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Après 5.000 km de route un fossé, ultime barrière des migrants vénézuéliens avant d'entrer au Chili

Epuisée et effrayée à la fois, Soreimi Moran inspire profondément et retient ses larmes. Elle touche presque au but de son épopée de 5.000 kilomètres qui dure depuis une semaine. Demain, un passeur aidera la Vénézuélienne et les six membres de sa famille à traverser le fossé qui sépare la Bolivie du Chili.

"Il fait trop froid", grelotte la jeune femme de 24 ans, le souffle rendu court par les 3.700 mètres d'altitude. "On veut arriver au Chili pour offrir un meilleur avenir aux enfants", ses deux filles (1 an et 10 ans) son frère (7 ans) et sa soeur (14 ans), tous chaudement emmitouflés.

Sa grand-mère et son oncle de 25 ans ont également fait le long voyage à travers la Colombie, l'Equateur et le Pérou pour retrouver de la famille au Chili. Sa mère s'est, elle, arrêtée en chemin, en Colombie.

Au moins 20 personnes sont mortes en 2021 en tentant ce que Soreimi Moran et sa famille s'apprêtent à faire : traverser la frontière entre Pisiga et Colchane, et poursuivre le chemin sur l'Altiplano bordé des hauts sommets de la Cordillère des Andes, à 2.000 km de Santiago.

Depuis le début de l'année, le triste décompte est de cinq morts, selon les autorités locales, dont un enfant et une femme âgée dont les corps ont été retrouvés le week-end dernier côté chilien, pris par le froid de la nuit en haute altitude.

Plus de six millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays, selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, et plus d'un demi-million se trouvent au Chili. Ils fuient l'insécurité et les pénuries d'un pays embourbé dans une crise économique sans fin.

Selon R4V, une plateforme d'étude du phénomène migratoire, jusqu'à 600 Vénézuéliens entrent clandestinement au Chili chaque jour. L'une des principales porte d'entrée est le point de passage Pisiga-Colchane et ce malgré l'Etat d'urgence décrété par le gouvernement chilien mi-février et les 600 militaires déployés dans le nord du pays pour contenir l'immigration clandestine.

La famille de Soreimi s'est rapprochée des gardes-frontières, désireuse de traverser légalement, mais sans succès. Le poste-frontière est fermé depuis deux ans en raison de la pandémie de Covid-19.

Le lendemain elle franchira clandestinement avec un passeur le fossé creusé pour formaliser la limite entre les deux pays. Profond d'un mètre à peine, il a été creusé sur 600 mètres par la Bolivie il y a cinq ans avec une extension récente de 300 mètres faite par le Chili.

- "Prêts à prendre le risque" -

Avant de mettre leur destinée entre les mains du passeur, Soreimi et sa famille se reposent dans un refuge gratuit. Né à l'initiative de religieuses désireuses d'apaiser "la souffrance des migrants", ses lits hébergent quelque 150 personnes chaque mois.

"Ils ne sont plus qu'à un pas" de leur objectif final, justifie la soeur Elizabeth Ortega. Elle a entendu de terribles récits de migrants et dit les inciter "à raconter la réalité de ce qu'ils ont vécu" à ceux qui seraient aussi tentés de faire le grand voyage. Mais soeur Eli, comme elle se fait appeler, sait que "malgré cela, ils seront prêts à prendre le risque".

Au petit matin, Soreimi et sa famille éviteront les températures glaciales de la nuit et les passeurs sauront déjouer la surveillance des garde-frontière en échange de 100 dollars par personne.

D'autres plus téméraires ou désargentés traversent de nuit. Ils s'enfoncent dans le désert et leurs silhouettes se perdent à l'horizon.

Près du restaurant du village un groupe attend. Un de ses membres parle à un certain "Don Ramiro" et ils conviennent de se retrouver plus tard près du fossé.

"On va traverser illégalement (...) on va au Chili car beaucoup de nos proches s'y trouvent", dit à l'AFP Manuel Henriquez, un Vénézuélien de 26 ans avant de s'éloigner du village.

La police bolivienne regarde placidement, sans intervenir. Mais la situation lui pèse. "Le Chili commet de nombreuses violations des droits de l'homme à l'encontre des étrangers", prévient un agent bolivien. Voir "ces enfants, ces personnes âgées, c'est triste", souffle-t-il.

Au Chili, les migrants vénézuéliens sont victimes de discrimination et parfois d'attaques xénophobes. Dans le Nord du pays un campement a été incendié.

En février, les ministères des Affaires étrangères chilien et bolivien, dont les liens diplomatiques sont rompus depuis 1978, ont convenu la mise en place d'un groupe de travail sur le phénomène migratoire. Sur le terrain, aucune action concrète encore visible.

Le nouveau président de gauche du Chili, Gabriel Boric, défend des solutions régionales face à la crise migratoire en Amérique du sud, et dit regarder l'exemple européen du "système de quotas" d'accueil par pays.

"Nous devons exprimer la solidarité latino-américaine" dans l'accueil de réfugiés vénézuéliens, a-t-il récemment insisté.

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