot de liberté dans un Japon diabolisant le cannabis

Entre lois répressives et réprobation sociale, le cannabis reste diabolisé au Japon. Mais le cannabidiol (CBD), sa molécule vantée pour ses effets relaxants et non stupéfiants, gagne en popularité dans le pays, à petites doses.

Dans un petit club branché de Tokyo, il règne comme un parfum de liberté ce soir-là à l'occasion de "Cannabis Expo", une fête où l'on fume et vapote joyeusement du CBD en dansant sur du rap ou du reggae.

"Quand j'étais enfant, on m'a appris à l'école et ailleurs que la marijuana était un interdit absolu", raconte à l'AFP Ai Takahashi, une danseuse professionnelle de 33 ans croisée à la fête.

"Mais étant une fan de reggae, j'en ai fumé lorsque j'ai voyagé dans des endroits où c'est légal. J'ai trouvé que ce n'était pas trop mal".

La jeune femme s'est ensuite intéressée au CBD, qui n'est pas illégal au Japon s'il est extrait de graines ou de tiges de cannabis. Sur ses conseils, sa mère en a pris pour soigner sa dépression et cela l'a vraiment aidée, assure-t-elle.

Le CBD est encore un marché modeste au Japon - 59 millions de dollars en 2019 - mais il était quasiment inexistant quelques années auparavant, selon le cabinet d'études Visiongraph.

- Une mauvaise réputation -

Et la tolérance zéro pour la consommation de cannabis au Japon pousse les vendeurs de produits à base de CBD à prôner la discrétion. D'autant qu'il est interdit au Japon de fumer ne serait-ce que du tabac dans la rue, à part dans des espaces réservés.

Le CBD est "légal, mais nous demandons aux clients d'en profiter à la maison" pour éviter qu'ils ne s'attirent "des ennuis", témoigne auprès de l'AFP un vendeur à Tokyo, Norihiko Hayashi, 37 ans.

Au Japon, "la marijuana est perçue comme une substance prisée par les délinquants", dit Ryudai Nemoto, un employé d'une boutique de produits au CBD dans le département d'Ibaraki, au nord-est de la capitale.

"Personnellement je ne vois pas les choses comme ça, sachant qu'il y a des gens qui s'y intéressent pour des raisons thérapeutiques, mais ce n'est pas l'avis du grand public", ajoute ce vendeur de 21 ans.

Seulement 1,4% des Japonais disent avoir essayé la marijuana, selon le ministère nippon de la Santé, contre plus de 40% en France et environ 50% aux Etats-Unis.

Les célébrités locales prises en défaut sont systématiquement boycottées par leurs fans et leurs employeurs. En 1980, l'ancien Beatle Paul McCartney avait même passé neuf jours en détention à Tokyo après la découverte de cannabis dans ses bagages.

Les interpellations liées au cannabis sont en hausse depuis près de dix ans au Japon et ont même atteint un record de 5.482 l'année dernière. Alors que d'autres Etats ont légalisé l'herbe ou assoupli leur législation en la matière, dont tout récemment la Thaïlande qui a dépénalisé sa culture et sa vente, une première en Asie.

- Cannabis médical en débat -

Le gouvernement nippon cherche à combler une faille juridique qui fait que la consommation de cannabis est techniquement légale, même si la possession de ses bourgeons, feuilles et racines est passible de cinq ans de prison, voire sept ans en cas de vente à des fins lucratives.

Ce paradoxe découle d'une antique mesure visant à éviter que les agriculteurs soient arrêtés pour avoir inhalé de la fumée psychoactive lorsqu'ils cultivent du chanvre pour fabriquer des cordes par exemple.

La sévérité du Japon à l'égard du cannabis remonte à la période de l'occupation américaine du pays après la Seconde Guerre mondiale, quand les Américains "considéraient la marijuana comme un problème et une menace, même si la consommation était limitée et stigmatisée", explique à l'AFP Miriam Kingsberg Kadia, une historienne de l'université du Colorado (ouest des Etats-Unis) spécialiste du rapport du Japon aux drogues.

"Ces lois draconiennes contre une drogue qui n'était pas vraiment un problème sont restées en vigueur" au Japon, estime cette chercheuse.

Le gouvernement japonais pourrait toutefois autoriser dès cette année des médicaments dérivés du cannabis, déjà approuvés dans de nombreux pays.

Un premier pas vers la légalisation du cannabis à usage récréatif? "Jamais" assure le vendeur de CBD Norihiko Hayashi. Ou "pas avant plus de 100 ans. Je serai déjà mort".

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