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"Notre peuple continue de mourir: croiser le fer avec elles, leur serrer la main, c'est inconcevable". Les fleurettistes ukrainiennes, de passage à Paris cette semaine, n'imaginent pas tirer contre des Russes qui pourraient faire leur retour lors de la prochaine Coupe du monde à Plovdiv (Bulgarie) début mai.
Des néons qui éclairent au plafond, des touches allumant vert --ou rouge-- au mur, du chauffage --peut-être trop. Autant de détails très banals dans la salle d'armes de l'Insep cette semaine. Un confort rare pour l'une des escrimeuses ukrainiennes, accueillies en stage dans le centre d'élite du sport français.
Numéro un nationale et médaillée de bronze internationale lors du Grand Prix de Turin en février, Alina Poloziuk, 20 ans, s'entraîne toujours au pays, qu'elle a quitté lundi pour ce stage. "Je viens de Mykolaïv dans le sud, la ville vient d'être bombardée (jeudi par un missile, ndlr)", raconte dans un anglais hésitant la fleurettiste, "fatiguée de parler de la guerre".
"J'y pense beaucoup mais mon objectif est de me préparer pour la compétition. C'est en fait une bonne façon de distraire mes pensées", observe-t-elle.
A la différence de Poloziuk ou de l'entraîneuse nationale Olga Leleiko, restées sur leurs terres, d'autres tireuses se sont exilées. Par exemple, les sœurs jumelles Olga et Svitlana Sopit, installées depuis septembre à Bourg-la-Reine, dans la banlieue sud de Paris.
"Les athlètes restés en Ukraine vivent dans des conditions vraiment éprouvantes pour s'entraîner mais ils n'abdiquent pas. Pas d'électricité ? Pas de chauffage ? Ils travaillent quand même", lâche Svitlana Sopit, admirative.
- Coupures d'électricité et abri -
"Quand nous allons en compétitions en Ukraine, parfois, nous commençons un assaut puis nous entendons l'alarme, alors nous nous interrompons, rejoignons un abri, attendons trois heures, ressortons, croisons le fer de nouveau. Puis à un moment, l'électricité et la lumière sont coupées et nous attendons de nouveau deux heures, décrit Olga Sopit. Les compétitions peuvent durer une douzaine d'heures."
Parties au troisième jour de la guerre, le 26 février 2022, pour participer aux Championnats d'Europe juniors, les jumelles ont roulé 77 heures en voiture pour rejoindre Novi Sad, en Serbie.
Puis elles n'ont pas remis un pied sur le sol ukrainien pendant cinq mois. "Ma vie n'a plus été la même, livre Olga Sopit. Nous avons séjourné dans tellement de pays, connu tellement de foyers, rencontré tellement de gens bien. Après 32 vols, nous avons fini par nous installer en France."
Grâce à l'aide de Laurent Alliez, maître d'armes à Bourg-la-Reine: "Elle (Olga, ndlr) était venue s'entrainer avec nous avant le conflit. Quand la guerre a commencé, elle est revenue vers moi et a demandé à venir. Avec le club et la mairie, on a bossé ensemble pour lui trouver un logement."
Mais la guerre s'est invitée aussi derrière les masques depuis un mois. La Fédération internationale d'escrime (FIE) a été la première à ouvrir la porte au retour des Russes et Bélarusses, interdits de compétitions depuis l'invasion de l'Ukraine.
Absents du Grand Prix de Séoul ce week-end en raison de délais trop serrés, les anciens bannis, sous réserve du principe de neutralité, pourraient fouler les pistes à Plovdiv la semaine prochaine pour la première fois depuis la levée de leur suspension.
En réaction et pour faire pression sur les Fédérations internationales, les autorités ukrainiennes ont interdit à leurs athlètes de participer à des compétitions où figurent Russes ou Bélarusses. Même si la course à la qualification olympique a commencé en escrime.
- "Des choses plus importantes que la compétition" -
"Il y a des choses beaucoup plus importantes que les compétitions sportives, rappelle Svitlana Sopit. Dans mon pays, des gens meurent chaque jour, notamment des soldats se battant pour notre liberté."
"Notre peuple continue de mourir: croiser le fer avec elles, leur serrer la main, c'est inconcevable", souligne sa sœur.
Reste aux fleurettistes, la possibilité de la qualification par équipes. Actuellement septième équipe européenne, elles doivent atteindre le quatrième rang pour ferrailler dans moins d'un an et demi sous les verrières du Grand Palais, à une dizaine de kilomètres de Bourg-la-Reine.
"Nous sommes si près", décrit Olga Sopit. "C'est pourquoi nous avons plus de motivation. Même si tout ne se passe pas comme on veut, on se battra. Nous sommes imprévisibles."