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Années de plomb: la justice française examine l'extradition en Italie d'ex-militants d'extrême gauche

La justice française va examiner, à partir de mercredi et jusqu'à la fin du mois d'avril, les demandes d'extrader en Italie dix anciens militants d'extrême gauche, condamnés dans leur pays pour des actes de terrorisme dans les années 1970-1980, et réfugiés en France depuis parfois plus de trente ans.

Au printemps 2021, après des mois de tractations avec Rome, le président français Emmanuel Macron avait décidé de favoriser la mise à exécution des demandes d'extradition renouvelées par l'Italie pour quatre anciens militants d'extrême gauche et six anciens membres des Brigades rouges. Jusqu'alors, Paris n'avait quasiment jamais accédé aux requêtes de Rome.

Mercredi, la première audience au fond de la chambre des extraditions de la cour d'appel de Paris concerne Enzo Calvitti, psychothérapeute à la retraite de 67 ans et ancien des Brigades rouges. Il a été condamné par contumace à 18 ans de réclusion pour "association à finalité terroriste" et "participation à une bande armée".

Son avocat, Me Jean-Louis Chalanset, va rappeler aux magistrats l'engagement pris en 1985 par François Mitterrand de ne pas extrader les anciens activistes ayant rompu avec leur passé, a-t-il indiqué à l'AFP.

Sept d'entre eux avaient été interpellés le 28 avril 2021, deux s'étaient présentés à la justice le lendemain et un dernier avait été arrêté en juillet.

Les autorités italiennes les réclament en vertu de condamnations, que plusieurs contestent, pour des actes de terrorisme commis en Italie dans les années 1970-1980, "les années de plomb". Tous ont refusé leur remise à l'Italie et ont été placés sous contrôle judiciaire dans l'attente des audiences au fond qui vont se succéder jusqu'au 20 avril.

Restaurateur, assistante sociale, éducatrice spécialisée, psychothérapeute: ces militants, huit hommes et trois femmes, âgés de 61 ans à 78 ans, ont refait leur vie depuis les années 1980 en France.

Réclamer plus de "trente ans après l'asile, quarante ans après les faits" leur extradition pose "des problèmes de droit infranchissables sur la chose jugée, la sécurité juridique, des prescriptions trafiquées, la vie privée et familiale", a estimé auprès de l'AFP Me Irène Terrel, avocate de sept d'entre eux, dont Marina Petrella, ex-dirigeante de la "colonne romaine" des Brigades rouges.

- "Réussite de la réinsertion" -

"D'un point de vue du droit je suis confiante" quant au refus des juges de les remettre à l'Italie, "mais je suis méfiante sur la raison d'Etat", a-t-elle ajouté, dénonçant "une pure instrumentalisation" de la justice par le pouvoir politique "qui fait des dégâts intolérables sur les aspects humains".

Cette menace d'extradition, à rebours des promesses de la France, constitue "un non sens, un châtiment vain et cruel" qui risque "d'envoyer mourir en prison ces dix personnes", ont dénoncé leurs familles début mars lors d'une conférence de presse organisée par la Ligue des droits de l'homme (LDH).

"Cela fait presque un an que nous vivons dans l'angoisse de perdre nos êtres chers, que nous sommes déphasés, perdus du fait de cet anachronisme qui nous tombe dessus", a témoigné sous couvert d'anonymat la femme d'un des mis en cause. "Pourquoi un tel revirement, alors que la pleine et entière réussite du pari de la réinsertion ne peut être contestée par personne ?"

Leur éventuelle extradition ignorerait "leur parcours, de la lutte armée à la paix civile", a considéré lors de cette conférence de presse le psychiatre Paul Brétécher. "Comme si le temps s'était arrêté en 1980" et que "le qualificatif de terroriste formulé dans une lointaine époque devait ad vitam aeternam rester accolé à ceux qui justement ont su se déprendre des logiques du terrorisme".

Lors des premiers débats à l'été 2021 portant sur la validité des demandes d'extraditions, les magistrats avaient enjoint aux autorités italiennes de fournir diverses pièces, estimant que les dossiers étaient incomplets.

Mercredi, la chambre des extraditions doit aussi examiner la situation de Giorgio Pietrostefani, le doyen de 78 ans, gravement malade. Son avocate, Me Terrel, va demander aux magistrats d'ordonner un complément d'information, la procédure de son client étant "carencée" selon elle.

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