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En Seine-Saint-Denis, "la vie entre parenthèses" des gardiens de prison venus du Nord

Ils s'entassent à quatre dans des studios et leur existence tient dans un sac de sport. En Seine-Saint-Denis, des dizaines de surveillants originaires du Nord "sacrifient" un morceau de leur vie dans l'"une des pires prisons de France", en attendant d'être mutés chez eux.

Dans le no man's land qui entoure la maison d'arrêt de Villepinte, seules quelques silhouettes bleues déambulent entre les miradors et une petite résidence.

"A la sortie d'école, les Nordistes choisissent Villepinte pour la proximité de l'autoroute, les appartements en colocation à côté, le covoiturage. On met notre vie entre parenthèses pendant six ou sept ans, en attendant d'obtenir une mutation dans une prison près de chez nous", résume Thomas, 36 ans, ancien de la métallurgie reconverti dans la pénitentiaire voilà trois ans.

Avec près de 1.100 détenus, soit 195% de taux d'occupation, et son manque chronique de personnel, l'établissement de banlieue parisienne est réputé être un des plus difficiles du territoire. Selon Force ouvrière, 70 surveillants sont des Nordistes qui vivent en colocation, soit près de la moitié des effectifs.

Quand il n'est pas dans sa maison achetée à crédit à Saint-Omer, où vivent sa compagne et sa fille, qu'il élève en garde alternée, Thomas partage un studio de 30 m2 avec trois collègues. Chacun débourse 115 euros de son salaire mensuel, qui s'élève en moyenne à 1.600 euros avec les nombreuses heures supplémentaires, souvent subies - jusqu'à 50 chaque mois.

Sur le balcon, une friteuse trahit les origines des pensionnaires. A l'intérieur, boîtes de conserves et paquets de gâteaux, bouteille de pastis et calendrier de l'ex-star du X Clara Morgane. L'endroit pourrait ressembler à une colocation étudiante. Mais les lits simples à touche-touche, la propreté irréprochable et le dressing rempli d'uniformes soigneusement pliés démentent la première impression.

"Seul le soir, on ne tiendrait pas. Les gens n'imaginent pas ce qui se passe derrière les murs", souffle Fabien, son colocataire, un ex-militaire 33 ans au regard fatigué.

"Un soir, un collègue qui vivait seul est venu frapper à la porte, en larmes. On lui a offert un verre. Maintenant il vit lui aussi en coloc'", raconte Thomas, barbe de hipster, qui évoque aussi les "virées à Bastille" pour décompresser.

- "Décrocher un pendu" -

"Derrière les murs", il y a "les insultes", "les agressions", "le stress" généré par le sous-effectif --23 surveillants manquent sur les 170, selon l'administration --, les heures supplémentaires, les 15 kilomètres avalés quotidiennement dans les coursives.

La confrontation avec la mort, aussi. "J'ai dû décrocher un pendu. Je n'avais jamais vu de mort. On n'est pas armés pour ça", souffle Thomas. Au rang de ses pires souvenirs figure aussi le jour où il a dû éteindre l'incendie qui ravageait une cellule.

Pourquoi cet exil volontaire dans cet "autre monde qui ressemble à Chicago"? "Pour la sécurité de l'emploi, le statut de fonctionnaire et la possibilité d'avoir un travail près de chez soi, ce qui est devenu un luxe", énumère Fabien.

"Dans le Nord, avant il y avait la dentelle, la métallurgie... C'est fini", complète Thomas.

En moyenne, les Nordistes restent six à sept ans à Villepinte avant d'être mutés dans leur région. Il s'estiment "chanceux" par rapport à leurs collègues d'Outre-mer, "qui en prennent pour vingt ans et finissent souvent par faire leur vie ici".

Un "sacrifice", dit Fabien, qui n'a que deux jours de repos d'affilée toutes les six semaines. "Ma femme est enfin enceinte, sourit-il. On a eu beaucoup de mal à faire un bébé, je n'étais jamais là au bon moment".

Tous deux disent souffrir d' un "gros manque de reconnaissance", et voudraient obtenir leur passage à la catégorie B de la fonction publique. Une revendication au cœur du mouvement social annoncé pour cette fin de semaine par une "entente" syndicale autour de FO.

Malgré tout, ces hommes disent aimer leur métier.

"On n'est pas seulement surveillants, on est un peu éducateurs, un peu psys, un peu médecins", décrit Thomas. Récemment, il a reçu une carte postale d'un ancien détenu, arrivé à Villepinte à l'âge de 14 ans. "Il bosse dans un resto. Il y a parfois des lueurs d'espoirs dans ce monde pourri".

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