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"Un armurier ne ferme pas pendant la résistance": Jean-Luc brave le confinement en réparant de nombreuses machines à coudre

Le coronavirus en Belgique impacte des secteurs inattendus. Les entreprises spécialisées dans la vente, réparation et entretien de machines à coudre en font partie. Jean-Luc, qui travaille dans ce domaine depuis 30 ans, refuse d'abandonner ses clients, qui ont besoin de son aide pour fabriquer de nombreux masques.

Jean-Luc fait partie de cette armée de bénévoles désireux d'aider à la confection de masques. C'est une lectrice qui a contacté RTL INFO via le bouton orange Alertez-nous, désireuse de mettre en avant cette initiative. Jean-Luc n'a pas envie de coudre, mais cet habitant du Brabant flamand s'est par contre spécialisé dans le secteur de la couture. Il dispose de deux magasins, lesquels accueillent les personnes désireuses de faire réparer leur machine, en plus de leur fournir du matériel pour pouvoir assurer leur hobby ou tâche principale.

"Ce qui m'amuse, c'est la technique des machines, pas la couture. C'est une mécanique bien spécifique", nous explique Jean-Luc. Du haut de ses 55 ans, notre réparateur est actif dans le secteur depuis une bonne trentaine d'année. Ces deux établissements "existent depuis 1959. J'y suis depuis la fin des années 80", raconte-t-il. "Nous sommes des spécialistes en machines à coudre, on a du petit matériel, mais nous sommes surtout connus pour notre service réparation", poursuit-il.

Le travail quotidien, lourd dans certains cas, s'avérait passionnant et les deux ateliers tournaient à merveille. Mais le coronavirus est venu tout chambouler. "Comme tout le monde, nous avons dû fermer", regrette Jean-Luc. Une fermeture qui, aujourd'hui, ne lui paraît plus légitime.


 

La course aux masques

En effet, Jean-Luc et sa compagne ont reçu de très nombreuses demandes de réparation. La raison est simple: des centaines de volontaires ont demandé à pouvoir faire réparer leur machine afin de coudre des masques en tissu, aujourd'hui recommandés par les autorités belges.

Devant ces demandes incessantes, Jean-Luc a décidé de rouvrir un de ses deux magasins, malgré les consignes officielles. "On travaille dans une situation de stress particulière", admet-il. "Nous ne pouvons pas ouvrir. Les gens ne peuvent pas savoir qu'on est ouvert, tout se fait dans le secret", détaille-t-il ensuite, avant d'aborder la méthode utilisée. "Quand on m'appelle, je propose au client de se présenter dans la rue d'en face. Je vais alors chercher les machines dans la voiture, je fais la réparation et je le rappelle quand c'est terminé. Tout se fait sans entrer dans le magasin".

Nous ne pouvons pas en parler sur les réseaux sociaux

Et le succès est très impressionnant. "Rien que ce matin, j'ai eu une dizaine de machines à coudre à réparer", affirme Jean-Luc. "Je n'ai pas vu un seul client qui venait pour coudre des pantalons ou faire des ourlets. Tout le monde veut fabriquer des masques. On essaie simplement de gérer cela au mieux...", explique-t-il, non sans un sourire dans la voix. 

Comment expliquer ce succès ? Par le bouche à oreille, seul moyen de promotion de ces initiatives. "Nous ne pouvons pas parler de cela sur nos réseaux sociaux", explique Jean-Luc. "Les gens finissent par le savoir, en parlent entre eux et le bouche à oreille fait son effet", se réjouit-il ensuite.

Selon Jean-Luc, la fermeture obligatoire de ces ateliers n'a plus beaucoup de sens au vu de la situation actuelle. "Nous ne faisons pas ça pour le business", se justifie le réparateur. "Cela nous aide financièrement, c'est vrai, mais en même temps, il faut absolument produire des masques. On nous dit qu'on est en guerre ? Nos machines à coudre sont plus efficaces que n'importe quelle arme en ce moment. Un armurier ne ferme pas pendant la résistance, il s'adapte", ponctue Jean-Luc, déterminé à continuer.

