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L'ambiance est devenue électrique jeudi au procès du meurtre du policier Eric Masson à Avignon, avec les dépositions gênantes de plusieurs témoins pour un suspect qui nie toujours mais se recroqueville progressivement dans son box.
Julie se présente à la barre. Elle habite rue du Râteau, là où a été abattu le brigadier le 5 mai 2021 en fin d'après-midi, sur un point de deal.
Elle entend deux-trois détonations, qu'elle prend pour des pétards. Quand elle sort, elle aperçoit "quelqu'un courir" devant chez elle, puis un homme au sol. Celui qui court: la vingtaine, de type maghrébin, corpulence mince, cheveux aux racines brunes, décolorés sur le dessus.
Sa voisine Nadia descend en chausson, elle aussi voit passer un jeune, capuche noire. Elle commence un massage cardiaque, alors que Julie maintient les curieux à distance, cherche un métronome sur son téléphone pour accompagner les soins, puis va chercher un petit coussin en mousse.
Pour les deux femmes, les pompiers mettent beaucoup de temps à arriver. "J'aurais aimé qu'il se relève, qu'il puisse retrouver sa famille, ses enfants", lance Nadia, ses phrases entrecoupées par l'émotion et des larmes.
Mais le brigadier, élevé au rang de commandant après sa mort, à 36 ans, ne se relèvera pas. Son collègue sur cette opération qui se voulait banale se prend sa tête dans les mains. Selon une étudiante qui passe par là, il crie: "Putain je suis policier et lui c'est mon collègue".
Romain, toujours policier, mais loin du Vaucluse, viendra témoigner lundi. Mais dès jeudi, l'une des questions centrales, celle de savoir si la qualité de policier d'Eric Masson était visible, a fait monter la pression.
Ce point est déterminant pour Ilias Akoudad, à peine 22 ans. Pour le meurtre d'une personne dépositaire de l'autorité publique, une circonstance aggravante, il encourt la perpétuité. Mais, s'il n'est pas possible d'établir qu'il savait qu'Eric Masson était policier, la peine maximale encourue repasse à 30 ans.
- "Rien à déclarer" -
Le président demande donc aux témoins si elles ont vu des éléments en ce sens, sur ou autour du corps.
"Vraiment focalisée sur la personne au sol", Julie n'a "pas de souvenir de ça". Nadia elle a "vite compris que c'était un policier": "Il portait une arme sur le côté droit, son brassard à côté au sol".
"Elle n'a jamais dit qu'elle avait vu un brassard au sol", bondit alors Me Frank Berton, le ténor lillois qui défend Ilias Akoudad. "Vous ne m'interrompez pas ! Suspension d'audience", répond le président Roger Arata. Depuis les rangs du public, remplis de policiers, fuse un "blaireau" à l'attention de l'avocat.
Julien, alors coéquipier d'Eric Masson, arrive au moment où Nadia procède au massage cardiaque. Egalement pompier, il prend le relais. "Il y a la sacoche, la matraque télescopique, son brassard", dit-il, qui le gênent: "J'éloigne tout et je poursuis le massage".
Selon eux, le brigadier Masson avait donc bien son brassard "Police" sorti. Mais l'avait-il présenté au tireur lorsque celui-ci s'est approché de lui ?
Dans son box, Ilias Akoudad, alerte et détendu au début de son procès, baisse désormais constamment la tête. Après les dépositions des enquêteurs mercredi, les éléments accablants s'accumulent.
"Si vous voulez en parler de ce brassard, c'est peut-être le moment de vous lever Monsieur Akoudad, et de vous expliquer", lui lance Me Philippe Expert, un des avocats de la famille Masson.
Mais, l'accusé, qui a toujours nié être rue du Râteau lors des faits, restant flou sur son emploi du temps ce jour là, n'a "rien à déclarer".
Et un de ses ex-clients vient enfoncer le clou, affirmant qu'il lui avait bien acheté une dose le 5 mai 2021, dans cette rue: "Je me fournissais auprès de lui depuis une paire de mois via Snap" (NDLR: Snapchat), explique le jeune homme, qui le décrit, en survêtement, avec une grosse sacoche et des mèches blondes. Un détail capillaire relevé par Julie comme d'autres témoins dans le dossier.
Sur les bancs des parties civiles, le père d'Eric Masson prend des notes avec application. Et la famille espère toujours des aveux.