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"Face à un mur": Caroline, une Belge diplômée éducatrice spécialisée en France, ne peut exercer son métier en Belgique

La jeune femme de 32 ans a obtenu un diplôme d'éducatrice spécialisée en France en 2013. Mais, elle ne peut exercer son métier dans son pays natal car les services d'équivalences ne reconnaissent pas sa formation. Que peut-elle espérer ?

Caroline, 32 ans, nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour mettre en lumière une situation handicapante pour elle. Partie s'installer en France à 18 ans pour vivre avec son compagnon d'origine française, elle y a fait des études d'éducatrice spécialisée, décrochant son diplôme en 2013. Revenue s'installer en Belgique "pour des raisons personnelles" en janvier de cette année, après presque 10 ans de travail en France en tant qu'éducatrice spécialisée "dans un service de protection de l'enfance", Caroline a eu une mauvaise surprise. La jeune femme, devenue maman, a appris qu'elle ne pouvait exercer son métier en Belgique car "les services d'équivalences des diplômes refusent de reconnaître" son diplôme français.

"Selon eux, il n'existe pas de formation correspondante du même niveau en Belgique", rapporte-t-elle. Mais sans cette équivalence de diplôme, les employeurs ne peuvent embaucher légalement Caroline. Et "aucune personne n'est en capacité de m'expliquer clairement la démarche à suivre pour pouvoir valider mes acquis en Belgique", souligne-t-elle.

Une situation intenable et aucune véritable solution donnée à Caroline

Sans équivalence de son diplôme français, Caroline ne peut pas exercer la profession pour laquelle elle a été diplômée dans notre pays. "Jai de bons entretiens dembauche, je suis motivée, mais il manque à chaque fois ce papier", soupire Caroline. Un problème dont elle n'avait pas conscience en faisant ses études en France, et qui l'empêche de pleinement subvenir aux besoins de sa fille de tout juste 18 mois, nous explique-t-elle : "Je me retrouve sans rien, avec le chômage minimum puisque j'ai travaillé en France et que je n'ai pas cotisé en Belgique", affirme Caroline qui, à cause de sa situation, est obligée d'être hébergée chez sa maman, ce qui a une conséquence sur le montant de son allocation de chômage : "Je suis considérée comme cohabitante donc mon chômage est très bas et les revenus de ma mère ont aussi baissé (NDLR: puisqu'elle aussi est devenue cohabitante en accueillant sa fille)." 

"Jai un bébé et je me retrouve obligée d'aller aux Restos du cœur pour nous nourrir. Je suis désespérée", nous assure-t-elle. "Il ny a pas dissue, je me retrouve face à un mur ! Cest dommage de ne pas pratiquer le métier que je fais depuis des années", regrette-t-elle

Pourtant, des démarches, Caroline en a entrepris. Mais aucune véritable solution ne lui a été donnée: "Le service des équivalences de diplômes pour la Wallonie et Bruxelles a répondu par la négative en expliquant que la formation n’était pas équivalente en Belgique et que l’équivalence est introuvable, sans me donner aucune piste pour aller plus loin."

Seule solution: la reprise d'études en Belgique pour obtenir un diplôme belge   

Nous avons contacté la directrice du service de reconnaissance des diplômes étrangers pour la Wallonie et Bruxelles, Madame Courcelles. La seule solution pour Caroline est de reprendre des études afin d'obtenir le diplôme belge ou bien faire une équivalence de niveau.  

"Le problème est lié à la façon dont la France positionne son diplôme sur son cadre de certification national. Il sagit dun diplôme de niveau 5 (...) Étant donné quil ny pas de diplôme de niveau 5 en Fédération Wallonie-Bruxelles correspondant à ce programme d’études, nous orienterons la personne vers une équivalence de niveau d’études". Mais il y a un problème, l’équivalence de niveau d’études nest pas suffisante pour Caroline car elle ne lui permettrait pas de travailler dans le service pour lequel elle a étudié : celui de la protection à la petite-enfance en milieu ouvert, à savoir, familles d'accueil, soutien aux enfants maltraités, et autres sujets sensibles. "Pour travailler en tant qu’éducatrice spécialisée, il faut une équivalence de diplôme et pas de niveau", dit Caroline, qui avait déentrepris ces démarches.   

