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Toujours très peu de femmes dans l'informatique: voici comment une entreprise tente de changer le cours de choses

Médecin, vétérinaire, avocate, institutrice… Voilà les carrières qui attirent beaucoup de petites filles à l’âge de 10 ans. Les générations passent, la société et les métiers évoluent et pourtant, combien rêvent aujourd’hui de devenir ingénieure, informaticienne ou codeuse ? Les métiers du secteur des technologies de l'information et de la communication sont pourtant, selon ceux qui y évoluent, un secteur d'avenir. Et il est urgent d'impliquer plus de 50% de la population: les femmes.

Le secteur des technologies informatiques ne cesse de croître, de se diversifier, mais il a malgré tout du mal à se féminiser. On continue en effet à voir peu de femmes dans les équipes de développeurs et programmeurs informatiques.

Pour changer le cours des choses, des entreprises de technologies informatiques tentent de sensibiliser les jeunes filles dès leur plus jeune âge. C’est le cas de Cisco, à Bruxelles.

"La quatrième révolution industrielle va être dictée par l’intelligence artificielle"

"J’ai un avis assez radical sur l’évolution du monde", nous dit Arnaud Spirlet, directeur général de Cisco. "Selon moi, l’évolution et la digitalisation qu’on observe aujourd’hui est un train qui est en marche, qu’on ne saura pas arrêter, et qui va amener la quatrième révolution industrielle. Et celle-ci va être dictée par l’intelligence artificielle".

"60% des types d’emplois qui existent aujourd’hui n’existeront plus demain"

Selon le directeur, 60% des types d’emplois qui existent aujourd’hui n’existeront plus demain. "Une grosse partie de ce qu’un journaliste rédige par exemple, pourrait être pré-écrit, simplement en allant rechercher différentes ressources et en faisant une analyse derrière", dit-il. "Certains aspects de mon boulot aussi, pourraient être complètement automatisés !", projette le directeur. "Sur base de l’analyse des prévisions, on pourrait m’indiquer quelles décisions prendre, où investir et quoi faire."


"Apprendre à programmer, c’est comme apprendre le latin"

Pour Arnaud Spirlet, apprendre à programmer devrait être un passage obligé dans l’éducation d’un enfant. "Je ne parle pas de devenir programmateur", précise-t-il.  "Mais apprendre à programmer, de la même façon qu’on apprend le latin, c’est important. Personne ne parle latin, mais cela amène une structure de réflexion. Le fait d’apprendre à programmer et de comprendre comment ça fonctionne permet d’avoir un pied dans ce monde et ce monde va devenir dominant."

Être mieux préparé à la société qui arrive 

"Apprendre à programmer, c’est comme apprendre une langue supplémentaire. Ça devrait être obligatoire à partir du secondaire", avance le directeur de Cisco en tapant son poing sur la table. "Aux Etats Unis, les jeunes ont des petits modules de programmation. Ils jouent dessus, travaillent, font des lignes de code très simples. Ça ne veut pas dire qu’ils deviennent des programmeurs. Ça veut dire qu’ils sont beaucoup mieux préparés à être intégrés dans la société qui arrive."


"Un bon bagage technique, c’est utile dans n’importe quelle profession"

Philippe, qui gère le support technique de l'entreprise, souligne lui aussi l’importance d’une formation, quel que soit le métier auquel on se destine. "La technologie évolue tellement rapidement qu’on aura de plus en plus besoin de gens avec un bon bagage technique. Et pas seulement pour devenir ingénieur, ce bagage est utile dans n’importe quelle profession."


"Le chirurgien du futur ne va peut-être plus toucher à un patient !"

"Plus tard, quand on sera médecin, architecte, on aura besoin de connaissances suffisantes pour employer les outils qui vont être développés à ce moment-là", pense Philippe. "Le chirurgien du futur ne va peut-être même plus vraiment toucher à un patient. Il va travailler à travers un écran et c’est un robot qui va faire l’opération !"

"Ne pas impliquer 50 % de la population mondiale dans cette évolution serait une mauvaise affaire !"

Pour lui, ne pas investir de moyens pour sensibiliser les jeunes femmes serait une grosse erreur. "Ça serait vraiment faire une mauvaise affaire de ne pas impliquer 50 % de la population mondiale dans cette évolution !"

Des entreprises comme Cisco ont conscience qu’attirer les femmes dans le monde des technologies informatiques ne peut leur être que bénéfique. Via des événements ponctuels, l’entreprise basée à Bruxelles tente donc de briser certains stéréotypes tenaces et d’ouvrir l’horizon des perspectives qu’ont en tête les jeunes filles.

"Je pense que c’est le moment d’être une femme dans la technologie", pense Aurélia, global delivery partner manager au services technique. "Les entreprises l’observent, il y a beaucoup d’intérêts à avoir des femmes dans des rôles techniques. Avec un groupe diversifié, on a plus d’innovation et on s’entend aussi beaucoup mieux !"


