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Dans un Liban confiné et en crise, survivre est devenu une mission quotidienne

Malgré un confinement strict et un bond sans précédent des contaminations au Covid-19, Omar Karhani ouvre chaque jour son magasin de primeurs à Tripoli. Car dans le Liban en crise, la pauvreté et la faim sont plus à craindre que le virus.

Les autorités ont imposé jusqu'au 8 février un couvre-feu total et une fermeture des commerces, uniquement autorisés à livrer à domicile. Mais avec un niveau de pauvreté exacerbé depuis plus d'un an par l'effondrement économique, rester à la maison est synonyme pour beaucoup de danger de famine.

"Je n'ai pas peur du coronavirus, mais plutôt de me retrouver dans le besoin", s'emporte M. Karhani, 38 ans, père de six enfants.

Pour lui, le confinement représente le coup de grâce.

Habitant de Tripoli, métropole du nord qui figure parmi les villes les plus pauvres du pays, il s'est lancé à son compte après avoir longtemps été aide-fleuriste.

"Pour manger quotidiennement, il nous faut 70.000 livres libanaises (6,7 euros au marché noir). Mais avec mon travail actuel, je peux à peine en couvrir la moitié."

Comme lui, de nombreux Libanais bravent quotidiennement les interdits, en dépit des lourdes amendes infligées par les forces de l'ordre.

Pour le deuxième soir consécutif, des dizaines de personnes ont manifesté à Tripoli contre le confinement et des heurts ont éclaté entre manifestants et forces de l'ordre. Il y a eu 30 blessés des deux camps, selon l'agence nationale d'information ANI.

Des jeunes ont lancé des cocktails Molotov, d'autres ont tenté de prendre d'assaut le principal bâtiment administratif de la ville. Ailleurs dans le pays, des routes ont été bloquées par des protestataires.

- "Un prélude" -

Engagé dans un comité qui vient en aide aux ménages défavorisés de Tripoli, Mohamad Bayrouti dit craindre une "explosion" sociale.

"Ce qui s'est passé la nuit dernière n'est que le prélude à de plus grands mouvements", affirme ce sexagénaire. "La plupart de ceux qui ne respectent pas les fermetures sont des journaliers. Le jour où ils ne travaillent pas, ils ne mangent pas."

Cette catégorie de travailleurs représente environ la moitié de la population active, selon le ministère du Travail.

Dans un Liban frappé depuis plus d'un an par des restrictions inédites sur les retraits bancaires, une dépréciation de la monnaie nationale, des licenciements massifs et des baisses salariales, les retombées sociales du confinement sont désastreuses.

Sans oublier les manquements de la classe politique, inchangée depuis des décennies et accusée de corruption et d'incompétence, qui sont dénoncés par une grande partie de la population.

D'après l'ONU, plus de la moitié de la population vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et près du quart dans l'extrême pauvreté.

"Derrière les portes fermées des supermarchés et les longues files d'attente des boulangeries se cache une triste réalité: survivre est devenu une mission quotidienne", déplore Jennifer Moorehead, directrice de l'ONG Save the Children au Liban.

- "Mourir de faim" -

Depuis deux semaines, Ismaïl Assaad ne quitte plus son domicile à Akkar (nord).

Ce charpentier de 43 ans, père de sept enfants, ne peut se rendre sur aucun chantier. "Avant le confinement, nous travaillions au moins un peu, mais là plus du tout. Comment font ceux qui n'ont pas de salaire fixe?"

A des centaines de km de là, dans le village de Broumana, Georges, 47 ans, et père de deux enfants, travaille à son compte. Mais depuis des semaines cet électricien n'est plus sollicité.

"Je ne suis pas contre une fermeture totale, mais comment un Etat peut-il prendre une telle décision sans fournir d'aide financière", s'interroge-t-il.

Les autorités assurent distribuer 400.000 livres par mois (43 euros) à 230.000 ménages défavorisés. Un montant jugé insuffisant dans un pays en proie à une inflation à trois chiffres. Et loin de couvrir tous les besoins.

Les restrictions n'épargnent pas non plus les centaines de milliers de réfugiés syriens et palestiniens qui vivaient déjà dans le plus grand dénuement.

Abdel Aziz est peintre en bâtiment. Il vit à Beyrouth avec sa femme et ses trois enfants. "Je n'ai pas touché un centime depuis le début du confinement."

En 2014, ce trentenaire avait fui la Syrie en guerre. "Là-bas nous avions échappé à la mort. Mais visiblement nous allons mourir de faim ici."

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