Dans ce cas, la seule option est de reprendre des études afin d'obtenir un diplôme belge, embraye Madame Courcelles: "L'intéressée obtiendrait le diplôme de Bachelier d'éducateur spécialisé délivré par la Haute Ecole dans laquelle elle aurait adapté sa formation par une reprise d'études". Mais, pour Caroline, ce nest pas une option envisageable pour l'instant: "Jai un bébé de 18 mois, jai déjà un diplôme et jai travaillé pendant 10 ans en France…", ce qui devrait suffire, estime cette jeune maman.

Bloquée, Caroline envisage de changer de formation 

La situation de Caroline est tellement bloquée qu'elle envisage même de changer de métier pour pouvoir, enfin, travailler et subvenir aux besoins de sa fille. "Ce serait une solution temporaire mais je me suis renseignée pour reprendre une formation dans le forestier", explique-t-elle. Une formation sur le terrain qui dure 9 mois, avec des cours la journée, et qui lui permettrait de faire de l'entretien d'espaces naturels, par exemple. "C’est pas ma volonté première mais je n'ai pas le choix. Ça ne me dérange pas de travailler au bois. Mais c'est sûr, c'est frustrant", confie Caroline. 

Si elle a choisi cette voie, c'est parce que les formations d'éducateur spécialisé ne proposent que "des cours du soir", à quasiment 1h de route de chez elle. "Mais avec un bébé encore à la crèche, c’est pas possible. Le soir sont des heures importantes", estime cette jeune maman qui préfère être là pour sa fille et "mettre de côté" sa formation d'éducatrice. Caroline attendra donc que sa fille soit scolarisée pour reprendre une formation dans le social en Belgique afin d'obtenir un diplôme belge. Et pouvoir enfin travailler en tant qu'éducatrice spécialisée dans notre pays. 

Mais elle regrette d'être obligée d'en arriver là. Plus de neuf mois sont passés depuis son retour en Belgique, et "rien n'a évolué" malgré "des candidatures à gauche et à droite". "Ça n'aboutit à rien", déplore-t-elle. 

Sur quels critères se basent le service des équivalences de diplôme ?

Afin de comprendre comment Caroline en est arrivée là, il faut reprendre depuis le début : pour constituer une demande aux services des équivalences de diplômes en Wallonie et à Bruxelles, Caroline a dû monter un dossier (avec un coût de 200 euros) qui a été examiné par le service d’équivalence des diplômes. Cet examen peut prendre jusqu’à 2 mois, précise Madame Courcelles.

Mais quels sont les éléments pris en compte dans l’examen de ce dossier ? La directrice du service des équivalences nous éclaire:

  1. Le niveau des études: "Nous regardons leur positionnement dans le cadre denseignement supérieur étranger. Pour le bachelier en question, il relève dun niveau 6 du Cadre européen des certifications, tandis que le diplôme français d’éducateur spécialisé est considéré, en France, comme correspondant à un niveau 5".
  2. La durée légale du programme "en crédits (ECTS) ou années d’études"
  3. Les exigences liées au contenu du programme d’études : "Cours, stages et travail de fin d’études".

Sur ce dernier critère, Madame Courcelles précise que c’est "la Commission d’équivalence, un organe davis composé dexperts par domaine d’études (professeurs duniversité, de Hautes Ecoles, etc), qui se prononce sur le fond de la demande". C’est donc à la Commission d’équivalence de statuer sur "la comparabilité du programme d’études étranger avec celui du diplôme délivré en Fédération Wallonie-Bruxelles".          

Crédits ECTS: à quoi servent-ils ?   

