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L'histoire fait parfois penser à un réseau clandestin des années 1960, mais elle est bien actuelle: c'est celle d'un groupe de femmes, mobilisées malgré les risques, pour permettre à toutes les Américaines d'avoir accès à une méthode sûre d'avortement, en cas de besoin.
Leur moyen de combat: la pilule abortive.
"Plan C" est à la fois le nom d'un documentaire projeté cette semaine au grand festival South by Southwest à Austin, aux Etats-Unis, et de l'organisation au centre du film. Il retrace les montagnes russes vécues durant plus de trois ans par ces femmes engagées, entre 2019 et 2022.
D'un côté, la pandémie a permis de peu à peu lancer, sous leur impulsion, la démocratisation des téléconsultations et de l'envoi par la poste de ces pilules. De l'autre, l'avortement -- et donc la pilule abortive -- est devenu complètement illégal dans une dizaine d'Etats suite à une décision de la Cour suprême américaine.
"Malheureusement, les anti-avortements ont en partie gagné", a déclaré à l'AFP la réalisatrice, Tracy Droz Tragos. Et "nous n'avons pas encore touché le fond aux Etats-Unis", craint-elle.
"Mais de plus en plus de gens entrent en résistance et font en sorte qu'il y ait un accès" aux pilules abortives, dit-elle. "Donc il y a une alternative, il y a une réponse possible."
- Médecins "héroïques" -
C'est pour mieux diffuser l'information autour de cette méthode que deux femmes, Francine Coeytaux et Elisa Wells, fondent l'association Plan C en 2015.
Le plan A, c'est la contraception. Ensuite, il y a le plan B, plus connu sous le nom de pilule du lendemain. Et puis, en cas de grossesse non désirée, le plan C: l'avortement médicamenteux.
Elles commencent par tester les pilules pouvant être achetées sur le marché noir, sur internet, pour vérifier qu'il s'agit du vrai produit. Si oui, elles les répertorient sur leur site.
Puis, durant la pandémie, face aux difficultés grandissantes pour trouver ces pilules, elles passent un appel pour recruter des médecins acceptant de les prescrire via télémédecine, et de les envoyer par la poste aux patientes.
"Après avoir parlé à environ 150 médecins, on a fini avec cinq", à la mobilisation "héroïque", raconte à l'AFP Elisa Wells. Plan C les aide à couvrir les coûts d'installation d'un service de téléconsultation, ou encore de licences médicales pour exercer dans plusieurs Etats.
Ces femmes médecins opèrent alors malgré un flou juridique, jusqu'à ce que l'Agence américaine des médicaments (FDA) ne clarifie la situation: oui, les pilules peuvent bien être postées.
De nombreux services de téléconsultations naissent alors.
Mais en juin 2022, séisme dans le pays: la Cour suprême rend aux Etats leur liberté de légiférer sur l'avortement, qui devient illégal dans une vaste partie du pays.
- "Rejoindre le mouvement" -
Alors que l'accès est peu à peu drastiquement restreint, un fournisseur accepte de continuer à poster les pilules vers les Etats républicains, notamment le Texas. Un réseau sous-terrain s'organise.
"C'est comme faire tourner un cartel de drogue, mais pour aider les gens", déclare une des femmes anonymes du documentaire.
La peur envahit chaque scène: peur pour les femmes utilisant les pilules, peur pour celles qui les aident. Mais aussi peur que tout s'arrête, et qu'elles se retrouvent sans solution.
Les détails du fonctionnement mis en place ne sont pas révélés dans le film, à dessein. Les visages sont floutés, les voix déformées, les pistes brouillées concernant les lieux filmés.
"J'espère que nous en avons fait assez, et que ces gens resteront en sécurité", dit la réalisatrice, en regrettant qu'un médicament autorisé depuis plus de 20 ans aux Etats-Unis se retrouve à susciter de telles opérations clandestines. "C'est une tragédie", dit-elle.
Trouver une plateforme qui accepte de diffuser le documentaire se révèle aujourd'hui ardu.
Les interlocuteurs trouvent le film "trop politique", disent devoir rester "neutres", explique Tracy Droz Tragos, dont un premier documentaire sur l'avortement avait été acclamé par la critique. Il donnait la parole aux militants des deux bords.
Elle espère que "Plan C" porte un message d'espoir pour les personnes qui le verront: qu'elles sachent "qu'elles ne sont pas seules, qu'il y a un réseau qui existe".
Depuis la fin du tournage, une autre menace est venue planer sur la pilule abortive. Un juge texan ultra-conservateur doit rendre une décision qui pourrait suspendre son autorisation dans le pays entier.
"Nous restons optimistes sur le fait que même face à ces restrictions injustes, l'accès" à la pilule abortive "continuera à être possible", martèle Elisa Wells. "Nous pensons qu'il s'agit d'une forme de résistance, et qu'elle l'emportera."