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Faisant fi des mises en garde de son gouvernement, l'Américaine Adair Margo a pris place avec ses petits-enfants à bord du "Chepe", le train pour touristes intrépides qui monte vers la Sierra Madre et les grands canyons dans le nord-ouest du Mexique.
Le "Chihuahua-Pacifique" figure parmi les plus beaux voyages en train du monde, d'après le National Geographic.
Sur le papier, l'excursion peut donner des sueurs froides aux diplomates ou aux experts en sécurité, puisque le voyage commence à Los Mochis, un des fiefs du trafic de drogue.
C'est là-bas que le fondateur du Cartel de Sinaloa, Joaquin "El Chapo" Guzman, a été arrêté en 2016.
Il purge depuis une peine de prison à vie aux Etats-Unis.
Sept ans après, Washington demande toujours aux ressortissants américains de ne pas se rendre dans l'Etat du Sinaloa et d'éviter celui voisin du Chihuahua, que le train relie au Pacifique.
A vrai dire, Adair Margo, 69 ans, s'en fiche.
"La vie est pleine de dangers", dit avec philosophie cette Texane habitant à El Paso, une ville à la frontière du Mexique.
"Au cours d'un voyage comme celui-ci, vous n'allez pas vous mettre au milieu de la guerre entre les cartels de drogue", ajoute la grand-mère, accompagnée de ses sept petits-enfants âgés de deux à douze ans.
D'une capacité de plusieurs centaines personnes, le Chepe circule sur une voie unique, qui va de l'océan Pacifique à la Sierra des Tarahumaras en passant par la "Barranca del cobre" (le canyon du cuivre), plus profonde que les canyons de l'Arizona voisin.
Le Chepe est l'une des rares survivances de la révolution ferroviaire qui avait commencé comme en Europe au XIXe siècle, avant un lent déclin.
L'année 2023 pourrait être l'année de la renaissance du rail, puisque le président Andres Manuel Lopez Obrador a promis d'inaugurer en décembre le premier tronçon du "train Maya", son grand chantier très contesté de plus de 1.500 km à travers la péninsule du Yucatan.
"C'est une autre façon de découvrir le Mexique", assure Christophe Schild, un Français de 55 ans, rencontré à bord du train Chepe avec sa compagne et leurs jumeaux de 20 ans.
"Bien sûr, beaucoup de gens connaissent Cancun ou Acapulco. Mais nous voulons découvrir le pays en sortant des sentiers battus, donc ce train, c'est l'occasion".
- Raramuri -
A sa sortie de Los Mochis, le train sillonne les vallées fertiles du Sinaloa, parsemées de champs de maïs.
Puis le convoi monte vers la Sierra Madre occidentale qui surplombe les canyons, au fil de 37 ponts et 86 tunnels.
Peu à peu, les rivières font place à des cascades et les cactus reculent devant les pins des montagnes. A 2.260 m d'altitude, le belvédère d'El Divisadero surplombe le canyon d'Urique, d'une profondeur de 1.800 m.
"C'est un long voyage mais ça vaut la peine. Nous avons eu la chance de le faire plusieurs fois et nous ne nous en lassons pas", assure Flor Corrales, une médecin mexicaine de 61 ans qui voyage avec son mari et son fils.
Après neuf heures de trajet, le train arrive en gare de Creel, son terminus, une sorte de capitale de la sierra des Tarahumaras.
La montagne est le fief de la communauté raramuri (ou tarahumaras) connue pour son rituel du peyotl -hallucinogène qui avait inspiré le poète français Antonin Artaud- et ses capacités d'endurance.
- "Les groupes armés respectent les touristes" -
Le tourisme dans la Sierra a subi un coup d'arrêt en août 2008, avec le massacre de 13 habitants de la région -dont un bébé- par des hommes armés.
"La ville a commencé à mourir", se souvient le père jésuite Javier Avila, une figure incontournable de la Sierra. "Aucun touriste ne venait plus".
Après une timide reprise, le tourisme a de nouveau été menacé en 2018 quand un randonneur américain a été assassiné par des trafiquants de drogue dans le canyon du cuivre.
En juin 2022, deux "frères" jésuites du père Avila et un guide ont été tués près d'Urique par un petit trafiquant local, un collaborateur présumé du cartel de Sinaloa dans la région. L'assassin présumé a été retrouvé mort à son tour en mars.
"Les groupes armés, jusqu'à présent, ont respecté les touristes. Ils ne les volent pas. Ils ne les attaquent pas", affirme le père Avila.
"Je ne suis pas suicidaire. Je ne veux pas que mes petits-enfants soient blessés", termine Adair Margo, la grand-mère américaine qui semble avoir tout compris à l'esprit local. "Mais je veux qu'ils aient l'expérience de la vie et vous pouvez vivre bien des expériences au Mexique".