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Repliée sur elle-même au printemps, une maternité parisienne traverse la deuxième vague de Covid-19 en tentant de maintenir un minimum de visites et de faire respecter autant que possible le port du masque, dont les parents s'accommodent tant bien que mal.
Les yeux embués de bonheur et de fatigue, Grégoire, 34 ans, savoure torse nu son premier "peau à peau" avec son fils, né il y a quelques minutes à peine à la maternité des Diaconesses, dans le 12e arrondissement de Paris. Un instant suspendu, après une longue attente conclue par une césarienne. Captivé par les cris du nourrisson blotti dans ses bras, le jeune père ne semble pas se soucier du masque qui recouvre sa moustache et son sourire.
"Je n'ai pas l'impression d'avoir raté quelque chose. C'est tellement intense émotionnellement qu'on oublie complètement qu'on a le masque", confie-t-il quelques heures plus tard, allongé dans une petite chambre de repos, tandis que sa compagne récupère en salle de réveil.
Une scène inimaginable il y a encore quelques mois: lors de la première vague épidémique, le "coparent" pouvait certes assister à la naissance, mais "on le gardait seulement deux heures après l'accouchement, puis il ne revenait qu'à la sortie", les sages-femmes se chargeant parfois d'amener femme, enfant et valises sur le parvis, se souvient le Dr Thierry Harvey, chef de la maternité.
Au début, "on était dans l'inconnu total, tout le monde avait la trouille de choper le virus", reconnaît-il, y compris certains soignants qui "ne voulaient pas rentrer dans les chambres" des patientes infectées. Dans le doute et l'urgence, "on a demandé aux femmes de porter des masques parce qu'on ne savait pas".
Une contrainte nouvelle qui s'est pérennisée, devenue objet de polémique à l'extérieur, mais surtout source d'appréhension pour les parturientes. "J'avais peur que ça crée des difficultés inutiles. L'accouchement est déjà une épreuve, je me demandais comment c'était surmontable avec un masque", relate Eléonore, 37 ans, soulagée d'avoir "rencontré un personnel très humain, qui m'a permis de le retirer dès que j'étais en difficulté". "Au final ça s'est bien passé", ajoute-t-elle.
- Désamorcer le stress -
Dans ce service qui accueille plus de 200 patientes par mois, l'inquiétude des futures mères pèse aussi sur les soignants. Dès les consultations prénatales, "elles nous demandent toutes si elles devront porter le masque en salle de travail", et pendant l'accouchement, certaines femmes sont "tout de suite sur la défensive quand on leur demande de le mettre", rapporte Charlène, 25 ans, sage-femme.
Elle parle de "tension", de "méfiance", a l'impression d'être "toujours en train de négocier" avec celles qui "n'ont que le masque en tête". Une obsession qui "leur gâche le moment, et nous aussi", regrette-elle. Une de ses collègues enfile justement un modèle FFP2 pour se rendre auprès d'une patiente qui vient de crier: "J'en peux plus de ce masque!".
Pour désamorcer le stress avant une césarienne ou une extraction au forceps, Coralie, 41 ans, gynécologue-obstétricienne, "montre (son) visage en entrant dans la salle", pour s'affranchir quelques secondes de ce masque qu'elle "ressen(t) un peu comme une barrière supplémentaire". Mais d'une manière ou d'une autre, "on arrive à trouver un lien, les choses se font", affirme-t-elle.
Le coronavirus s'est immiscé dans sa relation avec les patientes, mais pas dans sa pratique médicale: "Ca n'a rien changé à nos gestes, ni à notre équipement. On portait déjà des masques, des charlottes et des lunettes avant le Covid".
Le Dr Harvey constate également que son service n'enregistre "pas plus de césariennes, de forceps ni d'épisiotomies" qu'auparavant.
Pour les parents non plus, "ça n'a pas changé grand-chose", estime Olivier, 45 ans, qui attend d'une heure à l'autre sa deuxième fille. "On nous demande juste de porter un masque, c'est pas une torture, on doit tous pouvoir le faire", dit-il.
Alitée à ses côtés, Anne-Sophie, 33 ans, lâche entre deux contractions qu'elle a "la bouche pâteuse" et "soif très vite" sous son masque. Un moindre mal: "On n'a pas le choix: si on veut préserver les équipes soignantes, c'est à nous de les protéger".