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La province de Bolzano s'enorgueillit de marier identités italienne et autrichienne, fruits d'une histoire aujourd'hui apaisée. Mais la volonté de Vienne d'offrir un passeport aux germanophones de cette région d'Italie y réveille de vieilles querelles.
Entre Rome et Vienne, la bataille diplomatique a déjà commencé: le gouvernement italien voit d'un très mauvais oeil la promesse électorale de la coalition du conservateur autrichien Sebastian Kurz.
Endossant une revendication de son allié d'extrême droite FPÖ, le chancelier veut proposer la double nationalité aux germanophones et ladinophones -langue locale d'origine romane- de la province alpine située dans le nord-est de l'Italie. Rome dénonce un projet "susceptible de fomenter la discorde" au sein de la population.
C'est donc en quasi-rivaux que les chefs des droites nationalistes autrichienne et italienne, Heinz-Christian Strache et Matteo Salvini, ont fait campagne pour les élections au parlement régional qui se déroulent dimanche dans la province de Bolzano, appelée Alto Adige (Haut-Adige) en italien et Südtirol (Tyrol du sud) en allemand.
Numéro deux du gouvernement dans leur pays respectif, MM. Strache et Salvini aiment afficher leur entente contre l'immigration ou le fédéralisme européen. Mais sur la question du Tyrol, une montagne les sépare.
"Vous ne pouvez pas distribuer des passeports sans notre consentement", a asséné le ministre italien de l'Intérieur lors d'un récent déplacement à Bolzano, capitale de la province.
"Ce que les Italiens ont fait de façon très compréhensible pour leur minorité en Croatie, ils comprendront certainement qu'on le fasse ici", a plaidé vingt-quatre heures plus tard le vice-chancelier autrichien, en campagne à Bozen (nom allemand de Bolzano).
- Unir plutôt que séparer -
La cité de quelque 100.000 habitants, qui se présente en modèle de coexistence culturelle, reçoit ces tirades avec circonspection.
Dans les sondages pour le scrutin de dimanche, "la question du double passeport arrive tout en bas des préoccupations des électeurs", affirme Arno Kompatscher, dirigeant du Parti populaire sud-tyrolien (Südtiroler Volkspartei, SVP) aux affaires depuis l'après-guerre.
Sa formation, alliée des conservateurs de Sebastian Kurz, joue une partition délicate vis à vis de l'initiative viennoise: "pour le SVP, il doit s'agir d'un projet qui unit, pas d'une position nationaliste qui sépare", explique-t-il à l'AFP.
Bolzano, "porte des Dolomites" où "deux âmes (...) coexistent à la perfection", vante l'office du tourisme.
Cette image d'Epinal ne semble pourtant pas contenter René, un habitant germanophone: "nous ne nous sommes jamais sentis italiens. Un deuxième passeport nous rendrait l'identité culturelle dont nous avons violemment été privés il y a cent ans", confie ce retraité qui ne souhaite pas donner son nom.
Si la province de Bolzano jouit aujourd'hui d'un degré poussé d'autonomie administrative, législative, fiscale vis à vis de Rome, son rattachement à l'Italie ne s'est pas fait sans douleur.
- Histoire tourmentée -
Territoire de l'empire autrichien jusqu'en 1919, la région, majoritairement germanophone, a été cédée aux autorités italiennes dans le cadre du règlement de la Première guerre mondiale.
Une politique d'assimilation brutale a suivi, conduite à partir des années 1920 par le régime fasciste qui a encouragé l'immigration d'autres régions italiennes vers le Tyrol du sud et tenté d'imposer l'usage de l'italien.
La lutte des militants germanophones pour la réunification avec l'Autriche donna lieu à une série d'attentats à la bombe qui culminèrent dans les années 1950 et 1960.
Le Haut-Adige, province la plus riche d'Italie, est aujourd'hui peuplé de 500.000 habitants, dont plus de 65% se disent germanophones, selon les derniers recensements linguistiques qui servent de base à la répartition des postes publics.
Tous les noms géographiques doivent être bilingues -voire trilingues dans les vallées ladines. Beaucoup d'habitants passent aisément d'une langue à l'autre.
"Il n'y a pas de sondage mais je suis sûr qu'il n'y a pas, au Tyrol du Sud, de majorité pour la double nationalité des germanophones", tranche Günther Pallaver, professeur de sciences politiques.
Cet enseignant à l'université d'Innsbruck, la capitale du Tyrol autrichien, estime que Sebastian Kurz finira, malgré la pression du FPÖ, par abandonner ce projet sensible.
Le chancelier, qui attend les propositions d'une commission ad hoc, ne cesse de répéter que rien ne se fera sans accord de l'Italie.
Marc Roeggla, chercheur en droit des minorités à l'institut Eurac, y voit au contraire l'occasion d'en finir avec un vieux débat: "si tout le monde, Rome compris, peut participer à la discussion, je crois vraiment que c'est réalisable".