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Aucun "manquement" ni "négligence" en "lien direct" avec la catastrophe: le parquet n'a pas requis mercredi la condamnation d'Airbus et d'Air France au procès du crash du Rio-Paris dans lequel 228 personnes ont trouvé la mort le 1er juin 2009, ce qui a suscité la colère de parties civiles.
La culpabilité des entreprises "nous paraît impossible à démontrer. Nous savons que cette position sera très probablement inaudible pour les parties civiles, mais nous ne sommes pas en mesure de requérir la condamnation d'Air France et d'Airbus", a déclaré le procureur.
A ces mots, des applaudissements de colère se sont fait entendre dans la salle d'audience pleine du tribunal correctionnel de Paris. "J'ai honte d'être Française !", "A quoi sert la justice ?", ont lancé certaines parties civiles avant de quitter la salle.
Ces mots du parquet ont été prononcés en clôture d'un réquisitoire à deux voix de près de cinq heures et demie, entamé par un préambule qualifiant l'accident du vol AF447, le plus grave de l'histoire d'Air France, de "drame incomparable" qui "a bouleversé à jamais les proches des victimes", selon la procureure Marie Duffourc.
- "Aucune faute pénale" -
Le 1er juin 2009, le vol AF447 reliant Rio de Janeiro à Paris traversait la zone météo orageuse du "Pot au Noir" quand les sondes anémométriques Pitot, qui mesurent à l'extérieur de l'avion la vitesse de l'appareil, ont givré.
Déstabilisés par les conséquences de cette panne, les deux copilotes, bientôt rejoints par le commandant de bord qui était en repos, n'ont pas réussi à reprendre le contrôle de l'avion, qui a heurté l'océan 4 minutes et 23 secondes plus tard.
Ce réquisitoire est un nouveau rebondissement dans une très longue procédure. En 2019, un non-lieu avait été prononcé par les juges d'instruction, avant que la cour d'appel n'ordonne en 2021 ce procès, qui s'est ouvert le 10 octobre.
Après huit semaines d'audience, le ministère public a estimé que les éléments à charge rassemblés dans l'arrêt d'accusation n'étaient pas fondés: il a conclu qu'aucune "faute pénale" n'était établie.
Les procureurs ont estimé qu'au moment des faits, les entreprises n'avaient pas sous-estimé la gravité des défaillances de sondes Pitot, qui s'étaient multipliées dans les mois précédant l'accident. Dans les compte-rendus sur ces incidents antérieurs, "il n'y avait jamais eu d'échappée et de perte totale de contrôle de l'avion", a notamment fait valoir le procureur Pierre Arnaudin.
Par suite, les parquetiers ont détaillé pourquoi, selon eux, ni Airbus, ni Air France n'avaient non plus commis de "négligence fautive" quant à la formation et l'information des pilotes à cette panne et ses répercussions.
- Parties civiles "choquées" -
Le constructeur et la compagnie "pouvaient être fondés à croire, à l'époque des faits, que (leurs) formations et procédures auraient dû suffire à gérer la situation de l'AF447", a résumé le procureur.
Il s'est ensuite adressé aux parties civiles. "Nous avons entendu l'insoutenable douleur de la perte de vos proches, votre désir de sanction".
"Notre devoir en tant que ministère public, c'est de nous référer (...) à la loi, sans qu'elle puisse être infléchie par les attentes de l'une ou l'autre des parties, fussent-elles ressenties comme légitimes", a poursuivi le magistrat.
Au sortir de l'audience, des proches des victimes et leurs avocats se sont dit "choqués", "outrés" par ces réquisitions. "C'est vraiment inattendu, ce sont des éléments de langage (des prévenus) que j'ai entendus dans la bouche du parquet", a déclaré Ophélie Toulliou, qui a perdu son frère dans le crash.
La parole a ensuite été donnée à la défense d'Air France. Me François Saint-Pierre a fustigé le "discrédit" jeté selon lui par certaines déclarations des parties civiles qui ont parlé d'une "parodie de justice", défendant un "modèle de procès".
Air France n'a "jamais critiqué les pilotes", contrairement à Airbus, a-t-il assuré. "Que s'est-il passé" ce soir-là ? "Cela reste encore un mystère", a-t-il affirmé, concluant que "quelque chose d'impondérable et de totalement imprévisible s'est produit".
"La relaxe d'Air France est une décision de justice", a-t-il insisté, souhaitant que "le jugement" qui sera rendu soit "l'occasion de tourner une page d'histoire", même si "personne n'oubliera jamais ce drame".