Selon lui, il n'y a cependant aucune raison d'en vouloir aux autorités, qui considère que la situation dépasse tout le monde. "Ils veulent nous protéger, cela part d'une bonne intention", pense Jean-Luc. "Ils n'ont sans doute pas pensé à nous quand il a fallu envisager une réouverture. Il faut peut-être y repenser aujourd'hui".

Venir en aide

Aujourd'hui, Jean-Luc prône la réouverture des ateliers de réparation. S'il a fait le choix de continuer à exercer malgré les consignes, ce réparateur préférerait tout de même que les choses évoluent. Il estime d'ailleurs que son fonctionnement actuel met en péril sa santé, bien plus qu'une réouverture encadrée. "Si nous pouvions rouvrir le magasin en laissant un client entrer à la fois, ce serait bien plus simple", estime-t-il. "Nous porterions des masques, nous respecterions les distanciations sociales. Je ne demande aucune mesure particulière. Si nous pouvions gérer notre commerce comme un magasin alimentaire, cela serait beaucoup plus simple et moins stressant, pour nous comme pour les clients".

Mais Jean-Luc va même plus loin. "Pour moi, les magasins qui vendent ces machines devraient aussi ouvrir", déclare-t-il. "Nous, par exemple, nous vendons aussi des élastiques, des aiguilles, quelques produits nécessaires à la fabrication de masques. Nous les revendons au prix coûtant, pour venir en aide aux gens", précise-t-il ensuite.

Cette réouverture permettrait, en outre, d'augmenter la capacité de ces réparateurs. "J'ai un employé au chômage actuellement. Il pourrait être tellement utile aujourd'hui...", regrette Jean-Luc, qui travaille seul avec sa compagne pour tenter de répondre à la demande. "Notre secteur a un grand rôle à jouer", conclut-il.

Le seul moyen de répondre à la demande

Selon lui, il faut d'ailleurs penser au-delà des particuliers. De nombreuses infrastructures désirent se lancer dans la fabrication massive de masques mais sont privés de moyens de le faire. "Nous avons par exemple un atelier protégé à Gembloux qui a besoin de machines", témoigne Jean-Luc. "S'ils sont dans l'embarras, comment font-ils ? Nous sommes leur seul moyen de répondre à la demande", détaille-t-il ensuite. 

Il est donc clair, pour lui, que la réouverture de ces ateliers, avec un bon encadrement, serait bénéfique au plus grand nombre. 

"C'est bon pour une fois..."

Braver le confinement comme il le fait n'est pas sans risque. Jean-Luc a d'ailleurs déjà reçu plusieurs visites policières ces dernières semaines. "Un jour, un policier est venu me signaler qu'il y avait trop de passage devant mon magasin", explique le réparateur. "Il a vérifié que la porte était bien fermée et m'a demandé de fermer complètement le volet, que j'avais laissé à moitié ouvert. Il n'était pas agressif, il faisait juste respecter les consignes. Je ne lui en veux pas".

Pire que cela, Jean-Luc a même déjà été pris en flagrant délit. "Un client se trouvait à l'intérieur. Le policier est entré et m'a demandé ce qu'il faisait là. Je lui ai dit que c'était un livreur, parce que j'ai toujours le droit de recevoir des colis. Il avait bien compris, mais m'a laissé le bénéfice du doute. 'C'est bon pour une fois', finalement", rigole Jean-Luc.

Mais le risque de sanction est bien présent, puisque Jean-Luc risque officiellement de 8 jours à trois mois de prison en plus d'une amende pouvait atteindre les 500 euros. "J'essaie juste de ne pas exagérer", nous répond Jean-Luc quand on aborde ce sujet. "Je répète que je veux aider les gens, pas faire du business...".

Rien n'indique actuellement que les magasins de ce genre seront rouverts prochainement. Contacté par nos soins, le centre de crise a avoué ne pas encore avoir de réponse à fournir à ce sujet.

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