Accueil Actu

En Thaïlande, à l'école des rappeurs anti-junte

"Un pays qui tue ses citoyens n'en a rien à foutre de ses enfants", chante Elevenfinger, qui fait partie de ces jeunes rappeurs, de plus en plus populaires et politisés en Thaïlande, qui dénoncent la junte militaire au pouvoir.

La scène rap du "Pays du Sourire" s'est longtemps cantonnée à imiter de façon édulcorée le rap américain, en reprenant le langage grossier mais sans discours social critique.

Mais la scène se radicalise dans ce pays où les rassemblements politiques restent interdits depuis le coup d’État militaire de 2014.

Des clips amateurs de rap par des adolescents suscitent l'engouement sur les réseaux sociaux, notamment Youtube.

Le collectif professionnel RAP ("Rap against dictatorship", "Rap contre la dictature") a fait les gros titres récemment, y compris à l'étranger, avec sa dernière chanson, "Prognathe U Mes" ("Ce qu'est mon pays"), très anti-junte.

Elle a fait plus de 30 millions de vues sur YouTube récemment et le groupe s'est vu attirer les foudres de la junte, les menaçant de poursuites.

"Nous voulons que ceux qui écoutent la chanson se manifestent et disent tout haut ce qu'ils pensent", ajoute Jacoboi, co-fondateur du groupe "Rap against Dictatorship", qui réclame le départ des militaires au pouvoir et l'organisation rapide d'élections.

"Vous avez construit des métros aériens, mais l'éducation est au point mort", dit une des chansons de Elevenfinger, qui doit son surnom à une malformation congénitale le dotant d'un 11ème doigt.

"On dirait que les gouvernements ne veulent pas que les gens réfléchissent", se désespère le rappeur de 17 ans, dont le vrai nom est Thanayut Na Ayutthaya, dans un entretien avec l'AFP.

- Penser par soi-même -

Dans les écoles de Thaïlande, l'enseignement est basé sur l'apprentissage par coeur, sans jeu des questions-réponses avec les enseignants.

"On ne leur apprend pas à développer leur sens critique", critique le rappeur Jacoboi.

A 17 ans, Elevenfinger, élève de Première, tente de faire changer les mentalités en organisant des sessions d'initiation au rap dans son établissement scolaire.

Les élèves s'y lancent dans des "battles", improvisant sur des sujets de société, de leur enfance dans un quartier défavorisé au harcèlement à l'école ou encore l'amour.

"Sans le rap, je n'aurais pas très envie de parler de ces sujets", explique un élève de 13 ans, qui s'est choisi le nom de rapper Peachfullz.

Ce jour-là, lors de la session de rap à l'école avec Elevenfinger, les apprentis rappeurs sont vêtus d'un costume de scout, obligatoire dans les écoles du royaume tous les jeudis, loin de la garde-robe habituelle des "bad boys" de la musique.

"Je sais que ces élèves ont quelque chose à dire. Et je veux que cette salle soit une zone libre où ils puissent dire ce qu'ils veulent", explique Elevenfinger à la fin de la session.

Alors que la junte promet des élections, sans cesse repoussées, pour début 2019, les artistes thaïlandais, habituellement peu investis en politique, expriment de plus en plus leur colère, que ce soit dans le street-art, le cinéma ou le rap.

"La jeune génération se sent frustrée et veut s'exprimer contre la notion de hiérarchie, l'injonction d'être gentil. Et le rap leur donne un espace pour se rebeller", explique Anusorn Unno, sociologue à la prestigieuse université Thammasat de Bangkok, réputée pour son esprit contestataire.

Dans son clip anti-junte, le collectif "Rap contre la dictature" conspue l'armée, la corruption, la censure et l'absence d'élections.

"Le pays où tu dois choisir entre ravaler la vérité ou avaler une balle", scande un rappeur, le bas du visage dissimulé par un bandana, entouré d'une foule de jeunes gens en colère, brandissant le poing.

"C'est ainsi que je vois mon pays. C'est ma vérité. Et je vais continuer de faire du rap", explique K.Iglet, le plus jeune membre de "Rap against dictatorship".

Face au sujet du groupe sur les réseaux sociaux, La junte a répliqué, en musique, en engageant un groupe de rap pour écrire une chanson plus consensuelle, "Thailand 4.0 Rap".

"Si tu fais pousser du riz, plantes des légumes et t'occupes de ta ferme, alors injecte-y tes idées et les prix monteront", dit le rap pro-militaire.

À lire aussi

Sélectionné pour vous