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Cartes plastifiées à la vitre des voitures: malgré l'interdiction en Wallonie, elles ne sont pas près de disparaître

Interdites sur tout le territoire wallon, et peut-être aussi bientôt bruxellois, les petites cartes plastifiées des acheteurs de voitures d'occasion sont toujours aussi présentes sur les voitures et la voie publique. Derrière elles s'activent des réseaux aux activités non déclarées.

"J'ai retrouvé il y a quelques jours une petite carte de proposition d'achat sur ma voiture parquée à Soignies. Et j'en retrouve très, très souvent", nous a prévenu récemment Florent, un automobiliste sensible à l'écologie. Il déplorait cette pratique d'autant plus qu'il la croyait proscrite. Et il ne se trompe pas. En Wallonie, à l'initiative du précédent ministre de l'Environnement Carlo Di Antonio, le placement de petites cartes plastifiées sur les vitres des voitures est devenu une infraction en février 2019. Au motif que, souvent, elles finissent à terre car beaucoup de propriétaires de voitures, au comportement répréhensible lui aussi, ne prennent pas la peine de la garder pour la jeter plus tard à la poubelle.

Mais jusqu'à présent, il semble que cette mesure en vigueur depuis un an et demi n'ait pas changé grand-chose sur le terrain. À notre rédaction elle-même, réagissant au témoignage de Florent, nous étions plusieurs à constater que nous continuions à régulièrement trouver ces petites cartes d'acheteurs de voitures d'occasion (qui les revendent généralement à l'étranger) en arrivant à notre véhicule. Et cela ne devrait pas changer de sitôt.

Pas une priorité

Nous avons joint quatre communes et leurs zones de police (Soignies, Waterloo, Ottignies-LLN, Nivelles) afin de savoir si des actions avaient été menées pour faire respecter cette loi. N'ayant reçu aucune plainte, la plupart nous a déclaré n'avoir, en toute logique, rien entrepris. On nous a aussi fait savoir qu'il ne s'agissait pas d'une priorité, plus encore en cette période d'épidémie de coronavirus. Quant au cabinet de la nouvelle ministre wallonne de l'Environnement, il n'a jamais répondu à nos demandes.

L'exception nivelloise

Parmi les communes contactées en Wallonie, seule celle de Nivelles a agi de manière appuyée. "Depuis 2016, une vingtaine de dossiers ont été ouverts et des amendes infligées", nous renseigne Emilie Baesens de la cellule de prévention. Les individus qui placent ces cartes ne sont jamais les responsables de l'activité d'achat/vente de voitures. Majoritairement en séjour provisoire, parfois mineures, ces petites mains vont à la gare du Midi à Bruxelles où on leur donne un sac avec des milliers de cartes à distribuer. Elles reçoivent 20 ou 30 euros pour la journée et prennent le train pour différentes localités. Bien entendu, tout se fait au noir. À l'Auditorat du Travail de Bruxelles, deux dossiers sont actuellement ouverts concernant de tels gens non enregistrés.

Avant de devenir une infraction à l'échelle de toute la région wallonne, le placement de ces cartes n'était déjà plus toléré dans certaines communes comme Nivelles où des gardiens de la paix, qui font office d'agent constatateur, ont, à plusieurs reprises, infligé des sanctions administratives, à des distributeurs pris en flagrant délit. Ce n'est momentanément plus le cas en raison du changement de statut de cette infraction. Devenue infraction environnementale wallonne, elle doit être intégrée comme telle dans les règlements communaux et cela nécessite du temps. "Un nouveau code de l'environnement doit entrer en vigueur en 2021. On va sans doute en profiter pour intégrer des choses comme les cartes plastifiées ou encore le moteur qui tourne à l'arrêt", précise Emilie Baesens.

En attendant cette opération administrative, seule la police locale peut encore opérer. Ce qu'elle a fait récemment.

Des plaintes étaient parvenues aux autorités pour des dommages causés à des véhicules. Dans le vaste parking du "Shopping center", des individus avaient utilisé des lames de rasoir pour écarter le caoutchouc et créer un espace suffisant afin de glisser leurs cartes plastifiées. Cette manoeuvre avait entraîné des dégradations de la carrosserie. En partenariat avec le centre commercial, la police a mené des observations qui ont montré que le placement de ces cartes obéissait à un fonctionnement bien huilé. Des hommes en voiture déposaient les distributeurs sur le parking avant de s'en aller et de rester en contact avec leurs exécutants qui suivaient un parcours souvent le même, décrit Alex Baudoin du service Proximité de la police de Nivelles.

Toujours à Nivelles, la police a appris récemment que dans le nouveau quartier résidentiel du "Petit Baulers", les petites cartes avaient été carrément déposées dans les allées de garage, ce qui est illégal vu le caractère privatif de ces allées.

Nous avons appelé à plusieurs numéros

On a bien compris que les placeurs de ces cartes sont de simples exécutants, employés ponctuellement au noir pour quelques billets. Outre leur placement, les cartes en elles-même sont illégales car elles n'affichent pas certaines mentions légales comme le numéro de TVA ou le numéro d'entreprise. Il n'est pas étonnant que ces données soient absentes car derrière ces cartes, il n'y a bien souvent aucune entreprise mais bien une activité qui s'exerce de manière non déclarée. Nous faisant passer pour un propriétaire de voiture prêt à la vendre, nous avons appelé aux numéros figurant sur deux cartes. Nos deux interlocuteurs ont chacun déclaré qu'ils se déplaçaient à domicile pour la transaction. Auprès du premier vendeur, nous avons insisté pour venir à son supposé garage. Refusant à plusieurs reprises, il a fini par avancer vaguement que son garage était très loin, à Hasselt en Flandre et que ce n'était pas possible... Nous avons encore appelé deux autres vendeurs, cette fois pour leur communiquer que le dépôt de leurs petites cartes étaient interdites en Wallonie. Ceux-ci ont répondu qu'ils ne le savaient pas...

On le répète: pas une priorité

Pourquoi la police ne se fait-elle pas passer pour un vendeur potentiel et ne téléphone-t-elle pas à ces numéros pour rencontrer ces acheteurs et les sanctionner ? "Cela demande des autorisations de la justice, des ressources et des moyens", nous explique-t-on à la police. Et "ce n'est pas une priorité", confirme-t-on à l'Auditorat du Travail.

Alex Baudoin de la police de Nivelles compare la logique du placement de ces milliers de cartes aux innombrables tentatives d'arnaques sur internet. "Sur 100 personnes qui les reçoivent, il y en a toujours bien un qui est accroché", dit-il.

Devenue infraction en Wallonie, la pose des cartes plastifiées devrait l'être aussi en région bruxelloise "à brève échéance", nous a-t-on dit au cabinet du ministre bruxellois de l'Environnement. Mais si elles ne sont pas accompagnées d'opérations pour les faire respecter, ces lois n'auront sans doute guère d'effet et Florent n'a sans doute pas fini d'en voir sur la vitre de sa voiture ou sur la voie publique.

Reste qu'il y aurait une manière très efficace de lutter contre ces plastiques, c'est de ne plus les jeter à terre. Et ça, c'est notre affaire à toutes et tous.

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