"On n’engage pas de femmes juste par charité"

Le directeur Arnaud Spirlet constate que la venue de femmes crée de toutes autres dynamiques d’équipe. "La sensibilité est différente, plus forte. On ne perd pas de temps sur des blagues potaches, c’est très sérieux, on arrive à avancer. On n’engage pas de femmes juste par charité, une équipe avec de la diversité est toujours plus équilibrée et plus efficace."


"La technologie, ce n’est pas que n’être devant son ordinateur"

Aurélia travaille dans le support ingénieur, "Nous ne sommes pas beaucoup de femmes, on est à peu près 26%". Face à ce constat, elle a commencé il y a environ 5 ans, à lancer des projets et des initiatives pour que ce chiffre augmente.

"On fait des événements pour inspirer et encourager la future génération afin qu’elle pense à des études dans ce domaine. Grâce à cela, on casse un peu les stéréotypes que les jeunes filles peuvent avoir sur le fait de travailler dans une entreprise technique, sur le métier d’ingénieur.  Elles ont l’occasion de voir des femmes dans des rôles où elles pensaient ne voir que des hommes. Je pense qu’elles voient aussi que la technologie, ce n’est pas que n’être devant son ordinateur."

Dans une entreprise comme Cisco, on compte entre 15 et 20% de femmes travaillant dans le support technique. "On essaye de faire mieux que l’offre des universités", souligne Arnaud Spirlet.


Moins de 10% des étudiants sont des femmes

En informatique, les étudiantes représentent moins de 10 % des élèves inscrits dans les hautes écoles ou universités au sud comme au nord du pays.

"On s’est rendu compte qu’on aurait plus d’impact si on arrivait à changer l’offre à la base !", remarque le chef d'entreprise. "Si de plus en plus de filles choisissaient des études d’ingénieur, de mathématiques, de scientifiques, ça serait plus efficace. Pour moi, l’idéal, c’est 50/50. C’est la balance parfaite, une balance qui donne beaucoup plus de perspectives pour une entreprise."

Pour ouvrir l’horizon des jeunes filles, il ne faut pas agir trop tard.  "Avant, on travaillait avec des filles durant leurs études secondaires mais on a vu qu'à cet âge, elles avaient déjà une idée de ce qu’elles voulaient faire. C’est vraiment de 9 à 14 ans qu’on a plus de chance de les inspirer, de les encourager à penser à un avenir auquel elles n’auraient pas pensé à l’âge de 16 ans."


"On veut montrer que c’est cool d’être un ingénieur !"

Pour Philippe, employé au support technique de l’entreprise bruxelloise, les jeunes sont influencés par ce à quoi on les expose. "Pour l’une ou l’autre raison,  90% des filles à qui on demande ce qu’elles veulent faire répondent "Je veux être médecin, je veux être vétérinaire". Très rarement, elles vont dire "je veux être ingénieur" ! C’est ce cliché qu’on essaye de changer. On veut montrer que c’est cool d’être un ingénieur ! Il y a beaucoup d’opportunités et beaucoup d’options dans la technologie."

"A la TV, les rôles féminins sont des psychologues, des médecins... Les clichés se renforcent constamment"

Pour lui, la culture dans laquelle évolue un enfant forge certains clichés. "J’ai l’impression qu’il y a très peu de rôle modèle à la télévision, dans les séries TV. Et que c’est ça qu'il manque. Moi, quand j’étais gamin, mon rôle modèle c’était Mac Giver! J’ai la sensation que s’il y avait plus de rôles modèles féminins forts dans le domaine des sciences dans les médias populaires, ça inspirerait beaucoup plus de filles à choisir ce genre de direction.  Pour l’instant, les caractères forts joués par des femmes sont des psychologues, des médecins. Les clichés se renforcent constamment…"

 

"Les parents ont aussi un rôle à jouer"

Philippe est aussi père de famille. "Les parents aussi ont un rôle à jouer", selon lui. "Ça commence dès le plus jeune âge. On va dans le rayon des Barbies avec sa fille, pas dans le rayon des mécaniques !" A la maison, il tente de faire barrage à ces stéréotypes à sa façon. "J’ai donné mes Lego à ma fille!"

Fiona, manager au "technical assistant center", est du même avis. "Par définition, "technique égal hommes". Pourquoi on donne une poupée à une fille ? Ou un petit camion à un garçon ? Quelque part, on les dirige déjà inconsciemment vers un certain domaine ou pas".


Malgré tout, l’employée garde la foi. "Dans le passé, il y avait aussi peut-être la peur d’aller vers ces études car on se disait "Je vais être la seule fille dans une classe pleine de garçons". C’est un microcosme, mais je pense que ça évolue avec l'égalité hommes-femmes. Pour l’instant, il y a plus d’hommes, mais ça a tendance à changer."

Philippe, lui, attend encore un vrai changement. "On croyait que ça allait évoluer naturellement ces dernières années parce que la technologie est de plus en plus présente, tout le monde a un smartphone, une tablette, un ordinateur", explique-t-il. "Mais comme on le voit aujourd’hui, malgré cela, quand on leur demande ce qu’elles veulent faire, elles répondent "vétérinaire"".