Les crédits ECTS (pour European Crédits Transfer System en anglais) sont utilisés dans les universités et Hautes Écoles de "la plupart des pays de l’espace européen en tant que système national de crédits, et il est de plus en plus utilisé ailleurs", mentionne le site de l’UE. Ces crédits sont une sorte de témoignage de la validation d’acquis ou d’expériences durant les études supérieures réalisées dans un pays européen. Chaque année validée par un étudiant lui rapporte ainsi 60 crédits ECTS. A la fin de son Bachelier, l’étudiant remporte donc 180 crédits. Une démarche censée faciliter la reprise d’études dans un pays européen mais aussi la reconnaissance d’un diplôme puisque les crédits attestent de la validation d’acquis.

D'après Madame Courcelles, les crédits ECTS "facilitent la lisibilité d'un diplôme et le rendent universel pour toute reprise d'études mais n'induisent pas forcément l'obtention d'une équivalence". Elle développe : "La question du niveau de formation nest pas directement liée aux nombres dECTS. Le positionnement dun diplôme ou dune certification sur un cadre national de qualification dépend de descripteurs dune autre nature". A savoir, les huit niveaux du "European Qualifications Framework"une sorte de table des matières référençant les qualifications par niveau pour rendre plus lisible les formations au niveau européen.

"Ainsi, en France, le DEES (ndlr, Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé) en question est classé au niveau 5 malgré ses 180 crédits, alors que dautres diplômes d'État de 180 crédits, ont été classés au niveau 6"illustre Madame Courcelles.

Les crédits ECTS ne sont donc qu’une partie du processus d’évaluation et ne permettent pas en tant que tel d’obtenir une équivalence de diplôme à coup sûr.

Quels recours pour Caroline?

Si elle le souhaite, Caroline peut entreprendre des recours. Deux voies sont possibles. D'après les informations données par Madame Courcelles, Caroline pourrait faire appel au Médiateur (détails sur le site Le Médiateur de la Fédération Wallonie-Bruxelles) ou avoir recours au Conseil dEtat. 

Par le passé, le Médiateur a déjà réussi à faire bouger les choses comme en témoignent de nombreux témoignages sur des forums. Mais la procédure peut être longue et se conclure par un refus. Le Médiateur ne peut, dans tous les cas, pas décider à la place de la Commission d'équivalence, il peut seulement saisir la Commission qui devra alors soit modifier sa décision soit mieux la justifier. 

Une profession en pénurie? 

Entre le mois de mars et d'avril, Caroline a pu travailler 3 semaines dans une école spécialisée en province de Luxembourg, avec un contrat de remplacement. Si l'employeur a décidé de l'embaucher, ce serait parce qu'il y a "une pénurie d'éducateur spécialisé", affirme Caroline qui reprend les propos de son ancien employeur.

Le secteur est-il réellement en pénurie? Afin de vérifier, nous avons contacté le porte-parole du Forem, Thierry Ney. Et selon les statistiques, la profession était bien considérée comme "critique" en 2020 mais "elle ne l'est pas cette année". Pour Thierry Ney, ce serait surtout "lié au contexte particulier du covid l'année dernière" avec la fermeture des écoles et des établissements spécialisés où travaillent habituellement les éducateurs spécialisés, explique-t-il.

Sur quels critères le Forem déclare si une profession est en pénurie? Le porte-parole nous éclaire: "On regarde les statistiques sur les offres d’emploi du Forem, l'analyse de nos conseillers, et enfin, une discussion avec le secteur concerné". Après analyse de tous ces points, le Forem a donc conclu que le secteur n'était plus en pénurie cette année, surtout avec la réouverture des établissements. 

Et en attendant?

En attendant que sa situation se débloque, soit en faisant recours de la décision du service d'équivalence soit en reprenant des études en Belgique, Caroline peut donc continuer de se présenter à des entretiens d'embauche, et espérer qu'un employeur l'embauche malgré le fait qu'elle n'ait pas l'équivalence de son diplôme français. "J'aime ce travail, je l'ai toujours fait avec beaucoup de dévouement. Je trouve cela dommage d'avoir une telle envie de travailler et d'accumuler les refus alors que j'exerce ce métier depuis des années", termine-t-elle.

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