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Auteur il y a douze ans de la BD "Voyage aux îles de la Désolation", qui racontait une rotation sur le navire de ravitaillement le Marion Dufresne dans le subantarctique, Emmanuel Lepage est cette année revenu sur l'archipel des Kerguelen pour un documentaire.
Quand on lui dit que cette BD, où on découvre avec lui les archipels Crozet, Kerguelen et les îles Amsterdam et Saint-Paul, est à l'origine de nombreuses vocations chez ceux qui ont voulu travailler dans les Terres australes françaises (Taaf), il répond que ça ne lui appartient pas.
Mince, barbe grise bien taillée, Emmanuel Lepage, 56 ans, ne connaissait, avant sa BD, les îles Kerguelen que pour avoir "vu sur une carte ce nom breton au milieu de nulle part".
Il a découvert l'archipel, battu par les vents au sud de l'océan Indien, lors d'un voyage en 2010. Il propose alors à l'administration des Taaf d'en faire le coeur d'une bande dessinée "parce qu'il fallait une garantie de publication pour monter à bord".
"Je n'avais jamais fait de BD documentaire, je faisais plutôt de la fiction", raconte-t-il, évoquant son ouvrage sur la révolution sandiniste au Nicaragua, "Muchacho", "Les voyages d'Ulysse" transposition de l'Odyssée au XIXe siècle, son album sur les indiens Guaranis ou la série Névé.
Pour ce premier voyage dans les Terres australes, il assiste à l'ascenseur émotionnel vécu cette année-là par les hivernants qui avaient passé plus d'un an à Crozet: on leur avait promis une dernière nuit à terre, avant de l'annuler puis de la rétablir.
Cela lui donne "l'intuition de ce que devait être la vie sur le district": "une communauté au bout du monde". "Ce ne sont pas les animaux et tout le tralala administratif qui font les Taaf", réalise Emmanuel Lepage.
Ce premier voyage "a été une super aventure, mais le livre aussi, car j'ai travaillé à l'envers. Habituellement je commence par le scénario, là je me suis retrouvé avec une centaine de dessins et d'illustrations et je me suis demandé: +comment on raconte une rotation ?+".
De retour dans son atelier, il a mélangé croquis à l'encre de chine et illustrations à l'aquarelle faites sur place dans un album en noir et blanc.
-La BD est un "compagnonnage"-
"Je n'ai pas une démarche journalistique, les gens me parlent et ça me donne des idées. Les choses qui nourrissent humainement, ça se passe à table, au bar (...) Je recrée les situations, c'est l'avantage de la BD", explique-t-il.
Emmanuel Lepage a été formé, adolescent, par Jean-Claude Fournier, l'un des auteurs de Spirou, lui-même formé par André Franquin, le "père" de Gaston Lagaffe. "La BD c'est un compagnonnage", raconte-t-il.
Depuis son premier album sur les Taaf, Emmanuel Lepage en a fait une autre sur une mission en Antarctique, "La lune est blanche", et il est le premier auteur de BD nommé peintre officiel de Marine fin 2021.
L'"objecteur de conscience" qu'il est a même reçu "un uniforme de lieutenant de vaisseau", s'amuse-t-il.
Mais persistait "cette frustration de ne pas avoir vécu ce quotidien" sur une des îles australes. "Les gens ont l'impression d'une vie plus vraie ici. Ca pose la question +qu'est-ce que c'est, la vraie vie?+".
Il travaille à un projet de BD sur Kerguelen quand le journaliste François Picard le contacte pour lui proposer de le suivre pendant un mois à Kerguelen fin 2022 pour réaliser un documentaire pour Arte.
"J'ai eu beaucoup de moments de complicité, d'intimité avec les uns et les autres. Ils se sont apprivoisés. Ca s'est très bien passé", raconte Emmanuel Lepage.
Ses cahiers de croquis et d'aquarelle ne l'ont pas quitté pour autant. Son projet de BD sur les Kerguelen a encore besoin d'un fil conducteur. "J'aime bien cette part d'improvisation: il y a un livre quelque part, mais je ne sais pas encore lequel. Se jeter dans le vide, j'aime bien ça en fait".