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L'interruption médicale de grossesse, une douleur intime: "Pour moi, j'ai eu trois enfants, pas deux" témoigne Julie

Il y a 5 ans, Julie a vécu une interruption médicale de grossesse. Une sorte d'avortement pour des raisons médicales. Une situation qui touche plusieurs centaines de femmes en Belgique chaque année, et qui peut être difficile à vivre. Aujourd'hui, la jeune femme témoigne pour aider les parents qui en ressentent le besoin à en parler.

En Belgique, plusieurs centaines de femmes doivent mettre un terme à une grossesse chaque année pour des raisons médicales. Une situation difficile à vivre pour les parents et pour la famille. C'est ce qui est arrivé à Julie. Aujourd'hui, elle est prête à en parler publiquement, pour aider d'autres parents qui vivent la même situation à en parler à leur tour. Elle nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous.

Il y a 5 ans, Julie est enceinte. A 26 ans, elle et son compagnon attendent leur premier enfant. Mais voilà, après une échographie à 22 semaines, le médecin détecte un problème. La jeune femme, qui habite Gosselies, est envoyée à Bruxelles pour faire des examens plus poussés. Et là, le couperet tombe. Le futur bébé souffre d'hydrocéphalie. Une maladie rare qui provoque l'accumulation de liquide dans le cerveau du fœtus.

Les médecins détectent aussi un problème cardiaque. L'enfant ne survivra pas.

Julie et son compagnon sont alors confrontés à un choix : mener la grossesse à son terme et attendre que l’enfant meure naturellement ou bien demander une interruption médicale de grossesse. Pour Julie, pas question d’attendre l’accouchement et de faire naître l’enfant : « Je ne voulais absolument pas. C’était impossible pour moi de le faire souffrir pour rien. »

Pour le couple, le monde s’effondre. Ils ne connaitront jamais Loïc. Le choc est trop grand. « Tout de suite on se met une carapace, on n’est plus soi-même », raconte Julie. « On est perdu. On doit tout annuler. La chambre qu’on avait commencé à préparer, les vêtements. Et puis, on s’en va [de l’hôpital] à deux alors qu’on aurait dû s’en aller à trois. C’est inimaginable.»

A la maison, le silence s’installe. C’est ce qui a été le plus dur pour Julie. « Le plus souvent, dans les cas d’interruption médicale de grossesse, c’est une grossesse qui a été désirée. Les parents sont prêts à accueillir l’enfant. », explique Thérèse Guilmot. Ce qui rend l’interruption de la grossesse d’autant plus difficile à vivre pour les parents. Thérèse Guilmot est sage-femme aux cliniques universitaires St-Luc, à Bruxelles, et a accompagné de nombreux parents dans cette épreuve. Chaque année, l'hôpital prend en charge 40 à 50 interruptions médicales de grossesse.

Chaque cas est différent

L’interruption médicale de grossesse suit une procédure bien précise ; entre les premiers examens inquiétants et le moment de l’intervention, il s’écoule rarement plus de quelques jours.

Dès qu’un examen ne donne pas le bon résultat, le médecin demande un deuxième avis. « Si on a le moindre doute, on contacte un pédiatre qui est spécialisé dans la pathologie. » Suivront tous les examens nécessaires pour établir un diagnostic aussi précis que possible. Puis, quand le verdict tombe, les parents ont 7 jours de réflexion,  pour décider s’ils vont demander ou non une interruption de grossesse. « La demande doit toujours venir des parents, précise Thérèse Guilmot. Nous on informe juste. » Les examens continuent pendant cette période de réflexion. « En fin de compte, ça va toujours très vite. » résume Thérèse Guilmot.

Les causes pour une interruption médicale de grossesse sont nombreuses mais peuvent se classer en deux catégories : « les anomalies mortelles, par exemple une anomalie de développement de la boite crânienne, où il n'y a pas de développement du cerveau, et dont on sait que ça va mener au décès du bébé, et les anomalies sévères », détaille Frédéric Debiève, responsable de l’unité des grossesses à risque aux cliniques St-Luc. Il donne la liste de ces anomalies : chromosomiques (y compris les trisomies), cardiaques graves, neurologiques... « Et certaines maladies », qui peuvent entraîner des malformations graves, comme la toxoplasmose, par exemple.

Une fois la décision prise, il faut passer à l'acte. Le geste se fait progressivement, par étape. D'abord, le médecin va injecter un antidouleur puissant dans le cordon ombilical pour anesthésier le fœtus et la mère. Puis, quand le produit a fait son effet, un deuxième produit est injecté directement dans le corps du fœtus, pour arrêter son cœur. « Là, on ne peut pas l'injecter dans le cordon ombilical sinon la mère risque de le recevoir aussi. », explique Frédéric Debiève. Ensuite, vient l'accouchement, par césarienne ou par voie naturelle et, dans ce cas-là, il faut déclencher l'accouchement. « En tout, ça prend entre 24h et 48h. » 

Accompagner les familles

« On fait en sorte que le conjoint soit le plus présent possible.» Si possible, tout le temps que la mère va passer à l’hôpital. Une chambre est installée pour que l’autre parent puisse dormir sur place. « Quand c’est impossible ou que le conjoint n’est pas là, on essaie de trouver quelqu’un dans l’entourage qui pourra être présent. Et sinon, c’est nous qui jouons ce rôle-là. »

Pour Julie, c’est sa belle-sœur qui l’a accompagnée. Son conjoint n’a pas la force d’affronter l’intervention. Il se mure dans le silence. « Lui ne voulait pas et ne veut toujours pas en parler. » Pourquoi faire puisqu’on ne peut rien y changer, dit-il ? Mais la jeune femme a besoin de s’exprimer. Pour Thérèse Guilmot, « C’est important de ne pas affronter ce moment-seul. D’avoir quelqu’un qui a été là, une présence. »

Une souffrance intime

L’interruption médicale de grossesse touche à l’intime. L’entourage a parfois du mal à savoir comment en parler. Pour certains, c’est un tabou. Pour d’autres, on n’ose pas en parler car on ne sait pas quoi dire. Pour d’autres encore, on a peur de raviver une blessure. « Parfois, ma maman me demande si j’y pense, raconte Julie. Mais on y pense tous les jours. »

Luc Rogiers est psychiatre de liaison au service périnatalité des cliniques universitaires St-Luc. « L’être humain a besoin de partager. Surtout dans les moments difficiles. Mais il faut aussi comprendre que la parole ne convient pas à tout le monde. Et puis, elle peut provoquer des réactions inattendues, des réponses que l’on ne souhaite pas et qui peuvent faire mal. » 

Ces réactions, Julie a dû les affronter : tu verras, il y en aura d’autres, des enfants. Des mots difficiles à entendre. Pourtant « Il faut accepter les maladresses. Le plus important, c’est de savoir qui, dans l’entourage, est capable d’écouter, d’accompagner. », explique Thérèse Guilmot.

Cinq ans après, Julie a eu deux enfants. « Mais pour moi, j’ai trois enfants. » Avec le temps, c’est moins dur d’en parler « mais on y pense tous les jours. Je n’arrive toujours pas à m’y faire. Pour moi, ne pas en parler, c’est douloureux. »

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