"Mon boss est une femme, mais tous mes collègues sont des hommes !"

"En entreprise, avoir des femmes peut apporter beaucoup diversité, des approches et des façons de voir les choses variées. Les relations dans les équipes seraient aussi différentes". C’est l’avis de Raphael,  technical leader en service chez Cisco. "Je suis développeur et dans ce secteur il n’y a effectivement pas beaucoup de femmes. Dans mon métier, mon boss est une femme, mais tous mes collègues sont des hommes !"

Les offres d’emploi modifiées pour attirer les femmes

Dans certaines entreprises, une procédure spécifique doit être suivie lors du recrutement d’un nouvel employé, c’est le cas chez Cisco.  

Si Aurélia organise des événements pour les jeunes filles, elle participe aussi en interne à une réflexion sur les techniques de recrutement des employés. "On travaille avec les ressources humaines pour revoir notre façon de faire le recrutement."

Et cela commence dès les offres d’emplois, qui sont revues et corrigées pour attirer les femmes. "On fait en sorte que grâce au langage utilisé, les femmes se voient dans ces postes. Les descriptions ne doivent pas être trop masculines.  On supprime donc les phrases comme "vous voulez être une rock star de la technique", des choses qui ne parlent pas du tout aux femmes. Pour elles, on va plutôt utiliser des mots comme "Vous voulez changer la vie ? Vous voulez avoir un impact l’économie, sur la technologie et l’innovation ?"

"Ca ne veut pas dire qu’on va d’office choisir une femme !"

Une fois le poste ouvert, Cisco essaye qu’au moins 30% des candidats soient des femmes. "Si j’ouvre un poste et qu’il n’y a pas au moins une femme, dans la première liste des candidats, j’interdis qu’on fasse les interviews", explique Arnaud Spirlet, directeur de Cisco. "Mais ça ne veut pas dire qu’on va d’office choisir une femme ! Je ne crois pas du tout à la discrimination positive, c’est se tirer une balle dans le pied, c’est complètement idiot. Par contre, si la première liste n’est pas assez diversifiée, ça veut dire qu’on a pas bien fait son boulot dans le premier screening des candidats."

Enfin, les entretiens se déroulent face à au moins 50% d’interviewers de sexe féminin. "Si je suis une femme, que je postule pour un travail et qu’il n’y a que des hommes qui me posent des questions, je vais peut-être me demander si c’est vraiment un bon job, dans un milieu où je me sentirai à l’aise", imagine Aurélia. 

Ce jour-là chez Cisco, des dizaines de filles courraient dans les couloirs, papillonnant entre les étages et salles du bâtiment pour participer à des activités destinées à les convaincre de rejoindre le secteur des technologies informatiques. Peu d’entre-elles sont reparties convaincues, mais aucune ne dit détester les mathématiques, les technologies ou l’informatique, preuve que femmes ne souffrent pas d’un handicap technologique. Qu'elles soient adultes ou enfants, les femmes utilisent autant que les hommes les technologies dans leur quotidien. Mais de là à en faire leur métier...


"Ce n’est pas parce qu’on aime qu’on veut travailler ici !"

Haidi,  aime le sport, la chorale et le théâtre "parce qu’on peut dire ses émotions". Elle est la première à lever la main pour expliquer part où entre et sort le courant dans un circuit électrique. Mais elle aimerait être styliste ou avocate. "J’aime beaucoup la science à l’école, mais ce n’est pas parce qu’on aime qu’on veut travailler ici ! C’est intéressant, mais on est beaucoup à l’intérieur, c’est ennuyant." La petite fille est donc généreuse. "Plusieurs personnes veulent faire ces métiers, donc je leur laisse leur chance !"


Maha, 12 ans, réfléchis encore. "Moi, j’aime bien aider les gens. J’aimerais devenir médecin ou chirurgienne. Si je n’ai plus envie de ça, je viendrai peut-être travailler ici…"



"Je veux faire de la pâtisserie"

Sarah, elle, adore les mathématiques et ne voit aucune différence entre les garçons et les filles de sa classe de quatrième primaire: "J’adore les mathématiques ! Et il y a plusieurs filles dans ma classe qui aiment ca !"  

"Moi, je veux faire de la pâtisserie", dit Marie, qui a un plan B. "Si je ne fais pas ça, j’aimerais m’investir dans la technologie. Ça m’intéresse, mais je trouve que c’est un métier difficile, il y a beaucoup de choses à gérer."

Techniques de recrutement, image de la profession, facteurs culturels, éducation parentale, conditions de travail qui défavorisent les femmes, carrières professionnelles qui favorisent les hommes… Les hypothèses tentant d’expliquer les raisons de la disparité homme-femmes dans le secteur des technologies de l’information et de la communication sont nombreuses, mais aucune ne pourrait expliquer à elle seule cette différence, qui ne disparaîtra certainement pas aussi vite que la vitesse à la quelle évoluent ce monde.

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