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La création de "Mathilde" sur scène en 1963 et les adieux à l'Olympia de 1966: deux tranches du mythe Jacques Brel sont proposées avec images et sons restaurés dans un coffret disponible ce jeudi.
Il y a d'abord le tour de chant filmé au Casino de Knokke en Belgique le 23 juillet 1963, avec notamment la toute première version de "Mathilde", sur un tempo plus lent que la mouture finale.
"C'est la chanson qui lui a pris le plus de temps, je l'ai entendu la répéter deux étés de suite avant de la présenter sur scène", raconte à l'AFP une de ses filles, France Brel, à la tête de la Fondation Jacques Brel, institution à l'origine de cette sortie (DVD/Blu-ray/CD/Universal Music).
"Il n'y a pas de moment d'écriture spécifique pour Brel, il est tout le temps en tournée et l'écriture c'est au fil des kilomètres. A un moment, il a eu le courage de la présenter au public du Casino, un public pas facile, qui boit, qui mange pendant le spectacle", poursuit-elle.
- "Universel" -
France Brel ne dira que deux fois "mon père" durant l'échange, parlant la plupart du temps de "Jacques" ou "Brel". "Je me mets à la hauteur de l'interlocuteur, qui parle de Jacques Brel. Et puis, à Anvers, sur son bateau, au moment de se lancer pour son tour du monde, il m'avait dit +ah non, ne m'appelle pas papa, dis Jacques comme tout le monde! +. Je suis d'une grande obéissance", sourit-elle quand on lui fait remarquer.
Pour France Brel, la force de la chanson "Mathilde" est que le narrateur "sait très bien qu'il va à la catastrophe, qu'il va se faire avoir avec cette femme, et il y va quand même, c'est universel". "Brel a un sens du drame extraordinaire, dans cette chanson, on retrouve son oralité proche du cri, qui est chez lui une poésie", développe-t-elle.
"+Mathilde+, c'est un tube, puis un classique, puis une borne incontestable dans son œuvre, commente pour l'AFP Bertrand Dicale, journaliste spécialiste de la chanson française. Il y a une énergie complètement dingue, victorieuse, pour dire une défaite. C'est une idée géniale".
Jacques Brel a une histoire particulière avec le Casino de Knokke. En août 1953, il y avait fini avant-dernier d'un concours de chant. Autre salle, autre époque, le coffret recèle aussi les soirées entrées dans l'histoire à l'Olympia, les fameux adieux - même si ce n'est pas son dernier concert formel - filmés les 28 et 29 octobre 1966.
- "Etat second" -
Le chanteur reviendra à sept reprises - y compris en peignoir à grosses rayures - saluer entre les rideaux le public resté l'ovationner. On voit pendant les chansons des gros plans saisissants de l'artiste, habité, en transe.
"Je me fais avoir à chaque fois à des moments différents, confie France Brel. Il y en a un, quand même, fugace: Jacques termine +Madeleine+, il recule, le rideau arrive, se referme, se rouvre et il n'est pas redescendu sur terre, il est dans un état second. Il lui faut quelques secondes pour se retrouver dans le présent".
"Ces adieux à la chanson ne sont pas tristes, il est très gai, il clôt un chapitre", décrit Bertrand Dicale, voix sur Radio France et signature de News Tank Culture. "Quand il décide d'arrêter la chanson, il veut juste avoir le temps de vivre, il ne sait pas ce qu'il va faire ensuite, c'est pour ça qu'il est si joyeux. Le cinéma, ça ne viendra que parce qu'il fera un premier film par hasard", éclaire France Brel.
Une interview filmée de 1971 complète l'ensemble, servi par un choix de 13 langues sous-titrées. Les deux concerts avaient été projetés en salles de cinéma en 2018, l'année des 40 ans de sa disparition.