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"On dit toujours qu’on n’oublie pas le 11-Septembre aux États-Unis, ben moi je n’oublierai jamais le 2 septembre 2016." Ce jour-là, comme ses collègues, Laurent Kielemoes apprenait la fin de son usine. Le site de Caterpillar à Gosselies. Laurent a le sens de la formule mais deux ans après, le souvenir reste douloureux.
Il entre chez Caterpillar en 1997, à 22 ans, diplôme d’électronicien en poche. A l’époque, c’est l’excitation. Il découvre une grande usine moderne: "Tous ces engins automatiques, les monorails qui passaient dans les ateliers…" Il a aussi gardé le télégramme très officiel qui lui proposait de venir passer un entretien d’embauche, vestige d’une époque révolue où les entreprises allaient directement chercher des candidats à la sortie des écoles. Laurent se présente aux entretiens et, rapidement, il est embauché. Il va devenir gestionnaire de machines à commandes numériques. Puis, au fil des années, il va régulièrement changer d’affectation, au gré de l’évolution des lignes de production. Tantôt à l’assemblage des moteurs, tantôt au contrôle qualité. Mais presque toujours en équipe 2. Celle qui travaille de 14h42 à 22h42 précises. Les années passent.
Le licenciement
Partout, les cadences augmentent. La pression et les objectifs à atteindre aussi.
Puis viennent les rumeurs. À Gosselies on se rassure : l’usine tourne bien, elle produit son quota… Le conseil d’administration du 2 septembre devrait se passer correctement. Ils devraient annoncer des licenciements chez les employés mais les ouvriers devraient être à l’abri. "On a atteint les objectifs", voilà comment on se rassure dans les ateliers. Peine perdue. La nouvelle est rendue publique à 9h. L’usine fermera. Laurent, lui, l’apprend un peu plus tard, au réveil, en lisant les infos sur RTL. Un coup de massue. "Moment de blanc, on se dit ’’C’est pas possible…’’. Et puis… je me suis mis à pleurer comme un gamin !"
Viendront alors les premières grèves, les manifestations de soutien, le lancement de la Procédure Renault. Des semaines et des mois de négociation entre les représentants du personnel et la direction pour trouver un accord qui assurera des conditions de départ convenables. Suivent alors les demi-journées de grève. Pour rappeler à la direction que, même si elle veut que la production continue, pour les travailleurs, eux, il n’y a plus d’avenir sur place. Tout le monde devra partir.
Comme ses collègues, Laurent continue le travail "Mais j’étais vraiment pas bien, je suis tombé en déprime. Le moindre petit truc, je commençais à pleurer." Avec les semaines qui passent, la déprime est plus forte. L’échéance approche mais il faut continuer à faire tourner l’atelier. "C’est pas méchant mais on n’avait plus envie de rien faire L’enthousiasme n’était plus là, quoi." Enfin, à la fin du mois de février 2017, l’accord est validé. Les ouvriers votent oui à 75%. Et puis, arrive la fin du mois d’avril. Et avec elle, les premiers départs.
Entre deux vies
"Les deux derniers mois, je me présentais mais je n’avais même plus de boulot." Pour Laurent, le dernier jour, c’est le 30 juin. "On vous convoque le dernier jour, à 8h du matin. Vous remettez vos clefs, vos GSM de service… Pas le badge, on pouvait le garder en souvenir. Et puis hop, on vous accompagne à la porte, au revoir, et vous partez ce jour-là. Le dernier jour a été un drôle de moment." De ceux qui vous laissent un goût d’inachevé.
Dehors, Laurent prend une dernière photo devant l’enseigne, un collègue l’interpelle, ils vont aller boire un dernier verre, il n’a qu’à venir.
Commencent ensuite de longs mois à chercher un nouveau travail. Comme ses collègues, Laurent bénéficie de l’aide de la cellule de reconversion. Les semaines passent, il multiplie les candidatures. "J’ai postulé pour devenir agent constatateur à la Ville de Charleroi, au CPAS, à la SNCB comme conducteur de train, chez Infrabel pour un poste de conducteur d’engin de chantiers… " À chaque fois, c’est un refus. Mauvais entretien. Bon profil mais pas d’expérience dans le domaine. Qualifié mais légèrement daltonien.
Petit à petit, la "déprime" comme il dit, s’installe. "Je n’arrivais plus à voir l’avenir." Finalement, au printemps, une bonne nouvelle arrive. Sa candidature chez B-Post a été retenue. Il va devoir passer des entretiens. En mars, nouvelle étape. Il entame une période d’essai à Jumet comme facteur. S’il s’en sort bien, il décrochera un CDI.
Nouvel uniforme
Au début, les journées sont longues. Il prend son poste à 6h20 mais termine régulièrement à 18h ou 18h30. Beaucoup trop tard. Alors, son chef lui donne quelques secrets. Laurent apprend à trier son courrier, organiser sa besace, préparer la tournée. "Pas pour gagner du temps mais pour ne pas en perdre."
Finalement, il prend le coup de main et les journées de travail raccourcissent. Il découvre "la convivialité, la sympathie des gens. J’ai travaillé cet été, sous les grosses chaleurs, j’étais trempé. Mais il y a cette dame qui vous dit, ‘Allez facteur, venez boire une orangeade’. Ou le coiffeur, qui me propose un thé à la menthe." Laurent a été définitivement embauché en avril, d’abord à mi-temps puis à temps plein dès le mois de juin.
"Je respire à nouveaux, mais ça me fait encore mal au cœur quand je vois une grue Caterpillar dans la rue."
Ces derniers mois, le nouveau facteur a trouvé son rythme. "Je suis passé de travailler tout le temps à l’intérieur à être dehors par tous les temps. Il a fallu s’habituer mais c’est vrai que j’ai le contact facile, ça aide. Je dois dire que j’ai trouvé ma voie !" Et, pour ne rien gâcher de son plaisir, Laurent Kielemoes croise toujours ses anciens collègues. "C’est moi qui leur apporte leur courrier", conclut-il, un sourire dans la voix.
Aujourd’hui
Fin août, 821 personnes avaient retrouvé un emploi sur les 1952 anciens Caterpillar, pour la majorité en contrat CDI. Le dernier travailleur a quitté le site au mois de juin. Les trois cellules de reconversion, elles, ont été prolongées jusqu’en avril 2019, pour pouvoir accompagner les derniers licenciés vers une nouvelle vie.